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Des sphères « conspirationnistes » jusqu'aux institutions officielles de l'état, c'est la question que se posent de nombreux citoyens des États-Unis. La politique du Département de la sécurité intérieure au cours des derniers mois, son goût immodéré pour l'acquisition d'armes en des proportions qui ne peuvent que conduire à l'incompréhension ainsi que son incapacité à justifier ses actes en réponse à des questions formulées clairement par des membres officiels du gouvernement invitent tout citoyen curieux à un doute raisonnable.

Créé en réponse aux attaques du 11 septembre 2001, le Département de la sécurité intérieure a pour mission première de protéger les territoires des États-Unis d'Amérique des attaques terroristes, des accidents causés par des erreurs humaines et des catastrophes naturelles. Avec plus de 200 000 employés, c'est le troisième département du gouvernement par le nombre. Il a disposé de plus de 58 milliards de dollars au cours de l'année 2012, se hissant ainsi à la quatrième place du plus important budget après les départements de la défense, de la santé et de l'éducation. [1]

Initiée sous la présidence et avec l'appui de George W. Bush, la création du Département de la sécurité intérieure a constitué la plus grande réorganisation des agence fédérales des États-Unis depuis plus d'un demi-siècle, faisant fusionner 22 agences gouvernementales en un seul département. [2] En 2008, le président Barack H. Obama [3] soulignait lui aussi la nécessité d'une telle organisation et laissait envisager l'essor de son importance :
« Nous ne pouvons pas continuer à nous en remettre uniquement à notre armée dans le but de remplir les objectifs de sécurité nationale que nous nous sommes fixés. Nous devons disposer d'une force nationale civile de sécurité qui serait aussi puissante, aussi forte, aussi bien financée. »
Des rapports commencèrent à émerger au cours du mois d'avril 2012, indiquant que le Département de la sécurité intérieure initiait une politique d'acquisition massive d'armements. Le 15 février 2013, le Denver Post [4] révélait que le département souhaitait acheter 1,6 milliard de munitions au cours des quatre prochaines années, l'équivalent de cinq cartouches par citoyen états-unien. L'explication officielle alors avancée : subvenir aux besoins des agents du département au cours de leur entraînement et de leurs missions.

Parmi les balles commandées, 360 000 d'entre elles au bas mot - les chiffres sont en constante augmentation - sont des balles à tête creuse. [5] Ces dernières sont conçues pour se déformer lors d'un impact avec un organisme vivant, les tissus organiques, constitués essentiellement d'eau incompressible, déforment la balle et entraînent sa dilatation et son explosion à l'intérieur du corps, maximisant ainsi les dommages causés aux tissus ainsi que la perte de sang. [6] Du fait même de cette déformation, la profondeur de pénétration est réduite et ces balles restent à l'intérieur du corps. Pour ces raisons, elles ont été bannies d'emploi lors de conflits armés internationaux par la convention de La Haye de 1899 [7], et par suite par la convention de Genève de 1949, qui interdisent :
« 3°. [...] l'emploi de balles qui s'épanouissent ou s'aplatissent facilement dans le corps humain, telles que les balles à enveloppe dure dont l'enveloppe ne couvrirait pas entièrement le noyau ou serait pourvue d'incisions. »
D'après Jonathan Lasher [8], l'assistant de l'inspecteur général de l'Administration de la sécurité sociale, ces balles seraient destinées aux 295 agents qui enquêtent sur des fraudes à la sécurité sociale, une justification pour le moins surprenante.

En septembre 2012, le Département de la sécurité intérieure faisait déjà l'acquisition de 7 000 fusils d'assaut automatiques 5.56x45mm de l'OTAN [9], achetait et modernisait 2717 tanks légers conçus par Navistar Defense pour les guerres d'Irak et d'Afghanistan, capables de résister à des mines anti-personnelles et destinés à être utilisés dans les rues des villes états-uniennes. [10] Le département a également commandé de nombreuses « no-hesitation targets » pour un montant de 2 millions de dollars, des cibles montrant des femmes enceintes, des enfants ou encore des personnes âgées tenant des armes à feu, dans le but de renforcer la détermination des agents à tirer sur une menace potentielle, quelle qu'elle soit. [11]

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Le sénateur Tom Coburn fut l'un des premiers à s'interroger sur la politique d'armement du département. On lui répondra [12] au mois de février dernier que :
« Le Département de la sécurité intérieure établit régulièrement des contrats d'approvisionnement stratégique qui combinent les besoins de l'ensemble de ses composantes pour les biens et services communément achetés tels que des munitions. Ces contrats d'approvisionnement stratégique participent à l'augmentation du pouvoir d'achat du Département de la sécurité intérieure afin de se procurer de façon efficace des équipements et fournitures à des coûts considérablements plus bas. »
Faire des économies donc. Une explication qui ne satisfera pas de nombreux autres membres du Congrès, commençant à s'interroger à leur tour sur ces acquisitions pour le moins surprenantes. L'un d'entre eux, Timothy Huelskamp, confiait récemment [13,a] [13,b] en marge du Comité d'action de politique conservatrice :
« Ils n'ont pas de réponses à nos questions. Ils refusent d'y répondre. Ils refusent de nous laisser savoir ce qui se passe, donc je n'ai pas vraiment de réponse à cela. De nombreux membres du Congrès se posent ces questions. »
Le 5 mars 2013, sous l'impulsion de Doug LaMalfa [14], quinze membres du Congrès ont écrit une lettre au Département de la sécurité intérieure exigeant des explications quant à cet achat massif de munitions de divers calibres, expliquant qu'ils n'étaient pas satisfaits des réponses données jusque-là par des officiels de « bas-niveau » (« lower-level officials », sic).

Les laborieuses explications de restrictions budgétaires alors fournies par le Département de la sécurité intérieure ne résistent pas à un examen attentif des chiffres. D'après Peggy Dixon [15], la représentante du Centre d'entraînement de l'application de la loi fédérale, le nombre de balles utilisées chaque année par les agents du Département de la sécurité intérieure culmine à quinze millions. En achetant 1,6 milliard de balles, c'est donc l'équivalent de 107 années d'entraînement que le département souhaite acquérir en munitions.

Les chiffres officiels du gouvernement sur la guerre en Irak [16] corroborent eux aussi la démesure des quantités de munitions en jeu : à l'apogée de la guerre, 72 millions de balles sont utilisées annuellement. Le Département de la sécurité intérieure sera donc en possession de stocks de munitions lui permettant de mener une guerre semblable en intensité à la guerre d'Irak à son apogée pour une durée d'un peu plus de 22 ans, ce sur le sol des Etats-Unis.

Si ces chiffres ne suffisaient pas à jeter le discrédit sur les motifs de coupes budgétaires invoqués, les Services d'immigration et de douane, l'une des agences fédérales du département à qui est destinée la majeure partie des munitions commandées, subliment l'art de la mauvaise foi en relâchant des centaines d'immigrants illégaux pour cause officielle de restrictions financières - héritées en grande partie, est-il besoin de préciser, de cet achat massif d'armements. [17]

Comme le confirmeront plusieurs anciens Marines dont Richard Mason [18], les balles à tête creuse n'ont jamais été utilisées pour l'entraînement des agents du département, notamment car elles sont deux fois plus chères que des munitions standards :
« Nous ne nous entraînions jamais avec des têtes creuses (sic), nous n'avons même jamais vu de têtes creuses au cours de mes quatre ans et demi dans le corps des Marines. »
Cet achat massif par le Département de la sécurité intérieure a créé, sans surprise, une pénurie de munitions dans de nombreux états au moment même où un virulent débat à propos de l'interdiction du port d'armes scinde la population après les différentes tueries des derniers mois, parmi lesquelles celles d'Aurora et de Newton. La simultanéité d'un armement massif des agences gouvernementales et de la dépossession des citoyens des États-Unis de leurs armes, enterrant par là-même le deuxième amendement de leur constitution, laisse planer un doute légitime sur les objectifs véritables du gouvernement des Etats-Unis.

Mais les fantaisies du Département de la sécurité intérieure ne s'arrêtent pas là : l'une des menaces les plus prises au sérieux n'est rien d'autre qu'une attaque de zombies. Le département a d'ailleurs débloqué des fonds afin d'organiser la simulation d'une telle attaque et de tenir des sommets à ce propos. [19,a][19,b] La probabilité qu'un tel scénario advienne de façon naturelle étant proche de zéro, il convient de questionner la crédibilité scientifique du département, sa bonne gestion des ressources financières des citoyens des États-Unis ou peut-être encore, au mieux son silence complice, au pire sa participation active, dans l'élaboration préméditée d'une attaque de « zombies ».

Le scénario ne relève qu'à moitié du fantasme à l'heure où les productions hollywoodiennes en tout genre à ce propos innondent les écrans de télévision : la base de données IMDb recense pas moins de 334 films avec le mot-clé « zombie » au cours des cinq dernières années, soit plus d'un film toutes les semaines. [20] Avec presque 12 millions de téléspectateurs, la série The walking dead est quant à elle la série la plus regardée aux États-Unis. [21]

Côté pratique, la conception par bio-ingéniérie d'un virus donnant lieu à une telle épidémie s'avère théoriquement possible, notamment via la combinaison des virus de la grippe et de la rage, comme l'a confirmé le professeur Andreanski de l'université de Miami à la chaîne National Geographic. [22]

Mais probablement ne faut-il qu'y voir une nouvelle affaire de détournements de fonds...

Quoi qu'il en soit, la démesure des achats d'armement par le Département de la sécurité intérieure invite le citoyen raisonnable à se douter que le gouvernement des États-Unis prévoit sûrement plus que de l'entraînement pour les agents de sa force civile au cours des années à venir.