Violences policières en France
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Dans les affaires de violences policières, il y a les expertises et les contre-expertises médicales. Et si elles vont dans le même sens, défavorable aux policiers, de nouvelles expertises. Parce qu'à la fin, il y a une certitude : il n'y aura pas de procès. Cette tradition française, dénoncée à maintes reprises par les organisations de défense des droits de l'homme, la cour d'appel de Versailles l'a encore honorée, en confirmant, en moins d'un mois, trois ordonnances de non-lieu. A chaque fois, les magistrats justifient leur décision par les « divergences » entre experts.

La chambre de l'instruction de la cour d'appel a clos, le 22 février, le dossier Mahamadou Marega, mort le 30 novembre 2010 à la suite d'une intervention policière à Colombes (Hauts-de-Seine). Puis, le 28 février, celui d'Ali Ziri, mort le 9 juin 2009 après son interpellation à Argenteuil (Val-d'Oise). Et, enfin, le 12 mars, celui d'Abou Bakari Tandia, mort le 24 janvier 2005 six semaines après être tombé dans le coma en garde à vue à Courbevoie (Hauts-de-Seine). Les parties civiles se sont pourvues en cassation. « La chambre de l'instruction exige des certitudes. Ce n'est pas son rôle, estime Me Yassine Bouzrou, l'avocat de la famille Tandia. A ce stade, seules des charges suffisantes sont nécessaires. »

Les incohérences éclatent au grand jour

Cette dernière instruction est peut-être la plus symbolique, en termes de dissimulation et de lenteur. Le 6 décembre 2004, M. Tandia sort de garde à vue dans le coma. Les policiers assurent qu'il s'est tapé lui-même la tête contre la porte dans sa cellule. Le parquet de Nanterre classe sans suite.
A la suite d'une plainte de la famille, une instruction est ouverte pour « torture et actes de barbarie ayant causé la mort » et les incohérences éclatent au grand jour : une caméra de surveillance opportunément débranchée, un dossier médical qui disparaît puis réapparaît. Une expertise de trois médecins de l'Institut médico-légal (IML) conclut en 2009 à « un ébranlement cérébral par violentes secousses de la victime » et met en doute les déclarations de l'un des policiers, puis, en 2011, après une reconstitution, attribue le coma à « une privation d'oxygène due à des contentions répétées ».

Le juge d'instruction demande alors au parquet d'élargir sa saisine à un « homicide involontaire ». Le procureur suit, et demande même la mise en examen du policier qui a maîtrisé M. Tandia. Mais entre-temps, le juge a changé, et il refuse, dans l'attente de nouvelles expertises, confiées à un autre médecin. Celui-ci reprend la version policière en tout point.

La technique du « pliage »

C'est ce même professeur, spécialiste d'anatomie pathologique et de médecine légale, qui, appelé à la rescousse dans l'affaire Marega, estime que cet homme de 38 ans est mort d'une « crise drépanocytaire aiguë », conséquence d'une maladie génétique très courante et indétectable, la drépanocytose.

Rien à voir, donc, avec son arrosage au gaz lacrymogène, suivi de 17 tirs de pistolet à impulsion électrique (Taser), dont certains à bout portant, ou du « pliage » (technique de contention) subi dans l'ascenseur, pour le maintenir dans cet espace réduit. D'ailleurs, le contre-expert n'a trouvé qu'un seul impact de Taser - ce qui contredit l'ensemble des éléments du dossier. Le premier rapport, rédigé par l'IML, avait conclu « à la mort par insuffisance respiratoire aiguë massive par inhalation d'un toxique dans un contexte de plusieurs contacts de tir de Taser avec cinq zones d'impact ».

Dans l'affaire Ziri, les médecins de l'IML sont aussi assez sûrs d'eux : la technique du « pliage » - prohibée - est en cause. Ce retraité de 69 ans, interpellé de façon musclée à Argenteuil alors qu'il était le passager d'un conducteur arrêté en état d'ivresse, est « décédé d'un arrêt cardio-circulatoire (...) par suffocation multifactorielle (appui postérieur dorsal, de la face et notion de vomissements) ». Mais d'autres médecins optent pour une maladie « méconnue », une cardiomyopathie.

« Toutes mes demandes ont été refusées »

Le juge n'a pas cherché à en savoir plus : il n'a produit aucun acte d'enquête durant son instruction pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Dans l'affaire Marega, Me Marie-Alix Canu-Bernard, avocate des proches, s'est aussi heurtée à un mur : « Toutes mes demandes ont été refusées ».

La dernière a été rejetée par la chambre de l'instruction, qui a estimé, dès avril 2012, que l'enquête allait de toute façon se conclure par un non-lieu. Et le magistrat n'a pas jugé utile de coter au dossier la décision sévère rendue par le Défenseur des droits en mai 2012 dans ce dossier. « Il faudrait des magistrats qui ne s'occupent que de ça et qui n'auraient pas besoin des mêmes policiers le lendemain dans leurs enquêtes », estime Me Stéphane Maugendre, avocat de la famille Ziri.

Sous la pression du Défenseur des droits, la prise en charge disciplinaire de ces dossiers a néanmoins évolué. Selon nos informations, 5 avertissements ont été prononcés, fin 2012, dans l'affaire Ziri. Dans le dossier Marega, un conseil de discipline a été convoqué. Jusqu'ici, dans les affaires complexes, l'administration s'abritait derrière l'enquête judiciaire pour justifier son inertie administrative.