Sugar
© DRUne série de documents semble démontrer que l'industrie du sucre a mis en place une startégie de manipulation destinée à promouvoir coûte que coûte ce produit.
En s'appuyant sur des notes internes et des rapports d'entreprises, le magazine Mother Jones révèle les mensonges de l'industrie du sucre pour tromper la population sur les risques sanitaires liés à sa consommation.

Sucre et tabac, même combat ? Sans doute pas, en ce qui concerne les effets sur la santé ; mais quand il s'agit de manipuler l'opinion publique pour lui faire croire que ces produits n'ont rien à se reprocher, l'industrie du sucre et du tabac font jeu égal. Souvenez-vous, c'était il y a quelques mois à peine : Robert Proctor, historien des sciences, publiait le livre Golden Holocaust qui résumait les secrets de l'industrie du tabac grâce aux mémos et messages internes publics depuis la fin des années 1990. Et autant dire que le tout n'était pas vraiment reluisant pour l'industrie du tabac, puisque le professeur de Stanford montrait comment ces industriels avaient réussi à tromper la population sur la dépendance et les risques sanitaires de la cigarette.



C'est au tour de l'industrie du sucre de trembler... Un article publié dans le magazine américain Mother Jones révèle en effet, grâce à l'étude de plus de 1 500 pages de lettres, de notes internes ou encore de rapports d'entreprise, que l'industrie du sucre a également tenté de manipuler l'opinion publique à coups de recherches, de publicités et de gros sous, pour lui faire oublier les risques sanitaires, notamment l'obésité, le diabète et les maladies cardio-vasculaires, dont elle avait pourtant conscience dès 1962, comme l'indiquent des mémos de l'Association du sucre.

Mais faire oublier l'obésité, ou encore le diabète, n'est pas aussi simple que cela dans les années 1970, l'opinion prenant peu à peu conscience que le sucre n'est pas seulement délicieux, et boycottant alors le produit, à tel point que sa consommation baisse de 12 % en seulement deux années. Il n'en faut pas plus à l'Association du sucre, qui regroupe les industriels du secteur, pour lancer l'offensive. Armées d'un budget annuel conséquent de 800 000 dollars, l'équivalent de 3,4 millions de dollars actuels, les différentes entreprises recrutent « une écurie de professionnels de la médecine et de la nutrition pour dissiper les peurs du public [...] et financent des articles scientifiques qui contribuent à une réglementation de la FDA (Food and Drug Administration) qui soutienne » l'industrie du sucre. Quant aux études menées à l'époque sur les dangers du sucre, elles sont mises en sourdine après que de nombreux scientifiques se sont rendu compte qu'elles auraient pu mettre un terme à leur carrière. Toujours une mauvaise idée d'aller titiller les grosses industries.

Si les scientifiques qui travaillaient sur les éventuels dangers du sucre « disparaissent » des radars, l'Association du sucre braque ses projecteurs sur ceux qui mettent en avant le scepticisme, l'absence de preuve, l'importance de mener d'autres études. Ou quand la « recherche » est paradoxalement le « principal support de défense de l'industrie ». Entre 1975 et 1980, l'Association du sucre a ainsi financé dix-sept études pour près de 665 000 dollars. L'argent était en majorité versé à des chercheurs dont les études semblaient exonérer explicitement le sucre, voire mieux, en faisaient un produit bon pour la santé. Une étude proposait par exemple de voir si le sucre augmentait les niveaux de sérotonine des cerveaux de souris afin de montrer sa « valeur thérapeutique pour traiter la dépression ».

Et l'association de s'en prendre à ses ennemis, notamment les édulcorants utilisés dans les produits light. C'est une réussite, puisque plusieurs d'entre-eux, par exemple le cyclamate, sont interdits, alors même qu'ils ne présentent pas nécessairement de danger pour les hommes. Ces mensonges et manipulations sont couronnés de succès puisque la consommation de sucre repart à la hausse, tout comme les maladies chroniques d'ailleurs. Quand ils n'étaient que 2,5 % de diabétiques aux Etats-Unis en 1980, ils sont aujourd'hui 6,8 %. Les chiffres de l'obésité sont loin d'être plus rassurants : il y a près de trente ans, on recensait 5,5 % et 15 % respectivement d'enfants et d'adultes obèses américains, alors qu'on en compte aujourd'hui 16,9 % et 35,7 % de la population. Quant à la consommation de sucre per capita, elle est passée de 54,431 kg en 1980 à près de 60 kg en 2010.

S'il n'existe encore aujourd'hui aucun consensus sur les risques du sucre sur la santé, les scientifiques n'ont plus peur de voir leur carrière se terminer s'ils étudient de telles problématiques. Un article baptisé « La toxique vérité sur le sucre », publié au mois de février dernier dans le magazine Nature, revenait d'ailleurs sur « la menace sur la santé publique constituée par la consommation excessive de fructose ». La fin d'une ère pourrait donc bien arriver plus tôt qu'on ne le pense. Et l'industrie du sucre de garder en mémoire l'histoire du tabac qui n'a pas réussi à manipuler indéfiniment l'opinion publique sur le danger des cigarettes.