Sécheresse, inondations, pandémie grippale, éruptions volcaniques... Autant de risques sur lesquels les scientifiques pourraient au pire ne plus vouloir se prononcer, au mieux le faire sous le seul couvert de l'anonymat.

Après la condamnation de sept sismologues italiens à six ans de prison ferme, l'émoi de la communauté scientifique est toujours à son comble. Les sept savants ainsi que le sous-directeur de la protection civile ont été accusés d'avoir sous-évalué les risques avant le séisme qui a dévasté la ville de L'Aquila en 2009 et provoqué la mort de 295 personnes. Or tous les sismologues s'accordent à dire qu'il est impossible de prévoir un tremblement de terre.

Le président de la commission « grands risques », dont les experts ont été mis en cause, a annoncé mardi qu'il démissionnait de son poste. « Il n'est pas possible de fournir à l'État des avis sereins, désintéressés et hautement professionnels avec cette folle pression judiciaire et médiatique. Cela ne s'est jamais produit dans aucun autre pays du monde », a-t-il déclaré annonçant que plusieurs de ces collègues allaient suivre une même démarche. De leur côté, les sept condamnés ont fait appel de la décision.

Pour les scientifiques le verdict soulève de multiples questions. C'est tout d'abord celle du rapport avec la société. « La vision un peu brutale transmise de manière très large est que la science sait ou ne sait pas : quand elle ne sait pas prédire de manière exacte, c'est qu'elle n'a rien à dire, et si elle se hasarde à des anticipations, celles-ci doivent être exactes. C'est une vision très dange­reuse : nous vivons dans un monde où tout n'est pas prévisible, même si la science nous permet d'anticiper certains risques », rappelle le climatologue Hervé Le Treut.

C'est ensuite le rapport très délicat avec la justice. Il y a des exemples de procès par le passé mettant en cause des prévisions de scientifiques. « Nous avons connu des attaques de ce type », raconte ainsi Patrick Chassagneux en charge de la vigilance à ­Météo-France. Un sismologue américain ayant annoncé des risques de tremblements de terre à Los Angeles a également été poursuivi par des promoteurs qui l'accusaient d'avoir fait baisser les prix. Mais, jusqu'à présent, les plaignants ont été déboutés.

« Sans aller jusqu'à soutenir un éventuel principe d'irresponsabilité des scientifiques, il faut bien garder en tête que celui-ci établit son raisonnement en fonction de l'état des connaissances à un moment donné » souligne Alain Carpentier, le président de l'Académie des sciences. « On ne peut donc pas lui tenir grief du fait que ses connaissances soient limitées s'il a bien mobilisé toutes celles qui sont à sa disposition », affirme-t-il. Sinon, « on prend le risque que plus personne ne veuille se prononcer », s'inquiète Michel Setbon, sociologue des sciences « ou que les scientifiques se couvrent systématiquement en criant au loup ».

« Il faut bien séparer le rôle de l'expert de celui du politique qui prend la décision », explique de son côté le géophysicien Vincent Courtillot, qui pointe du doigt les rapports complexes entre les experts, les politiques, les médias et le grand public : « Chacun doit garder sa place », ajoute-t-il. Ce procès en tout cas aura peut-être le mérite de rappeler que l'on ne peut pas tout attendre de la science.

Dans un article publié par la revue Nature au mois d'octobre et consacré au procès de L'Aquila, certains habitants expliquent comment, suspendus aux analyses scientifiques, ils ont petit à petit abandonné les réflexes de bon sens qui faisaient notamment que leurs parents quittaient systématiquement leur maison dès qu'il y avait une alerte sismique. « On aurait des dispositifs opérants en ravivant non pas la culture du risque mais la mémoire de la survie », plaide ainsi Emmanuel Garnier, historien du climat. Des propos qui, pour l'heure, ne rencontrent que bien peu d'échos.

Source : Le Monde