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Selon certains chercheurs spécialistes de la théorie de l'évolution, la mémoire pourrait être un outil développé par l'espèce humaine pour apprendre à prédire l'avenir. Crédit Reuters
Selon certains chercheurs spécialistes de la théorie de l'évolution, la mémoire pourrait être un outil développé par l'espèce humaine pour apprendre à prédire l'avenir. Toute la théorie classique de la mémoire serait-elle à revoir ?

La mémoire est en principe étroitement reliée au passé. Dans sa définition habituelle, elle est relative au souvenir des évènements s ont déjà eu lieu. Et pourtant... du point de vue de l'évolution humaine, la mémoire pourrait en réalité avoir une fonction inverse. Selon certains chercheurs spécialistes de la théorie de l'évolution, la mémoire pourrait être un outil développé par l'espèce humaine pour apprendre à prédire l'avenir. Toute la théorie classique de la mémoire serait-elle à revoir ?

Tout a commencé avec les travaux du professeur Endel Tulving, qui travaille désormais à l'Institut de recherche de Rotman à Toronto au Canada. Le scientifique a pu échafauder les bases d'une théorie révolutionnaire, grâce à un patient atteint d'une perte de la mémoire épisodique, celle qui permet de se souvenir de sa propre biographie, et de revivre les événements que l'on a vécu comme si nous y étions. Ce patient était donc capable de se souvenir de certains faits généraux, abstraits, et des définitions des mots, mais incapable de se rappeler des moments forts de sa vie passée. Mais il présentait aussi une drôle de particularité : il ne pouvait pas non plus garder en tête son programme pour la journée, ses plans pour le lendemain, ni ses projets pour l'été.

Le professeur Tulving en a donc déduit qu'il devait exister un lien étroit entre les souvenirs du passé et la mémoire des événements à venir : comme si le fait d'anticiper le futur n'était que le revers de la médaille de notre mémoire du passé. La mémoire épisodique, qui est une mémoire non sémantique, constituée d'indices spatio-temporels, se manifeste par un vécu qui revient à la surface, que Tulving a comparé à un voyage dans le temps dans le passé. De là à voyager dans le temps vers l'avenir, il n'y avait donc qu'un pas.

Cette théorie explique bien des choses. Car si l'on a coutume de définir la mémoire comme une sorte de stock d'informations réelles compilées comme une sorte de gros livre, force est de constater que ce livre est parfois hasardeux. Nos souvenir sont souvent trompeurs, et pas seulement car il nous arrive d'oublier les événements. Nous sommes aussi enclins à imaginer des souvenirs qui ne correspondent à rien de réel, comme si une page provenant d'un autre livre c'était glissé dans notre autobiographie. Et si ces "erreurs" n'en étaient pas ? Et si la mémoire remplissait là sa fonction première ? De ce point de vue, la fonction de la mémoire n'est peut être pas seulement de se souvenir du réel, mais de faire preuve d'imagination.

Des scanners cérébraux sont ensuite venus confirmer cette hypothèse avec des preuves tangibles. Chaque fois que l'on pense à un futur hypothétique, nous nous replongeons dans notre autobiographie mémorielle. Il semble même que nous nous livrions à un véritable jeu de puzzle : déchirant les pages de notre biographie, nous découpons des tranches de vie par ci par là et les reconstituant à notre guise pour créer des scènes inédites, qui pourraient se dérouler dans un scénario futur potentiel. Le dernier numéro du magazine New Scientist se consacre à ce phénomène.

Ce jeu de chaises musicales avec les bribes de souvenirs est à la base de la projection dans le futur et de la prévoyance. Mais il est bien souvent très imprécis, car plus les souvenirs s'éloignent, plus ils se mélangent et s'effilochent avant le temps. "Il n'est pas surprenant que nous confondions les souvenirs et l'imagination, car ils partagent tellement de processus cérébraux en commun", remarque Daniel Schacter, psychologue à l'Université d'Harvard.

Cette nouvelle vision de la mémoire a enclenché une révolution dans la façon dont les psychologues abordent la mémoire. Car du point de vue de la théorie darwinienne de l'évolution, la capacité à prévoir l'avenir est un atout certain pour l'homme, qui lui permet d'anticiper les événements, et donc de mieux y faire face, et ainsi ... de survivre tout simplement.

Les travaux récents suggèrent que la mémoire joue un rôle crucial dans les taches de résolution de problème et autres casse-têtes. Les troubles de la mémoire pourraient aussi découler de maladies mentales telles que la dépression et le stress post traumatique.