Traduit par Hélios pour le BBB.

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En tant que pathologiste, Michael Zimmerman avait l'habitude des corps de personnes décédées, mais quand on lui a demandé de faire pour la première fois l'autopsie d'une momie, il ne savait pas à quoi s'attendre. Il y avait une douzaine de couches d'emballage, qu'il a ôté une à une. Une fois cela terminé, il a découvert un corps brun foncé et rigidifié. ''Son odeur était comme celle de vieux livres.'', dit-il.

C'était il y a plus de trente ans. Aujourd'hui, ayant disséqué et passé au scanner des momies du monde entier - certaines anciennes et d'autres juste âgées de deux ou trois siècles - Zimmerman a commencé à tirer des conclusions sur santé et maladie des ères passées. Son travail et celui d'autres paléopathologistes, comme on les nomme, a commencé à remettre en question des hypothèses sur les maladies causées par le mode de vie moderne et celles qui datent du temps des pharaons.

''L'étude des momies ajoute une importante notion de temps à notre compréhension des maladies et de leur rôle dans le modelage de la biologie et de l'histoire humaines,'' dit-il. ''Les momies nous donnent des informations sur l'évolution de la maladie...Il est important de ne pas considérer la maladie comme une chose figée.''

Zimmerman avait au départ envisagé une carrière médicale plus traditionnelle, mais ses plans ont changé en 1969, quand il travaillait à ce qui s'est appelé ensuite le centre médical militaire Walter Reed. Il y rencontra un étudiant en médecine qui avait une passion pour les momies.

L'étudiant avait essayé un jour de disséquer une momie égyptienne qui devait dater de 3000 ans, mais cela s'avéra être un faux. Zimmerman dit :''Il y avait à l'intérieur un morceau d'un journal de Milwaukee datant de 1898''.

Une mine d'informations

L'étudiant en médecine n'a jamais pu résoudre le mystère de l'auteur de la momie bidon, mais il se débrouilla pour en acquérir une vraie, venant cette fois du Smithsonian et il demanda à Zimmerman de diriger l'autopsie. Celle-là était une vraie bonne affaire. Elle venait des îles aléoutiennes et avait 200 ou 300 ans. C'était la coutume à cette période pour le peuple aléoutien de momifie ses morts en les plaçant dans des grottes aux conduits d'air chaud qui les desséchait naturellement. Sans humidité, la croissance de bactéries qui décomposent le corps est inhibée.

Quand on autopsie un corps frais, la couleur et la souplesse des tissus donne une information sur la maladie, mais dans le cas évoqué tout était brun et rigidifié. Zimmerman a donc découpé les organes et en a prélevé de minces tranches qu'il a réhydratées puis examiné sous le microscope.

Le corps, a-t-il dit, était celui d'un homme d'âge moyen. Zimmerman pouvait voir que le lobe de l'un des poumons était infecté par des bactéries. Il est mort d'une pneumonie aux Klebsiellas (ou pneumobacilles), maladie qui peut toucher les sans abri et les alcooliques, gens exposés à de grands froids. Il y avait aussi des abcès aux reins et dans le cœur. La bactérie tueuse de l'homme s'était momifiée en même temps que lui.

Zimmerman était intrigué, il réalisait que les momies détenaient une richesse inexploitée d'informations sur l'évolution des maladies humaines et sur l'histoire de l'homme. Il décida d'obtenir un doctorat en anthropologie pour pouvoir être compétent lors d'examens des momies d'un peu partout. Cela lui prit dix ans, mais cela a marché. Aujourd'hui, alors qu'il est officiellement rattaché à l'université Villanova près de Philadelphie, il a voyagé dans le monde entier pour examiner des momies à la demande de musées, de professeurs d'université et d'autorités légales. Quand un corps préservé d'apparence ancienne est trouvé, il y a presque toujours un mystère à résoudre, dit-il : qui était cette personne, et qu'est-ce qui a causé sa mort ?

Un enfant tuberculeux

En 1979, Zimmerman prit part à une expédition en Égypte, où il examina le corps momifié d'un enfant de 6 ans remontant à 1300 ans avant JC.

En colorant des échantillons de ses tissus pulmonaire, il découvrit l'agent pathogène qui cause la tuberculose, établissant ainsi le plus vieux cas connu jusqu'ici de cette maladie. La seule preuve antérieure de tuberculose remontant d'aussi loin venait d'une œuvre représentant des personnages avec des déformations osseuses caractéristiques.

En 1991, le directeur du département d'anthropologie de l'université autrichienne d'Innsbrück l'appela après la découverte d'un corps congelé âgé de 5300 ans, ''Otzi, l'homme des glaces'' retrouvé dans des montagnes voisines et préservé par la glace et la neige. Il rata l'occasion d'examiner le corps quand les scientifiques réalisèrent que l'endroit final où reposait Otzi se trouvait du côté italien de la frontière et que les autrichiens devaient le remettre à un musée italien. Un scanner y révéla la cause de la mort : une pointe de flèche logée dans l'épaule gauche d'Otzi.

Au cours des années, Zimmerman a vu des momies avec de l'arthrite, un pied-bot (Toutankhamon en était atteint), une cirrhose du foie et des plaques dans les artères - maladies semblables à celles que voient les médecins dans les autopsies aujourd'hui.

Il n'est pas difficile de trouver des momies, dit-il. Quand les égyptiens actuels ont construit des routes, il y a eu tellement de momies qui ont été retrouvées durant les creusements que les ouvriers les brûlaient pour se chauffer. Depuis la momie du Smithsonian, il en a examiné 200 ou 300. À ses débuts il faisait une autopsie complète, découpant le corps et enlevant les organes. Maintenant, il utilise des procédés moins endommageants, il utilise l'imagerie du scanner et il insère des endoscopes par de petits trous.
Ce qui l'a étonné c'est que parmi toutes ces momies, il n'ait vu que deux cas de cancer, bien que selon lui les tumeurs sont faciles à identifier. Lors d'une récente conférence à Villanova, il a montré la coupe d'un cancer du rectum trouvé sur une momie égyptienne d'âge moyen, en expliquant que les cellules colorées d'une certaine couleur montraient les signes d'une division cellulaire anormale.

Hypothèse controversée

Zimmerman et le professeur d'université Rosalie David ont écrit un article en 2010 pour le journal Nature sur l'absence de cancer des momies et leur hypothèse sur la possibilité que le cancer puisse être relié davantage aux environnements modernes que ce que l'on supposait. Zimmerman attribue pour la plus grande part cette différence à la présence des fumeurs : il n'y a rien dans les archives historiques ou archéologiques suggérant que les anciens égyptiens fumaient.

L'article a suscité une controverse, certains remettant en question le faible taux de cancer des peuples anciens comme étant principalement la conséquence d'une espérance de vie plus courte - peut-être que les gens ne vivaient pas assez longtemps pour faire un cancer. Mais Zimmerman a dit que même en prenant en compte l'âge, il y a peu de cancer, ce qui est surprenant. Par ailleurs, il voit chez ces momies des ostéoarthrites, des artères bouchées et autres maladies de l'âge. Certains pharaons ont vécu au-delà de 90 ans.

La généticienne Mary Daly du centre cancérologique de Philadelphie a dit qu'il est également probable que l'obésité joue un rôle dans la création plus fréquente de cancers aujourd'hui que dans l'Égypte ancienne. Si vous enlevez les cigarettes et l'obésité de la population actuelle, vous verriez une chute spectaculaire des taux de cancer. Ce qui est essentiellement la population qu'on étudie dans l'Égypte ancienne.

D'autres chercheurs partagent l'intérêt de Zimmerman pour les maladies d'un lointain passé, bien que la majorité étudie les os plutôt que les momies. Les os ont révélé d'anciens cas d'ostéoporose et un déclin frappant de la taille et de la santé globale dans nombre de sociétés après l'adoption de l'agriculture, dont la cause possible serait des conditions malsaines et un changement soudain du régime alimentaire, basé en priorité sur les céréales depuis lors.

Même si les anthropologues qui étudient les os ont l'avantage d'un plus grand nombre d'échantillons, les momies de Zimmerman préservent davantage d'informations. Les deux types d'études peuvent fournir des aperçus dans les causes des maladies, a dit Clark Larsen, anthropologue à l'université de l'état d'Ohio, qui dirige le projet sur l'histoire mondiale des maladies humaines.

Zimmerman se concentre à 75 ans sur la transmission de ses connaissances à la génération suivante de chercheurs. Ils ont les outils dont il a toujours rêvé quand il a débuté, dit-il. Le scanner a amélioré les localisations permettant aux chercheurs de voir détails inimaginables il y a dix ans, et ces dernières années, les scientifiques ont développé la capacité d'extraire et de classer l'ADN à partir de fragments d'anciens os et tissus.

Il a dit que l'avenir était plus intéressant que jamais pour ceux qui choisissent d'étudier le passé lointain, et que davantage de liens avec les maladies de l'homme moderne seront faits.