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Photo du crâne de l'adolescente fille qui porte plusieurs marques de coups pour le briser, ainsi que des traces de profondes entailles et moulage reconstituant sa tête. | AFP/Don Hurlbert
C'est un cold case de plus de 400 ans qui vient d'être élucidé. Des rumeurs sur certains des premiers colons américains circulaient depuis un certain temps. A Jamestown, en Virginie, la plus ancienne colonie américaine, les récits des pénuries du début du XVIIe siècle abondent. Certains rapportant que les hommes ont dû manger des rats, des chiens, des serpents, des semelles de chaussure et même leurs morts pour survivre. Jusqu'ici, les historiens et les scientifiques restaient sceptiques.

Pour la première fois, une équipe d'archéologues a découvert des os humains qui montrent que certains colons ont bien eu recours au cannibalisme pour survivre. Une expédition, menée par Douglas Owsley et soutenue par le Musée national d'histoire naturelle du Smithsonian, a découvert les restes d'une fillette de 14 ans qui présentent des signes de cannibalisme. "Il s'agit d'un cas clair de démembrement du corps et d'arrachage de tissus pour la consommation", explique M. Owsley. Selon lui, la victime était déjà morte, et il caractérise la façon dont elle a été mangée de "désespérée".

Souffrant de famine durant l'hiver de 1609-1610, quand 80 % des colons sont morts, certains ont essayé et réussi à extraire de la matière cervicale ainsi que des tissus du visage et de la gorge du corps de l'adolescente pour les manger, expliquent les anthropologues.

Le crâne de la jeune fille porte plusieurs marques de coups pour le briser, ainsi que des traces de profondes entailles au niveau du visage et du cou, a précisé dans un communiqué Douglas Owsley, un anthropologue du musée qui a analysé la boîte crânienne et les tibias. Les découpes sont "très expérimentales, hésitantes", explique-t-il. "Ce n'est pas le geste d'une personne ayant des aptitudes aux travaux de boucherie et pourtant ceux ou celles qui ont fait cela, par nécessité, savaient que c'est ce qu'ils avaient à faire."

"L'ÈRE DE LA FAIM"

L'archéologue rappelle que les premiers colons américains ont vécu dans des conditions extrêmement dures à leur arrivée sur le nouveau continent. A Jamestown, les années 1609-1610 sont connnues sous le nom de "l'ère de la faim".

George Percy, un des leaders de la colonie à l'époque, évoquait dans ses écrits "un monde de misères" dans lequel les hommes déterraient leurs morts pour les manger : "Rien n'était épargné pour survivre." "Les historiens avaient mis en doute ces récits. Cette découverte est une façon convaincante de dire que cela est bien arrivé", souligne Douglas Owsley, qui travaille sur place avec son collègue William Kelso depuis 1996.

RECONSTITUTION

Les scientifiques ont pu reconstituer des détails de la vie de cette jeune fille venue d'Angleterre en analysant le développement d'une molaire et le stade de croissance de l'os du menton. Il ne reste que 10 % du squelette.
Ils ont ainsi estimé qu'elle était âgée d'environ 14 ans quand elle est morte mais n'ont pas pu déterminer la cause de sa mort. Mais en utilisant une combinaison de technologies numériques et médicales, ces chercheurs ont pu reconstituer le probable visage de l'adolescente.

Ils ont d'abord passé au scanner les restes incomplets du crâne fragmenté et réalisé un modèle virtuel de la boite crânienne en assemblant numériquement tous les morceaux, tel un puzzle. Ce modèle a été imprimé en trois dimensions, avant que le visage de la jeune fille soit reconstruit. Il sera exposé au Musée national d'histoire naturelle à Washington à partir du 3 mai, dans le cadre d'une exposition sur les dossiers de médecine légale du Chesapeake au XVIIe siècle. Les restes du squelette de la jeune fille seront exposés à Jamestown près du site de sa découverte.

Une chose est désormais certaine : Le Nouveau Monde (The New World, 2005) le film réalisé par Terrence Malick montrant la fondation de Jamestown et la rencontre avec Pocahontas, reste en deçà de la réalité.