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Mirjana Novokmet, mère d'un bébé disparu © afp.
La Serbie est choquée par une sordide affaire de possible trafic de bébés alors que la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a exigé de Belgrade de faire toute la lumière sur ce scandale dont les débuts remontent à l'époque de la Yougoslavie communiste.

Pour des milliers de parents angoissés, convaincus jusqu'à la preuve du contraire d'être les victimes d'un trafic de bébés, ce verdict représente une lueur d'espoir. D'innombrables témoignages recueillis depuis que le scandale a éclaté au début des années 2000 font état d'un scénario similaire: les autorités hospitalières annoncent aux parents que leur bébé est mort, sans leur montrer le corps, et qu'elles vont organiser l'inhumation. Mais, dans les cimetières, aucune trace des nouveaux-nés prétendument décédés et enterrés.

"A Belgrade seulement, 2.000 parents ont demandé à vérifier si leurs bébés avaient été enterrés et ont reçu une réponse négative", assure Mirjana Novokmet, 54 ans. Mirjana, dont le bébé "né en excellente santé" a été inexplicablement proclamé décédé quelques jours plus tard en 1978, et Goran Radjenovic, 42 ans - qui lui a perdu son bébé en 2001 -, font partie d'un groupe de parents qui depuis douze ans fait pression sur les autorités de Belgrade afin d'établir la vérité. Ils n'ont aucun doute quant à l'existence d'une pratique criminelle organisée. "Nous sommes face à un réseau criminel organisé et l'Etat ne fait rien pour nous aider", confie cette femme au visage sombre marqué par de profondes rides. "A nos yeux, l'existence de ce réseau est confirmée par le fait qu'il y a un même modus operandi dans différents hôpitaux, différentes villes et à des époques différentes", enchaîne Goran.

"Implicitement et directement parfois, des infirmières et des sage-femmes nous ont avoué sous couvert de l'anonymat" l'existence d'un trafic de bébés, a assuré Mme Novokmet. Les parents jouissent du soutien inconditionnel du Commissaire pour les informations d'importance publique Rodoljub Sabic qui considère le verdict de Strasbourg comme une conséquence logique de l'incapacité des autorités serbes à fournir des informations crédibles aux parents. La possibilité de l'existence d'un trafic de bébés "ne peut absolument pas être exclue", selon lui.

Soupçons confirmés par un rapport

En 2006, suite aux pressions des parents, le Parlement serbe a mis en place une commission d'enquête. Zivodarka Dacin, la présidente de cette commission dont le rapport a été approuvé à l'unanimité par les élus, précise que ce document a, en grande mesure, confirmé les soupçons des parents. "Nous avons préconisé la création d'une unité spécialisée de la police qui mènerait à bien l'enquête sur ce dossier, l'introduction d'une identification obligatoire par les parents des bébés décédés, l'obligation de procéder à une autopsie et de céder à la famille le soin de s'occuper des funérailles", a déclaré Mme Dacin à l'AFP. Les recommandations de la commission sont la conséquence de sa conviction que les soupçons sur un trafic de bébé sont justifiés, a-t-elle fait valoir.

Mirjana Nikolic, 46 ans, caissière dans un supermarché et mère de deux enfants, se déclare "horrifiée" par l'histoire de ces parents. "Je ne sais vraiment pas ce que j'aurais fait face à un tel drame. J'ai de la pleine pour ces gens", a-t-elle confié. Mirjana et Goran, qui ont entre-temps eu d'autres enfants - elle est mère de jumelles et lui père de quatre enfants -, reconnaissent que leur long combat pour la vérité a perturbé leurs vies privées. "A force d'écouter mon histoire, une de mes filles a peur de la maternité, elle craint qu'on lui vole son bébé. Nous trainons ce problème comme un boulet", dit-elle.

Profondes cicatrices

Les conséquences psychologiques pour les parents sont "graves et les cicatrices profondes", souligne la psychologue Milica Zarin. "Il s'agit d'une série de mauvaises nouvelles, accompagnées de souffrances, de dépression, d'un sentiment d'impuissance et d'une recherche effrénée de la vérité", a-t-elle dit à l'AFP. Le verdict de la CEDH, prononcé fin mars, a enjoint l'Etat serbe de réagir, mais cela n'est pas encore le cas. "Nous avons un délai de six mois pour prendre nos dispositions et nous le ferons", a indiqué à l'AFP sans autre précision, et sous le couvert de l'anonymat, une responsable du ministère de la Justice.