People making trash cans to be able to eat
© InconnuScène ordinaire à la sortie des poubelles devant une supérette du centre-ville à Châtellerault.

On les appelle les « glaneurs ». Ils font les poubelles des supermarchés pour se nourrir. Un phénomène qui traduit une aggravation de la pauvreté en ville.

Un vendredi soir devant une supérette en plein centre-ville. Huit personnes, des femmes, des hommes et un enfant, patientent depuis une vingtaine de minutes dans le froid.

Les uns sont venus en voiture ; d'autres, des jeunes, en scooter. Deux sont visiblement des SDF. Tous sont là pour « glaner », un euphémisme pour désigner pudiquement une triste réalité. Faire les poubelles pour trouver de quoi se nourrir. Vingt heures. Les employées du magasin sortent un container. Le groupe se rue dessus. Les gens fouillent sans ménagement dans les détritus. La récolte est maigre, quelques légumes, du thon en boite, une canette. Triste pitance. La scène n'a duré que quelques minutes.

« Là, ils n'ont pas mis de salade ni de poireaux »

Impossible de nouer le contact avec les glaneurs :
- « Bonsoir, je suis journaliste... »
- « Oh, la, la, laissez-moi tranquille, je suis une maman », répond en se retournant une femme d'une cinquantaine d'années. La dernière à tenter de récupérer quelques miettes dans le container est une retraitée. « Là, ils n'ont pas mis de salade ni de poireaux. Pendant un temps, ils en jetaient beaucoup plus mais comme les gens leur faisaient des saletés... », regrette la vieille femme. Manteau élimé, elle dit avoir 85 ans, vivre seule et avoue « faire ça depuis longtemps ». Mais pas pour elle, affirme-t-elle, sans qu'on la croie vraiment. « J'aide certaines personnes avec un handicapé, des gens que je connais [...]
Moi, je me débrouille avec ce que j'ai. J'ai été habituée », assure l'octogénaire en extrayant des ordures une bouteille de jus d'orange à moitié pleine qu'elle range soigneusement dans son sac. Elle rentrera chez elle à pied.
Le « glanage » n'est pas nouveau mais tend à se développer. C'est un marqueur de la crise et de la pauvreté. Le gérant du magasin concerné, Jean-Charles Roy, voit ça toutes les semaines. En tout cas depuis qu'il est arrivé, il y a deux ans et demi. « Ce n'est pas récent, confirme-t-il. « Nous, on suit la procédure. On met de la javel sur les produits périmés. Mais, ça ne les arrête pas ! »»

La misère, c'est ici et maintenant.

Le chiffre

15

C'est en pourcentage, la part des Châtelleraudais qui vivaient en 2009 avec un revenu inférieur ou égal à 942 € par mois (source Insee). Soit 12 639 personnes. Selon les données fournies par le CCAS, le revenu moyen est aujourd'hui de 19 350 € sur la zone d'emploi, contre 20 279 € pour la moyenne départementale et 22 000 € au niveau national. « Au regard de la situation de 2009, la situation n'est pas catastrophique mais elle est problématique », analyse Françoise Braud, adjointe au maire chargée de l'action sociale.

A savoir

2 750 bénéficiaires du RSA sur la ville. Parler de pauvreté à Châtellerault, c'est d'abord essayer de dessiner une tendance dans les chiffres. Ceux du RSA (revenu de solidarité active mis en place en 2009) par exemple. Pour la ville, le nombre de bénéficiaires s'élève à 2.750 en 2012 (*), selon les statistiques fournies par le conseil général. L'augmentation est bien réelle depuis 2010 (+ 35,8 %) et par rapport à 2011 (+ 16 %).

« On s'attend à une progression pour la suite, explique Brigitte Hummel, directrice de l'insertion au Département. Ce sont les effets à retardement de la crise. Les personnes qui n'ont pas retrouvé un emploi arrivent aujourd'hui en fin de droits ».

La part de Châtellerault sur le nombre total des bénéficiaires du RSA dans la Vienne représente un quart.

A noter que sur l'ensemble du département, 52 % des allocataires sont seuls sans enfant et 32 % en famille monoparentale. « L'isolement est un facteur de précarité », commentent les services du conseil général.

Près de 58 % des gens sont dans le dispositif depuis 2 ans et 70 % dans la tranche 25-49 ans. Vu le contexte, la difficulté est grande d'assurer actuellement le volet « accompagnement » du RSA. La « concurrence » entre les différents dispositifs n'est évidemment pas favorable au public qui est le plus éloigné de l'emploi.

(*) Le chiffre comprend le RSA « socle » (seul), le RSA « socle + activité » et le RSA « activité ». Les deux premiers sont pris sur le budget du département, le 3e pris en charge par l'État.