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L'article s'inspire du livre Votre cerveau n'a pas fini de vous étonner de Patrice Van Eersel, rédacteur en chef du magazine Clés. Le présent article traite de l'entrevue réalisée par M. Van Eersel avec Christophe André, psychiatre à l'Hôpital Sainte-Anne à Paris.

L'approche neuro-cognitiviste et comportementale

Christophe André est l'un des promoteurs francophones de la psychologie neurocognitiviste, comportementale et humaniste. Au début de sa carrière, l'objectif de ses maîtres en psychologie était de se dégager de l'emprise de la neurologie. En plein boum lacanien, C. André se lançait donc dans une psychiatrie très désincarnée, dominée par la psychanalyse, le verbe, la parole. On s'intéressait au mental, au psychisme, au rapport conscient/inconscient, mais le corps était négligé, ainsi que le cerveau.

L'approche neurocognitiviste et comportementale est devenue la culture médicale de Christophe André. Il privilégie cette approche qui fait le lien entre les TCC (Thérapies Cognitives et Comportementales) et les neurosciences, reconnaissant la primauté du « contenant » (structure cérébrale mobilisée), sur le « contenu » (la situation, les faits). Cette approche permet d'identifier le mécanisme cérébral d'une personne à l'origine d'un dysfonctionnement auquel on appliquera des exercices adéquats de manière systématique et personnalisée. Indépendamment du contexte.

Le bonheur s'engramme

La base de tout changement psychique et émotionnel durable (ne dépendant pas seulement des circonstances, au contraire, pouvant même leur résister), c'est la neuroplasticité : la survenue de modifications fonctionnelles des voies neurales. La base de la neuroplasticité, c'est la notion d'expériences et d'exercices inlassablement répétés.

Matthieu Ricard, le bouddhiste bien connu, parle « d'entraînement de l'esprit », ce qui sous-tend que le cerveau est un organe semblable aux muscles, en ce qu'il exige qu'on le fasse régulièrement travailler.

Bien souvent, affirme Christophe André, il suffit juste de redonner au patient de l'espoir, de l'optimisme, de l'aider à prendre conscience qu'il peut modifier son parcours, se changer lui-même.

Parlons maintenant de la vision de la « sécurité apprise ». Eric Kandel, entre autres, qui a reçu le prix Nobel de médecine en 2000 pour ses travaux sur la mémoire, a fait faire dans son laboratoire des expériences sur cet aspect. On connaissait déjà « l'impuissance acquise » grâce à Martin Seligman (identifié comme étant le champion de la psychologie positive) qui avait montré qu'en mettant des animaux en situation d'impuissance - à l'aide de chocs électriques inévitables - ces malheureux se retrouvaient plongés dans une dépression durable. Même si on les remettait ensuite dans un contexte agréable, ils demeuraient craintifs et déprimés. Ayant appris à être impuissants, ils avaient développé une vision du monde dépressive.

Heureusement, cette sorte d'expérience connaît son pendant. En habituant des animaux à se sentir bien et en sécurité en présence de stimuli sonores ou lumineux, on peut engrammer dans leur cerveau un sentiment de confiance, si bien que par la suite, même placés dans des situations difficiles, il suffira d'un déclic (le stimulus en question) pour faire revenir le souvenir du bien-être et ainsi leur donner une énergie redoublée.

C'est une sorte de conditionnement pavlovien positif pouvant augmenter notre résilience. On l'appelle l'ancrage. Cette technique peut se faire, par exemple, en se tenant le poignet gauche avec la main droite que les sophrologues enseignent, pour retrouver, d'un seul coup, un sentiment de bien-être longuement expérimenté au préalable.

D'après les récentes expériences en laboratoires dotés de puissantes machines à imagerie cérébrale, on sait que ce processus se passe au niveau de l'hippocampe, ou dans les synapses de telle ou telle structure corticale.

En conclusion, les ancrages sont des outils simples qui ont l'avantage d'être à la portée de tous et qui ne coûtent rien. Ainsi, le « bonheur s'engramme » ; Christophe André dit : « L'avantage des émotions est qu'on peut apprendre à les canaliser et à les apprivoiser, ce qui constitue une façon d'engrammer le bonheur ». Ce processus d'ancrage, décrit plus haut, est simple :
  • « savourer les bons moments »,
  • intensifier notre conscience de ce bon moment, ce qui va puissamment l'engrammer dans le cerveau,
  • plus tard, on pourra retrouver cet état, même dans un contexte déplaisant,
  • la présence aux instants de bien-être qu'on traverse se transforme en un sentiment de bonheur qui va laisser une trace profonde dans le cerveau où il se trouvera « câblé », « fixé », « enregistré » quelque part dans les réseaux synaptiques et neuronaux,
  • cette trace sera désormais disponible, comme un souvenir accessible qui apportera un influx de vitalité positive, quand le contexte devenu difficile l'exigera.
Toutes les nouvelles théories sur le bien-être et le bonheur reposent sur ce processus.

Nous venons au monde équipés d'un certain nombre de câblages

Des câblages émotionnels déjà prêts è fonctionner à la naissance existent. Nos réseaux neuronaux, notamment dans les liaisons entre notre cerveau limbique et notre néocortex, sont génétiquement bâtis pour nous faire ressentir la peur et nous faire agir dans une certaine direction. Même chose pour la colère, la tristesse, la joie et deux ou trois autres émotions de base qualifiées de « naturelles ».

Personne n'a besoin d'apprendre à être triste, ni à avoir peur, ni à se mettre en colère. Nous serions « équipés pour ». Par la suite, nos dispositions sont modulées par le milieu et par nos expériences de vie qui nous poussent à ressentir certaines émotions et à en réprimer d'autres.

L'effet des émotions répétitives

Dès que nos flux émotionnels deviennent trop intenses, nous basculons en «pilote automatique». Des émotions répétitives ravinent progressivement nos cerveaux (au sens propre comme au figuré) dans la mesure où les pistes neuronales qu'elles empruntent forment à la longue comme un réseau de ruisseaux qui alimentent des rivières, qui nourrissent elles-mêmes des fleuves synaptiques.

Les événements existentiels distordent partiellement notre façon de ressentir les émotions de base

Il est essentiel de redécouvrir que nous sommes traversés par des émotions de base et que celles-ci sont aussi naturelles que notre respiration, mais que les événements existentiels ont partiellement distordu notre façon de les ressentir et de les vivre. De l'avis du Dr André, il est possible de moduler le flux des émotions - les techniques de pleine conscience se révèlent très précieuses pour y parvenir. C'est ce que nous verrons dans le prochain article.

Les émotions sont à la fois naturelles et spontanées, inévitables, mais sont aussi en partie sous l'emprise de nos décisions et de notre volonté. Toute la subtilité est de comprendre selon quel dosage. Ainsi, il est inutile de chercher à fuir nos émotions négatives. Au contraire, il faut les accueillir pleinement, tout en apprenant à les observer plutôt qu'à les subir. Découvrir vers quoi elles nous poussent plutôt que de leur obéir aveuglément.

Il est possible d'apprendre à canaliser, à domestiquer et à chevaucher nos flux émotionnels

En thérapie, comme en méditation, il est possible d'apprendre à canaliser, à domestiquer, à chevaucher nos flux émotionnels. Accepter comme le marin que le vent aille dans telle direction, mais pourtant apprendre à orienter notre voile de façon à garder le cap vers nos propres valeurs. Bien évidemment, cette approche est empirique. Nous devenons des explorateurs qui s'engagent sur des territoires inconnus, munis de cartes rudimentaires.

Ce sont les résultats concrets qui nous guideront beaucoup mieux que les grandes théories.

Mentionnons que l'imagerie cérébrale permet d'évaluer plusieurs composantes :
  • à quel niveau naissent nos intentions,
  • où et comment se mobilisent nos souvenirs,
  • comment interagissent nos émotions et notre volonté,
  • recherches sur l'interface cerveau-pensée.
L'approche neurocognitiviste, aborder des problèmes complexes en les simplifiant - deux grandes forces de la méthode : pragmatisme et humilité.

Le philosophe et poète Paul Valéry disait :
« Ce qui est simple est faux - Ce qui est compliqué est inutilisable »
En psychologie, en simplifiant, on falsifie en partie la réalité, mais de l'autre, en ne simplifiant pas, on se met en position d'impuissance.

Exemple : un patient qui arrive en crise de panique, trouble sans doute relié à un énorme nœud de connexions cérébrales et souvenirs de pathologie, d'attaques de panique, de terreurs remontant à la petite enfance, un faisceau neuropsychologique d'une complexité redoutable, s'y attaquer globalement est impossible.

Que faire? Des années de psychanalyse pour tenter de déchiffrer la complexité ou croire le faire ? C'est insensé, car la personne a besoin d'une aide urgente, tout de suite.

À court terme, le modèle comportemental ou cognitiviste est efficace (une suggestion sera faite au patient en crise de panique à apprendre à respirer, à ouvrir sa conscience lorsqu'il sent les attaques arriver.)

Après, on peut s'interroger - que s'est-il passé dans le cerveau du patient pour qu'il s'apaise ?

*Ce qui se produit avec la technique.
  • il y a une création d'une zone de nouveaux réseaux,
  • une nouvelle façon de diriger les flux émotionnels,
  • au lieu de s'écouler en grands torrents, le flux va ruisseler maintenant par de multiples petites voies,
  • des voies qui ne dévastent pas la personne.
De cette façon, dit Christophe André, on sait qu'on donne un coup de pouce au patient pour lui permettre de :
  • réamorcer ses capacités d'auto-rééquilibrage et d'auto-réparation qui existent chez tout individu et dont le processus nous échappe en grande partie,
  • souvent il s'agit simplement de redonner au patient de l'espoir, de l'optimisme, de l'aider à prendre conscience qu'il peut modifier son parcours, se changer lui-même.
Le succès du comportementalisme

En somme, les comportementalistes obtiennent du succès parce qu'ils sont d'une efficacité pragmatique.

Plutôt que de rechercher toutes les complexités des troubles de dépression ou (autres troubles émotionnels), complexités qui présentent des ramifications énormes, dans le passé, le présent, et la manière dont une personne anticipe son avenir, le comportementaliste préfère apprendre à un patient anxieux, par exemple, à :
  • respirer d'une certaine façon,
  • faire 30 minutes de marche chaque jour,
  • diriger sa conscience d'une manière plus élargie plutôt que de seulement parler avec lui de sa souffrance.
Les résultats obtenus ont été plus concrets qu'en suivant les approches exclusivement verbales et désincarnées. Il semblerait que les neurocognitivistes nous ont beaucoup plus éclairé sur le fonctionnement de l'esprit que les lacaniens, brillants dans l'abstraction, mais négligeant de faire reposer leurs démonstrations sur l'expérience concrète et les preuves matérielles.