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« Non au coup d'État des marchés », pour « une véritable démocratie »: les mots d'ordre étaient multiples pour cette « marée citoyenne » du 23 février, jour anniversaire de la tentative de coup d'État qui avait terrifié la jeune démocratie espagnole, le 23 février 1981.
Photo Juan Medina, Reuters
Criant «démission», contre l'austérité et la corruption, une «marée citoyenne» de dizaines de milliers de personnes a envahi Madrid samedi, au moment où l'Espagne, minée par un cocktail explosif de chômage et de récession, s'interroge sur ses institutions ébranlées par des scandales en série.


Dans le hurlement des sifflets et des percussions, enseignants en vert, médecins et infirmières en blanc, écologistes, groupes de la mouvance des «indignés», pompiers casqués ou mineurs du nord de l'Espagne, en noir, ont convergé vers la place de Neptuno, près du Congrès des députés.

«Démission», hurlait la foule, dans une marée de pancartes blanches portant un seul mot, «NO», frappées d'une paire de ciseaux, symbole des coupes budgétaires.

«Nous en avons ras le bol», lançait Luis Miguel Herranz Fernandez, un médecin hospitalier de 38 ans, en dénonçant «les coupes budgétaires, la corruption, la baisse de qualité du système de santé».

«Dans n'importe quel pays, cela servirait à quelque chose, mais ici, cela ne sert à rien. Le gouvernement ne nous écoute pas», s'indignait le jeune médecin alors que la foule multicolore déferlait sur les avenues.

«Nous sommes ici tous unis, les médecins, les pompiers, les mineurs, et cela leur est égal».

«Non au coup d'État des marchés», pour «une véritable démocratie»: les mots d'ordre étaient multiples pour cette «marée citoyenne» du 23 février, jour anniversaire de la tentative de coup d'État qui avait terrifié la jeune démocratie espagnole, le 23 février 1981.

Une fois le rassemblement dispersé, quelques incidents ont éclaté dans les quartiers alentour entre la police antiémeute et de petits groupes de jeunes, qui se sont éparpillés en mettant le feu à des poubelles. Douze personnes ont été interpellées, selon la police.

Comme à Madrid, des «marées citoyennes» ont été organisées dans de nombreuses villes d'Espagne, rassemblant notamment des milliers de personnes à Barcelone, Valence, La Corogne, Séville ou Bilbao.

«Nous sommes très en colère», s'écriait Cristina Martin Benito, une infirmière de 35 ans vêtue de la chemise blanche de la «santé en lutte». «Nous revendiquons la nécessité d'être protégés un peu plus, nous les citoyens, et pas les banques».

Parmi la foule encore, des salariés d'Iberia, la compagnie aérienne qui doit supprimer 3800 emplois, en gilets jaune fluorescent, les mineurs, casque et lampe sur le crâne, dénonçant derrière une grande banderole «la fermeture des bassins miniers, sans activité alternative».

Cible de la colère des manifestants: la politique d'austérité menée depuis un an par le gouvernement de droite de Mariano Rajoy, visant à récupérer 150 milliards d'euros d'ici 2014.

Alors que tous les clignotants sociaux sont au rouge, que le pays en récession affiche un chômage de 26%, la grogne est accentuée par l'aide européenne de plus de 41 milliards d'euros accordée aux banques, une injustice pour beaucoup d'Espagnols.

Les affaires de corruption qui éclaboussent les grandes institutions du pays renforcent encore le malaise. Samedi, des drapeaux républicains, rouge, jaune et violet, flottaient dans la foule.

Car la monarchie, jusque-là réputée intouchable, se retrouve prise dans la tourmente d'un scandale sans précédent: le gendre du roi Juan Carlos, Iñaki Urdangarin, était interrogé samedi par un juge des Baléares dans une enquête sur le détournement de millions d'euros d'argent public.

Au point que la Maison royale a dû, vendredi, publier un démenti face à des rumeurs sur une éventuelle abdication du roi, âgé de 75 ans.

En janvier, c'est le nom de Mariano Rajoy qui était apparu dans une liste, publiée par le quotidien El Pais, de bénéficiaires présumés de paiements occultes.

«C'est une accumulation. Le chômage, la corruption, l'absence d'avenir pour les jeunes», résume Luis Mora, employé dans le secteur de la construction de 55 ans. Il est venu manifester vêtu d'une blouse blanche sur laquelle il a épinglé des enveloppes, devenues en Espagne symbole d'indignation contre la corruption, où sont inscrits des chiffres: «10 000 euros», «20 000 euros».