Le gouvernement grec vient de déposer au Parlement un projet de loi pour le moins insolite, qui n'a qu'insuffisamment attiré l'attention : les citoyens devant plus de 5 000 euros au fisc seraient passibles d'une peine d'emprisonnement d'un an.

Avec l'engrenage des différentes pénalités pour défaut de paiement, la croissance exponentielle du chômage et la mécanique infernale des intérêts, la barre des 5 000 euros sera vite atteinte.

La sanction serait effectuée non pas dans une prison classique, mais dans des casernes militaires reconverties pour l'occasion en sorte de « camps de travail » (on n'ose dire « de rééducation » ou « de concentration »...). Variante : des « prisons agricoles », dans lesquelles chaque journée de travail rachèterait deux en prison. Inutile de préciser que ce projet continue de susciter la polémique.

Le travail gratuit imposé aux contribuables défaillants fait penser aux corvées des serfs et autres manants du régime seigneurial du Moyen Age. Mais cette régression d'ampleur s'appréhende encore mieux par un retour à l'histoire grecque de l'Antiquité.

La loi de la « remise du fardeau »

En 594 av. J.-C., Solon devient archonte de la cité d'Athènes, en proie à de grosses difficultés économiques et sociales. Les paysans endettés sont alors réduits en esclavage par les riches propriétaires auprès desquels ils ont dû emprunter à des taux usuraires (à l'époque, le concept de marché financier n'existait pourtant pas, pas plus que les banques privées modernes ou la troïka).

L'équilibre socio-politique de la cité, qui reposait sur la solidité d'une classe de petits et moyens paysans propriétaires de leurs terres, s'en trouvait de facto menacé.

Solon décida alors une mesure radicale pour faire face à l'urgence de la situation : la « seisachteia », terme qui peut se traduire par « remise du fardeau ». Les dettes furent effacées, la servitude pour dette interdite, la contrainte par corps prohibée.

« Solon, réveille-toi, ils sont devenus fous ! »

Solon est considéré comme l'initiateur de la démocratie athénienne qui allait s'épanouir au siècle suivant, du moins de certaines de ses bases. Le ballon d'essai lancé par le gouvernement grec constitue bien une tentative de retour en arrière, que nous aurions été bien en mal d'imaginer il y a quelques années.

Nous nous contenterons de lancer un appel au plus profond d'une Histoire, dont nous sommes collectivement les héritiers et devrions de manière semblablement collective être les dépositaires. Un appel : « Solon, réveille-toi, ils sont devenus fous ! ».

La dette ne doit pas être un perpétuel prétexte à saigner toujours plus les peuples. Plus que jamais, une « seisachteia » s'impose. Qui peut raisonnablement croire que les dettes des Etats seront un jour entièrement remboursées ? C'est aussi une invitation aux peuples européens à reprendre en main leur destin.