Tokyo by night, Japon
© Inconnu

Tokyo est une ville que j'adore. Je n'y vais pas aussi souvent que j'aimerais mais un ami de toujours y réside et, via la nouvelle technologie, j'en ai des nouvelles quotidiennes. La vie Tokyoïte est traditionnellement unique, hors du temps. Mais son ambiance déjà si particulière est devenue ces dernières semaines, sous l'impulsion des sinistres soubresauts de Fukushima et l'ombre des missiles Patriot, presque celle d'une sorte de fin du monde. Irréelle.

« Tu sais, il réparent tout ici avec des bouts de scotch et c'est pareil pour les centrales : du provisoire et en perpétuelle urgence », m'écrit ce mercredi mon ami. Il vit depuis plus de 20 ans dans la capitale nipponne.

Un tel constat remet sérieusement en cause l'image, déjà sérieusement écornée avec le Tsunami de 2011, selon laquelle l'Archipel est le paradis du « zéro défaut » peuplé d'innombrables anges immaculés équipés dernier cri pour assurer une harmonie zen parfumée à l'ozone.

« Ca fuit de partout et les pannes de courant n'arrangent rien ! », rapporte mon camarade. Officiellement, il y aurait plus que deux centrales nucléaires en service sur les 54 d'avant la catastrophe de Fukushima (et deux en construction). En recueillant des bribes d'informations « à la japonaise » ici et là : il n'y en aurait de fait encore cinq importantes en fonctionnement.

Il faut dire que les besoins en électricité du pays sont tout aussi énormes. Si le surnom de « ville lumière » a été attribué à Paris, en son temps, il s'applique aujourd'hui sans conteste à Tokyo.

Souvenez-vous des images de Lost in Translation de Sofia Coppola. C'est le jour en pleine nuit avec des enseignes allant de la moindre boutique de « tout à cent yens » à l'écran publicitaire géant à cristaux qui couvre la moitié d'un immeuble où se dandinent des rock stars ou un diplodocus.

Les centrales nucléaires « ont toutes des problèmes différents : un vrai casse-tête », poursuit-il. Et Tepco (NDA : l'exploitant des centrales de Fukushima Dai-Ichi et Dai-Ni) continue malgré les problèmes que son manque de transparence lui a causé lors de la catastrophe, à utiliser une rigide langue de bois.

Une paille !

Il y a des fuites d'eau contaminée dans les sous-sols de la centrale, « et sans doute dans le sous-sol tout court. Des milliards de becquerels : une paille ! », souligne mon Tokyoïte.

Tepco parle d'une troisième fuite toujours inexpliquée d'eau très radioactive constatée autour du réservoir numéro 1 après des pannes similaires sur les 2 et 3. « Des examens sont actuellement en cours ». Ce genre de propos laconiques affolent la communauté internationale à commencer par la proche Russie.

« Etant donné que les Japonais refusent de laisser entrer (dans la centrale) des spécialistes étrangers, nous vivons mal la situation », déclare Guennadi Onichtchenko, le chef des services sanitaires russes. Pour lui, actuellement, les Japonais « ne peuvent régler la situation ».

Mon ami se veut rassurant néanmoins. « J'ai vérifié sur internet les taux de radioactivité sur Tokyo : apparemment ce n'est pas pire (qu'avant les fuites) malgré des pics et des chutes de plus en plus nombreux ». Il est, selon lui, « difficile d'en conclure quelque chose ». Soit.

Voilà pour le volet nucléaire civil. Mais Tokyo vit aussi des heures qu'elle croyait pourtant reléguées au rang du souvenir (pourtant présent et très cruel dans l'esprit des Anciens...)

Avec la menace - d'une intensité qui nécessite la prise au sérieux - d'un éventuel tir nucléaire de la Corée du Nord, les autorités ont déployé des lanceurs de missiles d'interception « Patriot » dans la capitale.

Mon ami, très matinal et sportif, croise désormais des uniformes et un terrible appareillage en se rendant quotidiennement dès potron minet à son « Dojo » de Shinjuku, quartier d'affaires qui compte le plus grand nombre d'étrangers au sein de la capitale.

Personne, au sein de la communauté internationale vivant sur place, ne semble croire à un scénario « presse bouton » mais les mouvements de troupes au sol et en mer - le Japon a envoyé des destroyers équipés du système d'interception Aegis - alimentent bien entendu les conversations dans les Lamen Sho (NDA : restaurants de soupes et de nouilles), verre de bière « Asahi » (Lumière du matin...) en main .

Les forces d'auto-défense ont été autorisées à détruire tout missile nord-coréen qui menacerait le territoire. L'île d'Okinawa, dans le sud, pourrait être garnie de Patriot « de façon permanente ». Les missiles « Musudan » nord-Coréen, ont une portée maximum de 4 000 kilomètres et pourraient donc toucher l'île de Guam dans le Pacifique, où sont cantonnés 6 000 soldats américains.

Sinon, entre les millisieverts (unité de comptage de la radioactivité) et les casques lourds, la journée s'écoule « normalement » au pays du Soleil Levant.