L'État de Palestine a été reconnu comme État observateur. La victoire sera plus complète le jour où il sera reconnu comme un État membre à part entière.

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L'admission de la Palestine à l'ONU comme Etat observateur constitue incontestablement une victoire diplomatique et psychologique pour le peuple palestinien. Les scènes de joie et de liesse du peuple palestinien au lendemain de cette victoire ne sont pas déplacées.

Elles montrent tout simplement que le peuple palestinien a compris qu'il est désormais entré dans une nouvelle étape de son long combat pour le recouvrement de ses droits nationaux légitimes et que cette victoire diplomatique, il la doit avant tout à sa résistance multiforme à l'occupant israélien et au respect mérité qu'elle a su gagner dans les cœurs et les esprits de la majorité des peuples de la planète malgré les milliards de dollars dépensés chaque année dans la propagande pro-israélienne de par le monde.

Plus que cette reconnaissance diplomatique en soi, ce que le peuple palestinien peut légitimement fêter aujourd'hui, c'est le fait que cette reconnaissance- aussi symbolique soit-elle- ait dû être arrachée de haute lutte contre le chantage ignoble des Israéliens et des Américains qui ont tout essayé pour dissuader Mahmoud Abbas de mettre à exécution ce qu'ils pensaient n'être qu'une simple menace.

En tout état de cause, si l'un des objectifs inavoués de la dernière agression en date contre Gaza fut de parasiter l'initiative palestinienne à l'ONU et de renforcer la division inter-palestinienne, force est de constater que Netanyahu a subi un double revers puisqu'il n'a gagné sur aucun de ces deux tableaux. Contrairement aux attentes des israéliens et des Américains, les composantes de la résistance palestinienne qui émettent des doutes sérieux sur la stratégie politique de l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas se sont bien gardées de saboter son initiative et ont compris fort intelligemment sa portée diplomatique et psychologique même s'ils l'inscrivent dans un registre autre que celui dans lequel l'Autorité palestinienne est prête à s'enfermer sous les pressions de l'environnement géopolitique régional et international.

Mais pour autant, cette reconnaissance diplomatique doit-elle cacher le fait que le chemin de la libération de la Palestine reste encore long et semé d'embûches sans parler des multiples pièges tendus dans le cadre d'un « processus de paix » qui n'a servi jusqu'ici qu'à retarder la libération pour laquelle le peuple palestinien a tant sacrifié ?

La portée diplomatique d'une reconnaissance

Pour bien mesurer la portée tant politique que diplomatique de l'admission de la Palestine à l'ONU, il faut avant tout la replacer dans son cadre historique. Cette reconnaissance n'est qu'un juste retour des choses et une mise en adéquation avec une réalité juridique que l'occupation coloniale israélienne a tout fait pour annihiler et cacher aux yeux de l'opinion publique internationale. En effet, le peuple palestinien n'a pas besoin de cette reconnaissance pour affirmer son existence juridique conformément à la tradition du droit international puisque ni le mandat britannique ni l'occupation israélienne qui a suivi ne peuvent dissoudre le principe de souveraineté dont le peuple palestinien reste dépositaire malgré les aléas de la tutelle de l'autorité occupante.

Et ce n'est pas la moindre des ironies de l'histoire que de voir des nations comme les Etats-Unis et le Canada, qui n'existaient même pas au temps où la Palestine jouissait dans les livres de géographie et d'histoire d'un statut comparable à celui de la Grèce historique, voter contre l'admission de la Palestine au sein de l'ONU. Quand la misère culturelle côtoie de si près l'ostracisme diplomatique, la résistance morale et politique devient un devoir impérieux et sur ce plan, le peuple palestinien a des leçons à donner aux nombreux pharisiens qui font des « droits de l'Homme » un juteux fonds de commerce là où dorment des puits de pétrole et des minerais précieux...

Le vote honteux de la Grande-Bretagne apparaît d'autant plus choquant quand on connaît le rôle infâme de cette puissance dans la création de l'Etat colonialiste et raciste d'Israël sur une partie de la Palestine dont elle a reçu le mandat et ce, en violation flagrante du droit international. Mais la géopolitique étant ce qu'elle est, on voit mal la perfide Albion voter autrement que son grand cousin américain.

Reste l'énigme allemande. L'atlantisme viscéral de ce géant économique européen se comprend parfaitement au regard de son impuissance géopolitique et militaire congénitale décidée d'ailleurs par son parrain américain au lendemain de la seconde guerre mondiale. Cependant, l'ignominie de la position allemande à l'égard de la Palestine, qui ne cesse de payer depuis des décennies- faut-il le rappeler- la note salée des crimes imprescriptibles du nazisme à l'égard des Juifs d'Europe, ne peut se comprendre sans référence au contexte historique en vertu duquel la bourgeoisie allemande a accepté d'échanger la sauvegarde de ses sordides intérêts contre sa soumission au diktat des cartels transnationaux qui savaient qu'en émasculant le valeureux peuple germanique, ils allaient en finir avec le Vouloir et la liberté des peuples d'Europe.

Quant à la France socialiste de Hollande et Fabius, il ne faut pas trop se faire d'illusions sur les véritables motivations qui se cachent derrière son vote en faveur de l'admission de la Palestine à l'ONU. Ce que le gouvernement français recherche au fond rejoint finalement les arrière-pensées de nombreuses forces régionales et internationales qui espèrent avant tout que chaque avancée diplomatique enregistrée par l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas serve à isoler les autres composantes de la résistance palestinienne et à leur tête le Hamas, jugé trop « radical ». Le but inavoué étant d'imposer une solution diplomatique qui oblige le peuple palestinien à se contenter d'un Etat-dortoir qui n'aurait rien à envier aux anciens « bantoustans » que le régime d'apartheid réservait dans le passé aux millions de Noirs d'Afrique du sud.

Le plus dur reste à faire

Cela nous amène au fond de la question. L'admission de la Palestine à l'ONU en tant qu'Etat observateur peut être aussi bien une victoire diplomatique et psychologique faisant avancer la cause légitime du peuple palestinien qu'une manœuvre politico-diplomatique subtile mais perfide en vue de poignarder dans le dos le peuple palestinien en lui faisant oublier que même la solution des deux Etats que lui fait miroiter la communauté internationale depuis 1993 n'est déjà plus viable dans les conditions actuelles pour la raison simple qu'Israël a exploité ces vingt dernières années de « négociations » interminables et vaines pour gagner du temps, multiplier les colonies dans les territoires occupés et réduire à sa plus simple expression un éventuel futur Etat palestinien dans les enclaves de Cisjordanie et Gaza sans parler de l'instrumentalisation sanglante des différends qu'il savait inévitables entre l'Autorité palestinienne et le Hamas en vue d'affaiblir le front intérieur palestinien.

Passée l'euphorie qui a suivi tout naturellement l'admission de la Palestine à l'ONU, le peuple palestinien va se retrouver devant des défis politiques majeurs. Et à cet égard, ce qui se passe sur le terrain et dans les coulisses des négociateurs de la trêve de Gaza est plus important que ce qui s'est passé dans les tribunes et devant les projecteurs des Nations Unies.

La dernière victoire politique et psychologique enregistrée par la résistance palestinienne à Gaza est autrement plus importante sur le plan stratégique que l'admission de la Palestine à l'ONU même si elle a fait moins de bruits médiatiques. C'est cette résistance et le fait admirable que le peuple palestinien, malgré tous les sacrifices endurés, ait pu imposer un minium d'union à ses dirigeants pourtant gravement divisés, qui sont en train de changer la donne dans la région.

Ce sont ces deux facteurs qui ont poussé les parrains américains et européens à accourir en Israël pour souffler à leur petit protégé la nécessité et l'urgence d'un cessez-le-feu en vue de leur donner une chance de pouvoir faire pression sur le nouvel acteur stratégique régional qu'est l'Egypte dont il est attendu le plus gros effort dans le processus de « normalisation » de la direction politique du Hamas, étant entendu que les pétrodollars du Qatar ne sauraient suffire à atteindre l'objectif tant rêvé dans certaines officines, à savoir le divorce entre l'aile politique du Hamas et son aile militaire.

Mais les manœuvres des puissances occidentales et la couardise de certains acteurs régionaux seront-elles plus fortes que les contradictions sociales et politiques engendrées par le phénomène colonial israélien et les différentes formes de mainmise et d'exploitation impériales qui empêchent l'émancipation et le développement du peuple palestinien et des autres peuples de la région ?

Les différentes composantes de la résistance du peuple palestinien qui ont été unanimes à saluer l'admission de la Palestine à l'ONU n'ont pas la même lecture de l'évènement. Mais si elles savent s'en tenir à la boussole de leur peuple qui appelle de ses vœux la réconciliation et une entente démocratique fondée sur le non-recours à la force dans la résolution des différends politiques et le respect du suffrage universel et des minorités autour d'un programme de libération nationale minimum, elles éviteront les pièges tendus et feront de cette reconnaissance une étape importante dans la lutte du peuple palestinien. Mais une étape qui reste une étape cruciale sur laquelle planent de nombreuses menaces.

L'Etat de Palestine a été reconnu comme Etat observateur. La victoire sera plus complète le jour où il sera reconnu comme un Etat membre à part entière. Mais l'Etat qui vient d'être reconnu reste un Etat amputé de plus de 80% de la superficie de la Palestine historique. L'Etat palestinien a non seulement le droit mais aussi le devoir de récupérer ses terres spoliées par tous les moyens que lui confère le droit international. Il a le droit d'exiger, y compris par la force, le démantèlement des colonies construites en violation du droit.

La solution des deux Etats rabâchée par tous les amis d'Israël n'aurait aucun sens si l'Etat de Palestine ne réclame pas la restitution de sa pleine souveraineté sur les territoires conquis par la force en 1967, et ce conformément aux résolutions onusiennes. Malgré la disproportion évidente des forces en présence, l'Etat palestinien entrera désormais dans une négociation d'Etat à Etat avec Israël.

Ce dernier a derrière lui sa suprématie militaire et le soutien inconditionnel des puissances occidentales. Mais l'Etat palestinien a derrière lui la détermination invincible de son peuple, des facteurs démographiques et sociaux irréductibles et un réservoir de contradictions régionales et internationales qu'aucune puissance financière ou militaire ne peut surmonter si elle continue à vouloir ignorer la centralité de la question palestinienne dans l'architecture des conflits qui font de cette région sensible une poudrière.

Certes, l'Etat de Palestine ne peut faire face à l'étape qui s'ouvre sans tenir compte des contraintes géopolitiques et diplomatiques. Mais l'adaptation nécessaire du programme à la conjoncture diplomatique internationale et régionale ne doit pas sacrifier les aspirations nationales légitimes et les perspectives d'avenir inscrites dans la logique de l'histoire et sans lesquelles aucune paix durable n'est possible.

C'est seulement à cette condition que l'admission de la Palestine à l'ONU entrera dans l'histoire comme elle le mérite : un pas en avant sur le long chemin de la libération de la Palestine. Un pas en avant sur le long chemin d'une paix juste et démocratique qui verra cette région, qui fut un des berceaux de la civilisation de l'humanité, se débarrasser de la domination impériale et des régimes à sa botte et reprendre enfin le fil interrompu de la Nahda, pour contribuer à sa manière et avec son legs spirituel au sauvetage de la nature et de l'humanité contre la catastrophe imminente du matérialisme et du capitalisme.