Nigéria demonstrations against Shell petrol
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Le bras de fer qui oppose les ONG et les communautés locales aux groupes pétroliers dans le delta du Niger vient de connaître un rebondissement sans précédent. La Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a en effet ordonné au gouvernement du Nigeria, le 14 décembre dernier, d'exiger des compagnies pétrolières qu'elles rendent des comptes sur les pollutions successives qui touchent la région depuis plusieurs années.

Alors que le 7 décembre dernier, Amnesty avait organisé une rencontre à Paris avec des représentants de la communauté de Bodo pour sensibiliser aux problèmes de pollution dans le delta du Niger, et notamment les dommages occasionnés par le groupe Shell, l'organisation se félicite dans un communiqué du jugement rendu vendredi 14 décembre par la Cour de justice de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). La Cour a en effet « conclu à l'unanimité que le gouvernement nigérian était responsable des violations commises par les compagnies pétrolières et a indiqué clairement que le gouvernement devait demander aux entreprises et autres responsables de rendre des comptes », explique l'ONG. La pollution et la détérioration de l'environnement dans la région prive en effet agriculteurs, pêcheurs et population du « droit à l'alimentation et à la vie sociale », « détruisant ainsi leur possibilité de gagner leur vie et de jouir d'un niveau de vie sain et suffisant ».

« Incapacité du gouvernement à promulguer des lois efficaces »

La communauté Bodo, particulièrement touchée par les marées noires à répétition qui sortent des pipelines du delta du Niger, a eu le triste privilège de subir en 2008 deux pollutions dont Shell a reconnu en partie la responsabilité : à hauteur de 4 000 barils, précisément. Mais Amnesty, qui s'appuie notamment sur une enquête de terrain dont les résultats avaient été publiés en novembre 2011, estime ce volume largement sous-évalué et exhorte l'entreprise à accélérer le nettoyage de la zone et l'indemnisation des victimes, dont la situation sanitaire s'aggrave.

« En octobre 2012, plus de quatre ans après les faits, quasiment rien n'a été fait en matière de dépollution et d'indemnisation des populations », estime l'ONG. Sur ces faits, la Cour a statué que l'incapacité du gouvernement à promulguer des lois efficaces et à établir des institutions capables de réglementer les activités des entreprises, associée à son incapacité à traduire en justice les auteurs de la pollution, équivalait à une « violation des obligations et engagements internationaux du Nigeria en matière de droits humains ». Cette décision constitue par ailleurs une avancée considérable dans la responsabilisation juridique des multinationales, et notamment de la société mère, concernant des préjudices commis par une filiale à l'étranger ; un combat juridique mené aujourd'hui par de nombreuses ONG.

Aucune indemnisation des populations

Le gouvernement nigérian avait toutefois annoncé la dépollution du delta un an après le rapport du programme des Nations Unies Pour l'Environnement (PNUE) , très critique sur la gestion des pollutions par l'industrie et le gouvernement. Le programme HYPREP « Hydro-carbon Pollution Restoration Programme », d'après la presse nigériane, aurait commencé avec la mise en place d'un registre médical pour recenser les victimes, des pancartes de mise en garde sur les puits d'eau pollués ou encore de la sensibilisation sur les risques sanitaires liés au raffinage artisanal. Mais aucune indemnisation des victimes n'est prévue, alors que les représentants de la communauté Bodo avaient insisté sur le fait que que beaucoup d'habitants sont en train de perdre la santé, après avoir perdu leurs moyens de subsistance, pêche et agriculture.

« Cette décision de justice marque donc un tournant dans la responsabilisation des gouvernements et des entreprises en matière de pollution », ont déclaré Amnesty International et le Projet pour la responsabilité et les droits socio-économiques (SERAP). La Cour a également déclaré que « le gouvernement et les compagnies pétrolières avaient violé les droits fondamentaux et culturels des peuples de la région » Cet arrêt confirme l'incapacité du gouvernement nigérian à condamner les compagnies pétrolières « qui ont causé la pollution et perpétré de graves violations des droits humains, et constitue une étape importante vers la responsabilisation des entreprises publiques et pétrolières qui continuent à privilégier le profit aux dépens du bien-être des peuples de la région », ont déclaré Femi Falana SAN et Adetokunbo Mumuni au nom du SERAP.

Par ailleurs, cette décision intervient alors que du pétrole est découvert dans d'autres États d'Afrique de l'Ouest. « Il est essentiel pour les autres États de tenir compte de cet arrêt, qui fixe des normes minimales à respecter pour les gouvernements et les compagnies pétrolières impliquées dans l'exploitation du pétrole et du gaz dans la région », ont ajouté Femi Falana et Adetokunbo Mumuni.

Rappelons qu'un procès doit également s'ouvrir à Londres en 2013 contre Shell (groupe anglo-néerlandais). Pour obtenir réparation, les habitants du delta s'étaient d'abord tournés vers la justice du Nigéria, mais ils avaient été déboutés. Face à cette impossibilité de recourir à la justice locale, 11 000 habitants des villages Bodo se sont alors regroupés dans une class action devant la haute cour de Londres. Menée par le cabinet anglais Leigh Day, cette procédure pourrait déboucher sur l'ouverture d'un procès fin 2013, selon l'avocat Martyn Day.