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Chaque grand événement le prouve un peu plus, les métropoles sont extrêmement vulnérables face aux catastrophes naturelles.

Si la technique a permis de limiter les vulnérabilités classiques (on ne meurt plus ou beaucoup moins) elle en a aussi créé de nouvelles formes.

Chaque grand événement le prouve un peu plus, les métropoles sont extrêmement vulnérables face aux catastrophes naturelles. Si la technique a permis de limiter les vulnérabilités classiques (on ne meurt plus ou beaucoup moins) elle en a aussi créé de nouvelles formes.

La dépendance aux réseaux techniques

La dépendance aux réseaux techniques pose des problèmes à plusieurs niveaux. D'abord, elle perturbe la gestion des secours : directement car les secours dépendent eux-mêmes de la fourniture d'énergie (essence, électricité), d'eau, du téléphone, de l'Internet, etc. Indirectement car les pannes et les dysfonctionnements de ces réseaux peuvent à leur tour créer des problèmes : un transformateur électrique explose ou un court-circuit se produit et c'est un incendie, que l'on ne peut pas éteindre si le réseau de distribution d'eau ne fonctionne pas, et pour lequel on n'est pas prévenu parce que les habitants ne parviennent pas à donner l'alerte...

Ensuite, cette dépendance perturbe la vie quotidienne : on l' a vu lors de l'ouragan Sandy, avec l'exemple du sud de Manhattan que vivre sans eau, sans électricité, sans chauffage, sans téléphone est un véritable casse-tête au quotidien et que cela peut mettre des vies en danger. Dans les villes modernes, presque tout dépend de l'électricité, sans elle : plus de digicodes, plus d'ascenseurs, plus de chauffage, plus de réfrigérateurs, plus de plaques de cuisson, plus d'Internet, de téléphone, de télévision et plus de lumière.

Il faut aussi rappeler que nos villes fonctionnent désormais sur la séparation entre les lieux de l'habitat, les lieux de travail, les lieux de consommation : les transports sont un élément essentiel dans les agglomérations car les distances ont considérablement augmenté. Nous vivons dans une société "hypermobile" et "hyperconnectée" ce qui nous rend fragiles : souvenons-nous de la panne de téléphonie mobile qui a affecté récemment l'opérateur Orange il y a quelques mois ou bien encore des grèves dans les transports en commun.

Enfin, et c'est moins visible mais tout aussi grave, une paralysie des réseaux techniques perturbe profondément l'activité économique. Les entreprises, grandes et petites, même si elles ne sont pas inondées ou endommagées subiront les effets des pannes de courant, du rationnement de l'essence ou de la coupure des routes. Cela aura des conséquence sur la production (et ce d'autant plus que les salariés ne pourront pas se rendre à leur travail), sur les stocks, sur les fournisseurs, sur les carnets de commande etc... et au final cela rencheri considérablement le coût d'un événement (pour la société comme pour les assureurs).

La continuité d'activité est ici un enjeu essentiel car c'est toute la chaîne productive, tout le système économique qui peut être touché, avec des effets décalés dans le temps (la perte d'image, de confiance, le risque juridique) et dans l'espace : toutes les entreprises (par exemple les sous-traitants, les fournisseurs, les transporteurs, les distributeurs) qui dépendent d'une entreprise initialement touchée peuvent subir des répercussions, alors même qu'elles peuvent se trouver à des milliers de kilomètre de la zone inondée.

Les problèmes liés à la concentration des richesses, des fonctions stratégiques de commandement dans les mégalopoles

Au sens strict, il faudrait parler de métropole ou de villes globales : il s'agit des villes qui sont très insérées dans la mondialisation et qui à des degrés divers commandent cette mondialisation.

Il y a deux problèmes distincts : si on concentre sur un lieu des biens et des richesses, le potentiel de dommage augmente mécaniquement. Or, dans les métropoles, on a une concentration de biens de valeur qui démultiplie encore les coûts. En plus de ces richesses, la métropole concentre souvent aujourd'hui des fonctions de commandement : commandement économique, politique, culturel, logistique, etc. A cet égard, Paris en est presque une caricature.

Prenez le cas des aéroports dans ces grandes villes : la paralysie des aéroports de la côte est des Etats-Unis a des conséquences sur le trafic mondial, et par ricochets, sur l'économie. Autres exemples : la Bourse, la concentration des sièges sociaux des grandes multinationales, les quartiers d'affaires, etc. Il y a aussi les universités et les laboratoires, les grands musées, les bibliothèques. Dans ces métropoles, on organise des foires et des salons qui participent au rayonnement mondial de la ville et du pays et qui sont des événements essentiels pour l'économie locale, régionale et nationale. Certaines métropoles concentrent aussi des fonctions régaliennes (en France, les députés se rendaient en barque au Parlement lors de l'inondation de 1910).

Bref, dans ces métropoles, il existe deux risques superposés : celui pour les personnes (et par extension les biens) qui est concentré dans la zone directement touchée (même si des perturbations de la vie quotidienne sont à attendre hors de cette zone) et le risque économique, qui a ensuite des conséquences sociales lourdes, mais différées dans le temps et l'espace.

Technique/technologie et illusion de sécurité

Les villes occidentales se sont construites sur l'idée que la technique pouvait et devait permettre la maîtrise du naturel. Dans les sociétés dites modernes, il y a une sorte d'incapacité à imaginer une nature hors de contrôle. Du coup, quand la nature se rappelle à nous, la première réaction est la dénégation. L'idée qu'au XXIe siècle dans une ville aussi moderne que New York, on puisse subir de tels dommages à cause d'un ouragan laisse perplexe. On y voit la plupart du temps la faillite des experts, le fait que les systèmes de protection - la technique donc - a échoué. Mais une fois l'émotion passée, on finit par réclamer plus de technique ! La technique est nécessaire : elle a permis de sauver des vies et de réduire le bilan humain des catastrophes naturelles dans les pays développés. Mais elle ne peut à elle seule résoudre tous les problèmes.

A cet égard, là encore, Paris est très représentative de cette illusion de sécurité : interrogé les parisiens sur leur perception du risque d'inondation et la pluspart répondent qu'une crue comme celle de 1910 ne pourra pas survenir aujourd'hui du fait de l'endiguement du fleuve et / ou de l'existence de barrage-réservoirs en amont.

Les autres facteurs de vulnérabilité des mégalopoles

Un des grands problèmes est aujourd'hui la verticalité de l'urbanisme. En surface, avec les immeubles de grande hauteur, parce que les tours posent de sérieux problème de sécurité du fait de leur dépendance aux réseaux techniques précédemment cités ; en sous sol, car de véritable villes se sont développées sous nos pieds. Ces sous-sols sont très encombrés, notamment par les réseaux techniques. L'enchevêtrement des conduites, des tunnels, des parkings est très complexe : c'est un facteur de propagation des perturbations et un domaine de fragilité très grand.

Autre problème : les inégalités qui vont en s'amplifiant dans les villes. Il existe aujourd'hui des formes d'exclusion et de pauvreté plus ou moins visibles, qui en cas de catastrophes vont conduire à des drames humains. Plus largement, les modes de solidarité traditionnels se sont considérablement distendus : on l'a très bien vu au moment de la canicule en 2003.

Les seuils de criticité d'un événement

Les chercheurs ont étudié les situations de panique pour comprendre comment ces processus se mettent en place et comment les éviter. On sait par ailleurs que la réaction à une situation d'urgence dépend d'une multitude de facteurs dont une partie échappe à tout contrôle. Il est très difficile de prévoir le comportement des gens en situation de stress et d'urgence. Or, de ce comportement vont dépendre en partie le succès des plans de secours. Dans les métropoles, il y a tellement d'enjeux et d'acteurs qu'il est impossible de tout prévoir. Cette situation d'incertitude est sans doute l'une des principales caractéristiques des risques du XXIe siècle et les gestionnaires sont en train d'apprendre à y faire face.

On peut réduire aujourd'hui les risques en travaillant très en amont sur la prévention : sensibiliser les acteurs, mettre en place des plans de secours, prévoir une mise en alerte suffisamment précise pour permettre de déployer les moyens de gestion appropriés. Mais on sait aussi qu'au-delà d'un certain seuil de dommages et de désorganisation, on entre dans l'inconnu. Les retours d'expérience ont toutefois montré que sur des catastrophes majeures, on a des mécanismes sociaux qui se mettent en place et qui permettent de sauver des vies (c'est ce qui s'est passé pendant les attentats du 11/09 ou de Katrina). Il y a donc un juste équilibre à trouver entre ce qui relève des compétences de l'Etat et ce qui relève de la responsabilité des individus, en gardant à l'esprit que tous les acteurs, ne sont pas égaux face à l'urgence et ne disposent pas des mêmes ressources financières, culturelles, familiales, etc.

Adapter l'urbanisme aux risque naturels

En quoi les villes tentent-elles d'adapter leur urbanisme aux risques naturels ? Elles agissent sur deux volets : le volet technique, avec de nouvelles solutions urbanistiques et architecturales, qui viennent s'ajouter à des législations déjà conséquentes (mais pas forcément efficaces) sur la maîtrise de l'urbanisation en zone à risque. Ces solutions visent à renforcer la résistance des bâtiments pour compléter les infrastructures de protection existantes. Il y a un volet d'innovation, qui peut être un moteur pour l'emploi et la croissance ; et un volet sociétal, qui porte davantage sur l'organisation et la préparation. L'idée est ici d'apprendre à agir en situation d'incertitude, d'augmenter la capacité d'initiative, la réactivité, de retrouver les mécanismes élémentaires de solidarité, les gestes de bon sens. C'est toute une préparation qui est à mettre en place.

Les deux volets sont complémentaires et ne peuvent être menés séparément : développer l'urbanisme en zone inondable, en travaillant sur des matériaux étanches et la répartition des populations sur le territoire conduira à une catastrophe si ces mesures ne sont pas accompagnées d'une sensibilisation des populations aux risques encourus. En revanche, geler toute urbanisation en zone inondable n'est pas possible, ne serait-ce que parce qu'un tel gel entraînerait des risques économiques, sociaux et environnementaux. La solution technique ne peut pas servir de prétexte à la négation du risque ou au "laisser faire" : elle est un outil pour apprendre à vivre avec ce risque.

Enfin, on peut aussi essayer de changer nos modes de vie, notre rapport à la nature ou encore à la société de consommation. C'est un changement plus profond et plus radical. Dans les deux cas, cela suppose aussi un changement dans le rapport des sociétés contemporaines face aux dangers. La volonté du zéro risque, zéro dommage pose problème : chacun veut prendre des risques mais personne n'est prêt à en payer le prix. Chacun exige une sécurité maximale dans le même temps, mais personne ne veut en payer les contraintes. La récurrence des catastrophes dans les grandes métropoles des pays développés nous met face à nos contradictions.

Source : Le Point, Le Monde