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Traduction : Estelle et Carlos Debiasi pour El Correo

A Hugo Chavez, ils ne lui ont pas pardonné même quand il était évident qu'il allait mourir. Quand il a demandé un an à Dieu, quand il a imploré qu'il lui donne du temps. Quand il a utilisé la métaphore de la pleine lune pour donner une idée de quelle forme, ronde, était sa conviction que Nicolás Maduro garantissait la continuité du projet bolivarien. Les haineux, à l'intérieur et en dehors du Venezuela, ne le lui ont pas pardonné, ni ne lui pardonneront jamais, d'avoir été le premier président du monde à déchirer le voile de la grande cochonnerie néolibérale et d'avoir dynamisé par des idées et du pétrole une région qui juste quatre ou cinq ans après, comme résultat de la grande crise, a voté pour ses collègues de route, les présidents latino-américains qui ont fait que cette région, pour la première fois en deux cents ans, croît, mais pas grâce à plus d'inégalité. Ceci est une donnée ferme. Ici ou là-bas, plus ou moins, meilleur ou pire, d'abord une chose ou l'autre, avec un style ou un autre, mais ils l'ont fait. Ces pays, les nôtres, dans la « décennie gagnée », ont progressé économiquement et socialement. C'est cela qu'ils ne lui ont pas pardonné, ni lui, ni aux autres. Qu'il ait mis l'esprit, le cœur et les politiques sur le social, c'est ce qu'aujourd'hui l'Occident cache sous le tapis.

Chavez a rendu évident ce qui semblait impossible. Que l'on peut être un militaire qui défend sa patrie, mais que la patrie est le peuple, et non les financiers nantis. Que l'on peut redistribuer vers le bas la rente de ce pourquoi on envahit les pays, on ment à l'opinion publique, on tue et on meurt. Les États-Unis vont en guerre pour du pétrole et Chavez l'offrait ou baissait le prix de celui-ci pour les amis. Et ses amis n'étaient pas PDG des holdings ou des banques ou des multinationales : ils étaient les présidents d'autres peuples qui voulaient sortir la tête de l'eau après une souffrance populaire qui avait duré des générations.

Avec sa franchise effrontée, Chavez a dit au monde : eh, les coupes ne sont pas inévitables ; les banques ne sont pas des dames de charité ; ce qui est à nous est à nous et à tous, aussi pour les sans papiers et les pouilleux. Chavez a aussi dit : eh, il n'y a pas de raison et ce n'est écrit nulle part, que ce que nous vivons jusqu'à aujourd'hui continue de la sorte et dans les mêmes mains qui volent. Le monde lui est tombé dessus mais il a dit : « Cela ne m'importe même pas de défendre mon honneur. Je veux seulement défendre ma patrie ».

L'Europe continue sans se rendre compte, ou peut-être bien, que se rendre compte ne suffit pas, et il faut espérer qu'émergent des leaders qui synthétisent et conduisent les désirs collectifs de changement. Chavez n'a pas eu peur de choses qui auraient hérissé tout homme sensé. Après, les autres l'ont suivi, et sur ce point comment ne pas se souvenir de Nestor Kirchner quand, avant la plus grande refonte de dette de l'histoire, il leur a collé son diagnostic irréfutable, le même auquel, dix ans après, commencent à parvenir les Européens : ce fut quand il a dit que « les morts ne paient pas ».

Aujourd'hui, peu de choses restent déjà de ces Européens indignés qui sont sortis dans les rues en 2011. Ou au moins, les grands médias ne rendent plus compte de ce qui est arrivé à ces jeunes qui remettaient en question le Système, mais continuaient d'identifier le Système, à la politique, comme si c'était inévitable que la politique fut une seule chose : de la pure crasse.

Chez nous, nous savons ce qu'est de combattre dans l'urgence : pendant les années 90 en Argentine, on n'a pas parlé politique mais faim et chômage. En Espagne, leur sont tombées dessus les pluies toxiques des coupes budgétaires, et les « expulsions » : cette guillotine qui coupe à la racine l'envie de vivre de ceux qui d'un jour à l'autre perdent leur toit. Ces bonzes et suicidés avec prénom et nom de famille, individualisés encore grâce aux couches de l'État de Bien-être que la Troïka veut démanteler, expriment en Europe ce qu'en Amérique Latine - un continent jusqu'à il y a peu « à sacrifier » - ont exprimé des millions d'exclus que le même Système et les mêmes politique ont craché pendant des années.

Dans un article récent, l'essayiste et traducteur basque Gorka Larrabeiti met en lumière le piège attrape-nigaud qu'est aujourd'hui l'Europe. Comme le démontrent les brèves nouvelles de ces derniers jours. Ainsi : au Portugal, simultanément dans 39 villes, la foule a chanté l'hymne de la Révolution des Oeillets contre la Troïka. En Italie, il est difficile de former un gouvernement. Resurgi Berlusconi et surgi, Beppe Grillo, qui se dit « ni de gauche, ni de droite ». En Allemagne un Parti Anti-euro est déjà formé. S'élèvent davantage de voix qui réclament le retour aux monnaies nationales, parce que l'euro-Europe est perçue comme une entrave à l'autodétermination des peuples. En France, la droite de Marine Le Pen demande « solennellement » un référendum pour sortir de l'euro et maudit autant l'Union européenne que « l'Union soviétique ». aux Pays-Bas, Geert Wilders, leader du Parti de la Liberté, annonce un mix de mesures anti-immigration d'extrême droite et de politiques combinables avec un État de Bien-être pour les « purs ». En Belgique, le maire populaire d'Anvers, Bart De Wever, a mis en place un impôt spécial pour les citoyens non belges. En Slovénie, un gouvernement corrompu tombe et un gouvernement « technique » est formé. Les États-Unis annoncent leur propre coupe budgétaire, et des millions de personnes se préparent à vivre pire.

Aucunes d'elles ne sont, aux yeux des grands médias, des « sociétés divisées », comme l'Argentine n'était pas divisée en 1999, quand a gagné l'Alliance. Hugo Chavez gouvernait déjà au Venezuela, mais il paraissait être un militaire de plus parmi ceux à qui le Pentagone donnait le ok. Les sociétés n'étaient pas divisées parce qu'il n'y avait pas de lutte du pouvoir. Changer la direction du pouvoir était inimaginable : il était cloué en un point fixe.

C'est cela qu'ils ne pardonnent pas à Hugo Chavez : il a été le premier à bouger l'aiguille qui était fixe. Il l'a inclinée vers le peuple et il a payé le prix, il a tout donné, jusqu'à sa vie, et sa mort est la preuve de ce que « vouloir se perpétuer au pouvoir » était encore une stupidité de plus parmi les nombreuses entendues chaque jour. Ce que Chavez voulait que soit affirmé, prolongé et développé, n'était pas sa permanence au pouvoir, mais celle de l'aiguille indiquant le bas. C'est cela qu'ils ne lui pardonnent pas.