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Les questions continuent de s'accumuler concernant la familiarité et les contacts entretenus par les services de sécurité avec les deux tueurs du tambour Lee Rigby, à Woolwich, au sud-est de Londres.

Rigby a été frappé à mort sur une grande route à proximité de la caserne militaire de Woolwich. Ses tueurs, Michael Adebolajo et Michael Adebowale n'ont pas cherché à s'enfuir, au contraire ils sont restés à parler avec des témoins et à faire des déclarations vidéo justifiant leur attaque brutale comme étant une vengeance pour les meurtres de musulmans par l'armée britannique en Irak et en Afghanistan.

Pendant des jours, les élites politique et médiatique ont cherché à nier tout lien entre cette attaque abominable et la politique étrangère britannique. Initialement, elles ont aussi nié le fait que ces deux individus étaient connus des services de sécurité en les décrivant comme des «gens sans histoire».

Tout ceci s'est rapidement effiloché. Il a été confirmé qu'ils étaient tous deux sous surveillance depuis des années, depuis au moins 2005 pour ce qui est de Adebolajo. De plus, ce week-end, les autorités kényanes ont finalement reconnu avoir détenu Adebolajo en novembre 2010, car il faisait partie d'un groupe qui tentait de traverser la frontière et de s'introduire en Somalie pour rejoindre al-Shabaab, lié à Al-Qaïda.

Le gouvernement kényan a fait une déclaration confirmant son arrestation sous le nom de Michael Olemindis Ndemolajo. Il avait comparu devant un tribunal et avait été remis aux autorités britanniques, après quoi «il semble qu'il soit retourné à Londres. Le gouvernement kényan ne peut être tenu pour responsable de ce qui lui est arrivé une fois que nous l'avons remis aux autorités britanniques.»

Les détails de la première arrestation de Adebolajo ont été révélés la semaine dernière lors d'une interview d'un ami proche d'Adebolajo, Abu Nusaybah, dans l'émission Newsnight de la BBC. Il a dit que Adebolajo avait été détenu, physiquement et sexuellement torturé au Kenya avant d'être déporté au Royaume-Uni. Il a dit aussi que le MI5 avait à plusieurs reprises approché Adebolajo à son retour, cherchant à le recruter pour qu'il infiltre des groupes jihadistes au Royaume-Uni.

Chose assez extraordinaire, Nusaybah a été arrêté dans le studio par des agents du renseignement juste après l'enregistrement de l'interview et se trouve toujours en détention sans chef d'accusation spécifié.

S'exprimant sur ITV News, le beau-frère de Adebolajo a confirmé la version de Nusaybah. Juste après avoir appris qu'il avait été arrêté au Kenya, la famille «avait contacté le gouvernement britannique et pour l'essentiel ils ont refusé de faire quoi que ce soit et les Kényans disaient qu'ils allaient le tuer, le décapiter,» a-t-il dit. «Nous avions des preuves claires qu'on le torturait ... violemment et sexuellement.»

À son retour, Adebolajo avait changé et était devenu «beaucoup plus calme et plein d'amertume en voyant que personne n'était prêt à l'aider,» a poursuivi son beau-frère. «Ils [les autorités britanniques] ont fait tout le contraire de ce qu'ils faisaient vraiment. S'ils voulaient de l'aide [pour obtenir des informations sur les jihadistes], ils lui auraient sûrement d'abord apporté leur soutien, non?»

Les services de sécurité avaient approché Adebolajo pour qu'il travaille pour eux, a poursuivi son beau-frère. «Ils lui ont évidemment demandé s'il voulait bien devenir un espion pour eux... On s'attendrait à ce qu'ils disent "Vous pouvez nous dire ce qui s'est passé au Kenya ? On peut vous aider ?" Mais au lieu de ça, vous savez, ils l'ont carrément harcelé pendant des années, alors qu'il essayait de se remettre d'une expérience psychologiquement très difficile.»

Les allégations selon lesquelles le MI5 a «harcelé» Adebolajo sont corroborées par le quotidien britannique The Guardian qui a révélé que ce dernier avait vu des avocats l'année dernière pour se plaindre du harcèlement émanant des services de sécurité.

Mais selon un autre quotidien britannique The Independent, les services de sécurité britanniques «ont cherché à recruter» Adebolajo alors qu'il était détenu par les autorités kényanes. Le ministère des Affaires étrangères n'a souhaité confirmer que le fait qu'il avait reçu une «assistance consulaire... ce qui est normal pour tous les ressortissants britanniques détenus.»

Adebolajo était resté en garde à vue plusieurs jours à Monbasa. Lorsqu'il avait comparu, il s'était plaint d'avoir subi de mauvais traitements, dont celui de n'avoir rien eu à manger pendant des jours. Si les comptes-rendus de sa famille et de l'Independent sont vrais, cela voudrait dire que les autorités britanniques étaient au courant de ces abus et n'avaient rien fait pour y mettre fin. Étant donné les allégations selon lesquelles les services de sécurité essayaient de le recruter, l'unique raison ne peut en être que parce qu'ils espéraient que de tels traitements le briseraient et le rendraient plus disposé à leurs approches.

Adebolajo retourna au Royaume-Uni apparemment sans qu'il y ait eu d'enquête de suivi, encore moins d'accusations, concernant ses activités suspectées au Kenya. Et ce malgré le fait, selon l'Independent, citant des «sources de Whitehall», que Adebolajo «a essayé une deuxième fois de se rendre en Somalie l'année dernière, mais a été arrêté par le MI5 et mis en garde qu'il serait à nouveau détenu par les Kényans.»

Ces comptes-rendus réfutent les déclarations selon lesquelles, malgré huit années de surveillance et deux occasions où il était apparu comme quelqu'un cherchant activement à s'engager dans des activités liées au terrorisme, Adebolajo était considéré comme une personne «périphérique», ou «ne présentant pas de risque.» Cette déclaration est rendue d'autant plus suspecte que l'élite dirigeante présente continuellement les activités terroristes en Somalie comme un risque majeur, afin de justifier l'implication britannique dans ce pays africain défavorisé.

Ce n'est que le 7 mai que le premier ministre David Cameron a accueilli la seconde «Conférence Royaume-Uni-Somalie» à Londres, où il a déclaré l'importance de la Somalie «parce que lorsque de jeunes esprits sont intoxiqués par le radicalisme et qu'ils vont exporter le terrorisme et l'extrémisme, la sécurité du monde entier est en jeu.»

Pour ce qui est de Adebowale, Sky News a révélé qu'il avait été récemment signalé à la police par un commerçant local pour «avoir formé» un écolier de 12 ans à la politique jihadiste. Le commerçant qui a gardé l'anonymat a dit que Adebowale «était surveillé par les services de sécurité et que ses allées et venues étaient contrôlées.»

Tandis que le degré d'implication du MI5 avec les tueurs de Woolwich est dissimulé, la révulsion publique provoquée par cette mort terrible est utilisée pour attaquer davantage encore les libertés civiles.

Dans ce qui revient à être une forme de punition collective, cette attaque cible les musulmans, même si son objectif plus large est de miner les droits démocratiques de tous les travailleurs.

La ministre de l'Intérieur a mis en place de nouvelles mesures visant à empêcher la «radicalisation des musulmans britanniques», comprenant des mesures de censure «préventive» d'internet, l'interdiction des groupes musulmans radicaux même s'ils désavouent le terrorisme et la violence, et une plus grande répression de la liberté d'expression, notamment dans les campus universitaires.

Les détails précis n'ont pas encore été annoncés, mais signalant le caractère ouvert de ces mesures, May a dit, «Il ne fait pas de doute que les gens peuvent voir des choses sur internet qui peuvent conduire à la radicalisation.»

May a clairement fait comprendre qu'elle a l'intention de relancer le Communication Data Bill (projet de loi sur la communication des données), aussi appelé «charte des fouineurs» du fait des pouvoirs de grande envergure qu'il cherche à donner à la police, aux services de sécurité et aux autorités pour intercepter toutes les communications électroniques.

Le Parti conservateur avait été contraint de retirer ce projet de loi suite à des protestations d'organisations de défense des libertés civiles et des sections des libéraux-démocrates avec lesquels il est en coalition. Mais deux précédents ministres de l'Intérieur travaillistes, Lord Reid et Alan Johnson, ont soutenu ces mesures tandis que l'ancien ministre de l'Intérieur conservateur Lord Howard a demandé à Cameron et May de former un bloc avec les travaillistes pour faire voter ces mesures au parlement.