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Portrait anonyme de Mozart à 21 ans (1777). Crédits photo : ©Luisa Ricciarini/Leemage
La musicologue Michèle Lhopiteau et le Dr François Cerutti pensent que la mort du compositeur à 35 ans est due à un remontant du professeur de médecine Gerhard van Swieten.

C'est une énigme à succès, attisée par la force particulière du Requiemde Mozart . Le compositeur s'est vu mourir en l'écrivant. Sa messe des morts recèle plus qu'aucune autre la douleur tout en rayonnant d'une lumière étrangement apaisée qui fait songer à l'espérance. Quel mal, quel crime a privé l'humanité d'un tel génie? Quel mal, quel crime a ouvert l'oreille de Mozart sur l'absolu mystère ?

«De quoi meurt-on à 35 ans?», s'est demandée la musicologue Michèle Lhopiteau. S'appuyant sur la correspondance de Mozart, les souvenirs laissés par ses amis et par Constance et la déclaration de «mort par fièvre miliaire» du Dr Closset, elle a travaillé avec l'aide du médecin légiste François Cerutti à découvrir ce que cachaient les symptômes rapportés dans ces divers témoignages. Quitte à ajouter un chapitre de plus à une série de conjectures qui prospèrent depuis le fatal 5 décembre 1791.

«En 2010, Lucien Karhausen, chercheur et psychiatre germanique, a pu identifier 140 diagnostics différents sur la mort de Mozart», précise François Cerutti. Grippe, streptocoque, hémorragie cérébrale, obésité, empoisonnement par Salieri jaloux ou les francs-maçons furieux de voir leurs rites révélés dansLa Flûte enchantée, syndrome maniaco-dépressif... Impossible de contenir les hypothèses, faute de vérification anatomique: si le corps de Mozart n'a pas été jeté à la fosse commune puis recouvert de chaux, comme on le voit dans le film de Milos Forman, Amadeus, on n'a jamais précisément pu le retrouver. «Il n'empêche: depuis 1994, la thèse officielle est celle du médecin viennois Anton Neumayr, qui conclut à une fièvre rhumatismale aiguë. Primo, ce genre de maladie n'est pas mortel. Secondo, dans une lettre du 8 octobre 1791, deux mois avant sa mort, Mozart écrit à Constance qu'il a tenu la partie de glockenspiel dans La Flûte. Comment jouer cette redoutable partie de clavier quand on souffre de rhumatisme articulaire ?», disent Michèle Lhopiteau et François Cerruti.

Et de revenir sur le dernier trimestre de la vie de Mozart. En 1791, le compositeur a une année chargée. En juillet, un inconnu lui passe commande du Requiem, alors qu'il est en train de travailler à La Flûte enchantée, créée le 30 septembre. Début août, il reçoit la commande de La Clémence de Titus, qu'il doit composer en trois semaines pour le couronnement de Léopold II. Pour soutenir pareil rythme de travail, le compositeur doit prendre «beaucoup de médecines », dont les flacons jonchent sa chambre. Constance, qui vient d'accoucher d'un fils et se repose à Baden, rentre à Vienne le 16 octobre. Mozart se plaint. «Épisodes de grande fatigue, vertiges, grande douleur dans les reins, langueur générale qui l'envahit petit à petit et lui donne l'impression d'avoir été empoisonné, œdèmes généralisés, vomissements fréquents. Tout ceci réunit bien les symptômes d'une intoxication sévère, rapidement péjoratifs et mortifères», résume le Dr Cerutti, qui soutiendra cette thèse le 14 janvier devant la Société française de médecine légale, à l'Odéon. Parmi la liste des remontants en vogue à l'époque, le couple de chercheurs trouve la «liqueur de Van Swieten », potion aux propriétés antiseptiques, antiparasitaires, antisyphilitiques et purgatives.

Généreusement distribuée dans toute l'Europe, elle a été fabriquée par le baron Gerhard van Swieten, professeur de médecine, médecin de l'impératrice Marie-Thérèse et père de Gottfried van Swieten, ami proche de Mozart. En 1863, François Raspail le dénonçait comme un poison, tandis qu'en 1880 Augustin Gilbert la retirait de la pharmacopée française. «Combien de morts avaient fait cette potion par intoxication mercurielle causant une néphropathie aiguë auxquels correspondent exactement les symptômes que ressentit Mozart ?», s'interrogent les deux chercheurs, encore tremblants de leur découverte.

De fait, elle ébranle quelques-unes des légendes que l'Autriche révère: par-delà l'autorité du Dr Neumayr, elle jette le discrédit sur van Swieten, dont la statue trône à Vienne près de la Hofburg et dont le profil a été reproduit, en 2007, sur des billets de 50 €. Elle se mêle aussi de jeter une lumière un peu trop éclatante sur le mystère de la mort de Mozart au risque de s'attirer les foudres du Mozarteum de Salzbourg, qui n'aime pas qu'un quidam ose toucher à ses dieux.

«Mozart. Rêver avec les sons» par Michèle Lhopiteau-Dorfeuille, Éditions Le Bord de l'Eau.