Traduit de l'anglais par Maat pour Info-Paranormal

The Religious experience of Philip K. Dick_illustration
© Inconnu

Dans cet article, John Keel aborde les expériences d'illumination et d'éveil et en particulier celle du célèbre auteur de science-fiction, Philip K. Dick. Avec sa verve habituelle, il nous livre ses réflexions sur ce phénomène qu'il a lui-même vécu...

(Certains lecteurs pourraient se plaindre que l'article qui suit soit écrit à la manière d'une critique de livre du New York Times. À savoir que le critique consacre généralement huit mille mots à dire ce qu'il sait du sujet qu'il a sous la main et à prouver que sa connaissance est grandement supérieure à celle de n'importe qui d'autre, puis, si l'auteur du livre a de la chance, il consacre le dernier paragraphe à la critique du livre... généralement en ricanant et en le méprisant.)
C'était après minuit, au printemps 1872, un cab roulait lentement à travers le brouillard du Londres de Sherlock Holmes. Le jeune Richard Maurice Bucke était assis bien droit, d'humeur tranquille et méditative, les épaules secouées par les mouvements irréguliers des roues du cab sur les pavés usés. Soudain, comme il s'en rappellerait plus tard, un nuage couleur de flamme sembla l'envelopper. Au départ, il crut que la ville était en feu. Puis, le nuage lumineux sembla pénétrer son corps et des coups de foudre frappèrent dans son cerveau. Pendant un bref instant, il sentit qu'il ne faisait qu'un avec l'univers et toute la connaissance - passée, présente et future - ricocha dans les coins de son esprit, et il se sentit différent. Transformé en quelque sorte. [Tiré de The Eight Tower, 1976, de John Keel]
Le Dr Bucke en vint à devenir l'un des psychiatres les plus brillants du Canada. Et il fut le premier à tenter d'étudier l'étrange phénomène qui l'avait englouti dans le brouillard londonien. Puis, en 1901, il glissa sur du verglas et se fracassa la tête. Mais pas avant d'avoir produite le classique La Conscience Cosmique, qui est toujours disponible en libraire.

Maintenant, faisons un bond jusqu'à l'année 1948. Un garçon de 18 ans, nouvellement arrivé d'une ferme, vit dans une chambre meublée bon marché à quelques pâtés de maison de Times Square, dans la ville de New York. Au milieu de la nuit, il est réveillé par une étrange sensation. Sa chambre est baignée d'une lumière indescriptible, une lueur rosée qui le conduit à penser que l'immeuble est en feu. Avant de pouvoir bouger, son esprit est inondé d'un torrent d'informations. Miraculeusement, il comprend tout. Tout ce qui est arrivé, tout ce qui arrivera et la signification de tout cela ! Bien qu'excité, il se rendort. Le lendemain matin, il se souvient clairement de l'événement. C'est gravé dans son esprit. Mais toutes les informations sont perdues. Il ne parvient à se souvenir d'aucune d'entre elles. Avec les années, il réalisera qu'elles avaient pénétré dans son subconscient et de petites parties remonteront à la surface de temps en temps.

Ce garçon de 18 ans, c'était moi. Pendant de nombreuses années, je n'ai jamais mentionné l'incident à quiconque, bien qu'il eut été si resplendissant que j'y pensais souvent. Ce n'est qu'à partir des années 1960 que je découvris que d'autres personnes avaient vécu la même expérience. En fait, il est probable que ce soit arrivé à des millions de personnes à chaque génération. C'est connu sous différents noms... illumination, transcendance mystique, illumination cosmique, etc. Beaucoup de percipients modernes sont faussement menés à croire que c'est cela « Renaître ». D'autres y voient un « appel » et rejoigne la prêtrise. D'autres encore, souvent des gens de condition humble, quittent leur travail, plaquent leur famille et adoptent un tout nouveau style de vie, devenant de célèbres meneurs dans les arts, en politique et en religion. La seule chose qui devienne claire lorsque vous étudiez ce processus, c'est qu'un pourcentage assez élevé de la race humaine est ouvertement manipulé par l'Illumination, et ils conduisent le reste de l'humanité vers de futurs événements, souvent de nature désastreuse, qui semble prévus. La religion tente mollement d'expliquer cette manipulation. Les hommes en sont conscients depuis qu'ils occupent des cavernes et gravent des calendriers dans les os. Toutes les civilisations se sont développées - et se sont effondrées - à cause de cette connaissance. La source de cette manipulation semble être inconnaissable et indéfinissable. Aussi l'humanité a imaginé une longue série de dieux et de démons anthropomorphiques pour partager la faute. Depuis les temps les plus reculés, nous avons arrachés des cœurs battants et menés d'horribles guerres brutales dans le cadre de cette manipulation. En ce moment même, plusieurs guerres de religion font rage sur cette boule de boue pathétique.

Les victimes de l'Illumination souffrent souvent d'« électricité statique » et le tout provoque des ratés. Les gens qui cherchent délibérément à communiquer avec la Force, comme l'a surnommé George Lukas, finissent généralement par se suicider ou renversés par un camion. Ceux qui dessinent des cercles sur le plancher, allument des bougies noires et agitent des épées dans les airs, connaissent toujours une fin tragique. Les Lamas de l'Himalaya ont découvert qu'il fallait de nombreuses années d'efforts pour atteindre l'Illumination... et ensuite le processus prend entièrement le contrôle. L'adepte qui a réussi devient un zombie quasiment de la même manière que les fanatiques religieux, partout, deviennent totalement dévorés et sacrifient leur individualité à un état d'abrutissement heureux.

Les écrivains de science-fiction jouent avec tout ça depuis de nombreuses années, pondant des livres maladroits vaguement fondés sur de mauvaises interprétations savantes de la littérature phénoménologique. Les histoires d'épée et de sorcellerie forment un genre à part entière. La fantaisie moderne rend hommage à contrecœur à la période très réelle des temps anciens où les hommes comprenaient les forces magiques qui les entouraient et où, en fait, la magie était la vraie science de l'époque.

Certains auteurs de science-fiction ont été frappés par ce grand faisceau du ciel. Feu Philip K. Dick [PKD] (1928-1982) écrivit énormément et obsessivement sur une expérience qui élargit l'esprit. Son roman culte SIVA, un de ses derniers ouvrages, publié par Bantam en 1981, décrit comment un héros plutôt improbable dénommé Fat erre dans la zone d'ombre.
Je vous dis ces choses pour ce qu'elles valent. Elles sont réelles ; elles se sont produites. De l'avis de Fat, son appartement s'était trouvé saturé de radiations d'une espèce quelconque. D'ailleurs il avait pu observer le phénomène : une lumière bleue qui dansait comme un feu de Saint-Elme. Qui plus est, l'aura qui grésillait autour de l'appartement se comportait comme un être vivant et doté d'intelligence. À mesure qu'elle pénétrait à l'intérieur des objets, elle intervenait dans les lois de causalité qui les affectaient. Et lorsqu'elle atteignit la tête de Fat, elle lui transmit, non seulement de l'information, mais encore une personnalité. Une personnalité qui n'était pas celle de Fat. Un individu doté de souvenirs, d'habitudes, de goûts et de manies différents. [SIVA, p 155]
La question devant nous est simple. PKD était-il barjo ? Il passa les huit dernières années de sa vie à parler et à écrire sur son « expérience religieuse ». Il avait appris le véritable sens de l'ancienne phrase « Il a vu la lumière ». Était-il simplement totalement dingue ? Lisait-il mes livres et mes articles ? Se droguait-il ?
Dieu - c'est ce qu'il nous racontait - lui avait braqué un faisceau de lumière rose droit sur le visage, en plein dans les yeux ; il s'était retrouvé momentanément aveugle et avait eu mal au crâne pendant plusieurs jours. Ce faisceau de lumière rose était facile à décrire, selon lui ; ça ressemblait exactement à une lueur entoptique ou à ce qu'on éprouve quand un flash vous éclate dans la figure. Fat était mentalement obsédé par cette couleur. ... Il vivait pour cette lumière, pour cette nuance particulière.

Seulement, il ne put jamais la retrouver tout à fait. Rien ne pouvait susciter cette couleur sauf Dieu. En d'autres termes, elle n'était pas contenue dans la lumière à l'état normal. Un jour, Fat se livra à l'étude d'une représentation du spectre. Sa couleur ne s'y trouvait pas. Il avait vu une couleur que nul ne peut voir, une couleur située au-delà du spectre. [SIVA, p 29]
C'est comme si PKD avait fait l'expérience personnelle de la lumière aveuglante que racontent maintenant d'innombrables contactés ovnis, de témoins d'ange (il y a des milliers de récits de vision d'ange chaque année) et d'observateurs de chimères. Le spectre visible va du rouge à une extrémité de l'échelle, au violet à l'autre extrémité. Au-delà de celles-ci, nous avons l'infra-rouge et l'ultra-violet. Certains humains sont capables de percevoir ces « couleurs invisibles » et jettent un coup d'œil aux limites de tout un univers qui demeure caché pour nous autres. Peut-être que l'univers nous manipule allègrement pour que nous livrions bataille et vomissions nos tripes dans tout le paysage. C'est aussi l'univers qui rabâche une propagande incessante comme un phonographe brisé, génération après génération de prophètes, voyants, contactés, et dans les années 1980, de channels.

Dans une lettre écrite le 20 mai 1977 [dite Lettre à Joan - NdT], PKD révèle que son esprit captait les signaux de ce phonographe brisé, comme la plupart des contactés et des spirites.
« Simultanément, je façonnais ma cosmologie. Quand elle prit enfin forme, en mars 1974, fondée sur mes révélations mystiques, je compris par une intuition noétique que deux forces opposées, deux puissances, deux camps ou deux entités se combattaient dans notre monde, l'utilisant comme un échiquier ou un champ de bataille. Intellectuellement, je pus alors identifier ces deux forces absolues comme étant les deux mêmes que celles que j'avais jusque-là considérées comme terrestres : mon ennemi se confondit avec les Fils des Ténèbres et mes amis se confondirent avec les Fils de la Lumière... pour parler comme Zarathoustra. J'avais été le jouet d'un affrontement cosmique dont le théâtre est la terre. Cette lutte se déroulait dans l'arène de l'histoire humaine. Bien entendu, j'étais un Fils de la Lumière descendu ici, ayant oublié son origine, son identité et son but mais ayant retrouvé le souvenir et la compréhension de tout cela après avoir accompli son œuvre ... je savais désormais qui j'étais, pourquoi j'étais là, et connaissais mon véritable père que j'appelle le Programmateur. »
Le Programmateur ! PKD le barjo ne faisait-il que déblatérer ? Ou se tenait-il au bord d'un univers tout en en scrutant un autre avec une perception et une lucidité plus grandes que la plupart des contactés, des channels et des andouilles spirituelles ?

PKD a vécu une vie torturée, paranoïaque, traqué par l'IRS [administration américaine chargée des impôts - NdT] et autres forces sociales cruelles des années 1970. Bien que je n'aie pu y trouver aucune référence directe, ses écrits laissent entendre qu'il ait pu flirter avec les pentagrammes et les mouvements d'épée dans des chambres obscures. (Peut-être, mais pas que je sache. - PW) En 1970, sa maison fut cambriolée et des explosifs puissants furent utilisés pour ouvrir ses meubles de classement. Il prit la fuite, craignant pour sa vie et se cachant pendant un certain temps de quelque ennemi mystérieux... bien que le FBI, sous J. Edgar Hoover, commettait toutes sortes d'atrocités contre les citoyens normaux et innocents à cette période. À la suite du coup d'état militaire de 1963, nous vivions tous dans un état policier orwellien. Tous les téléphones étaient sous écoute, ou du moins c'est ce qu'il semblait. Tous les courriers étaient ouverts. (La CIA a reconnu avoir intercepté au moins une lettre que PKD avait envoyée à un scientifique soviétique, dans les années 1950. - PW) Le New Age nous attaquait subitement et les planchettes Ouija se vendaient mieux que les boîtes de Monopoly. Le bain de sang inutile au Vietnam s'intensifiait inexorablement. C'était une époque navrante. Une énorme vague d'ovnis mondiale avait enchanté des millions de personnes de 1964 à 1968. L'illumination se produisait en masse... complètement biaisée par des croyances occultes désuètes. Si vous ne croyiez en rien, vous pouviez rejoindre le mouvement toxicomaniaque grandissant qui dominerait plus tard les années 1970 ainsi que la tendance antichrétienne étrangement égoïste du « Moi d'abord »... précurseur à l'avidité totale des années 1980.

Rien de surprenant à ce que PKD ait été entraîné dans toutes ces choses. Il essaya les drogues. Il étudia l'occulte. Et selon Tessa B. Dick, l'une de ses cinq femmes, « ... en mars 1974, nous sentions que nous courrions un réel danger. Quelque chose de menaçant se profilait à l'horizon, à l'abri des regards. Notre radio refusait de fonctionner. Elle se mettait en marche quand elle n'était pas allumée et captait des émissions qui ne venaient tout simplement de la station sur laquelle elle était réglée... Notre téléphone aussi se comportait bizarrement. »

Oui, les radios se comportaient de façon les plus étranges à l'époque. La mienne, y compris. Et les téléphones ! Les téléphones se déchaînaient dans tout le pays. (Voir mon livre La Prophétie des Ombres pour un compte-rendu détaillé de ces problèmes) La paranoïa de PKD n'était pas seulement bien fondée, elle était aussi partagée par un grand nombre d'autres personnes. Nous étions tous manipulés. Nombre d'entre nous étions en plein voyage d'auto-découverte. PKD apprenait l'existence de puissances dont il n'avait jamais été vraiment conscient. « Une partie de mon cerveau est déphasée », faisait-il observer. Ses pouvoirs de précognition le fascinaient et le terrifiaient. Il eut un mauvais pressentiment des semaines avant que sa maison soit cambriolée à Marin County. Il travailla sur SIVA et autres projets « éclairés » avec frénésie parce qu'il savait qu'il y avait un nuage noir juste au-delà de l'horizon. D'après ses lettres, ses livres et ses interviews, il est évident qu'il savait que quand son œuvre serait achevée, il y aurait une tranquillité soudaine.
« Pascal a dit "Toute l'histoire n'est qu'un homme immortel qui ne cesse d'apprendre". C'est cet Immortel que nous vénérons sans savoir son nom », observait PKD.
Comme tous les écrivains, PKD était névrosé. Comme tous ceux qui permettent à leur esprit de fouiller les coins nébuleux de l'existence spirituelle de l'homme, il a souffert. Et en 1982, il « glissa sur du verglas » quand il fut terrassé par une attaque. Son œuvre était achevée. Tous les mots appropriés placés dans le bon ordre. Était-il barjo ? Des millions de lecteurs d'hier et de demain le verront comme un homme très spécial dans un monde atemporel où l'émerveillement est une loi fondamentale comme la gravité.

J. A. Keel, 1987, article paru dans le magazine New Frontiers