Image
On a déjà parlé du réseau stay-behind, ou réseau Gladio en Italie, qu'on appelle parfois "l'armée secrète de l'OTAN". De fait, c'est aux groupuscules liés à ces réseaux qu'on doit pas mal de coups foireux des années 60 à aujourd'hui. Par contre, aujourd'hui encore ce système de corruption, d'opérations sous faux drapeaux et de cooptation de nos dirigeants reste un véritable tabou pour ceux qui nous dirigent, comme pour les historiens officiels et les journalistes alignés. Récit du dernier procès en date.

On m'a transmis l'info récemment, et je n'étais pas au courant: un énième procès concernant une opération terroriste de Gladio a lieu au Luxembourg depuis la fin du mois de février. Au milieu des années 80, une vingtaine de bombes ont explosé au Luxembourg. Juste à côté, en Belgique, les tueurs du Brabant semaient la panique en éliminant des personnages clés impliqués dans diverses magouilles nationales. En Allemagne la Bande à Baader et la Fraction Armée Rouge faisait pareil, pendant que des paramilitaires préparaient leur coup d'Etat, enfin bref: l'Europe était sous le coup d'une vague terroriste 100% bidon, qu'il s'agisse de groupes d'extrême gauche ou d'extrême droite.

Car, tous étaient pilotés par l'OTAN, ou plutôt par ces réseaux stay-behind, qui avaient pour but de maintenir la tension en temps de paix bien plus que de se préparer à une invasion communiste.

Le procès vise à trouver qui a posé ces bombes sur des bâtiments publics et diverses infrastructures, et à savoir pourquoi. Ira-t-on jusqu'au bout, bien que ce procès dure depuis le mois de février? On peut en douter. "Presque tous les attentats ont démontré une connaissance méticuleuse des dispositifs de sécurité. Beaucoup de preuves et de documents ont disparu. Beaucoup d'autres pays européens ont souffert d'attentats, et très sanglants, attribués à ce même réseau secret lié fréquemment à des groupes d'extrême droite", précise Daniele Ganser sur le site Mondialisation.ca.

Le but étant de renforcer la sécurité, de faire peur aux gens pour qu'il réclament plus de "protection", en l'occurrence contre des épouvantails. N'empêche, ces attentats ont eu pour effet l'augmentation des effectifs de l'armée luxembourgeoise, réduite à sa portion congrue.

Image
Parmi les cibles de ces attentats, des pylônes de la compagnie nationale d'léctricité, le cabinet d'un juge, une entreprise de presse... Accusés depuis 2007, les deux gendarmes nient les faits.

Ce qui est intéressant, c'est que ce sont deux gendarmes, âgés d'une cinquantaine d'années aujourd'hui, qui se retrouvent sur le banc des accusés.

Pas leurs chefs, certes, mais on ne doit pas rêver non plus. Lesdits gendarmes étaient au moment des faits, nous dit Le Monde, "membres de la brigade mobile, une unité d'élite très restreinte". Leurs avocats expliquent qu'ils sevrent de "boucs émissaire", ce qui semble incontestable. Sinon, il y aurait beaucoup plus de monde à se retrouver dans la ligne de mire.

Cependant, les avocats ont tout fait pour jouer sur le vice de procédure afin d'obtenir l'annulation du procès, comme s'ils savaient que leurs clients étaient carbonisés, qu'ils étaient déjà au pilori.

De fait, c'est toute la brigade qui est soupçonnée d'avoir commis ces 18 attentats en deux ans. C'est quand-même bizarre, cette épidémie d'attentats chez les forces de l'ordre des démocraties européennes, à cette époque-là. Jos Wilmes et Marco Scheer (les deux gendarmes en question) sont accusés d'avoir organisé la série d'explosions avec deux de leurs collègues, aujourd'hui décédés. Au Luxembourg, ils appellent ça "l'affaire Bommeleeër" (du poseur de bombes).

Selon Daniele Ganser, l'historien le plus calé sur le sujet, il s'agit du "procès du siècle"...

"Le Service de renseignement de l'Etat luxembourgeois (SREL), sous le coup d'une enquête parlementaire en ce moment, aurait informé le gouvernement il y a sept ans de sa thèse concernant l'implication du réseau stay-behind dans les attentats perpétrés par le fameux Bommeleeër (poseur de bombes) dans les années 80 au Luxembourg", expliquait de son côté Luxemburger Wort qui relatait ce procès. Et c'est un ancien membre des renseignements qui le dit, un certain André Kemmer.

Des propos plus ou moins confirmés par l'ancien chef de la police luxembourgeoise et ancien membre de la même brigade mobile que les deux prévenus, Pierre Reuland, qui a évoqué une "piste militaire" pour expliquer la vague d'attentats: "A ses yeux, une "piste militaire" liée aux attaques était une hypothèse "que l'on pouvait sérieusement prendre en compte à l'époque de la Guerre froide". Une hypothèse que M. Reuland avait formulée en 1986 dans un rapport destiné à sa hiérarchie. Il ne sait pas pourquoi cette piste n'a jamais été suivie, affirme-t-il dans une réponse à une question de la Défense", explique "le Wort".

Mais, ledit Pierre Reuland dit ne pas du tout connaitre les poseurs de bombes, et il affirme que la brigade n'a rien à voir avec ces attentats. Si c'était le cas, on peut comprendre qu'il le nie au vu de sa carrière. Il avait aussi déclaré à son supérieur que le poseur de bombes était "très haut placé" et qu'il n'était pas seul.

Toutefois, les deux accusés sont surtout occupés à minimiser leur rôle, notamment pour l'attentat organisé le jour de la fête nationale en 1985, et pour leurs connaissances en matière d'explosifs. Il semble en tout cas que l'exutoire officiel qui a été trouvé, est de nous expliquer que tous ces attentats ont été commis par une brigade folle, juste pour faire augmenter les effectifs de la sécurité nationale.

Franchement, qui peut croire à une telle explication?

Image
Le pot aux roses enfin dévoilé?

Parmi la centaine de témoins convoqués à ce procès, il y a un historien allemand, Andreas Kramer, qui affirme être le fils d'un agent Gladio qui travaillait pour le BND, les services allemands, et qui aurait participé à des attentats au Luxembourg et à celui de la Fête de la Bière à Munich en 1980 [1]. Kramer ajoute que c'est le BND qui est derrière ce massacre et que son père, Johannes, un spécialiste des explosifs, aurait fabriqué cette bombe avec deux autres agents du BND. Il aurait fallu 18 mois pour concevoir une bombe que Kohler aurait pu faire lui-même, et qui fasse assez de dégâts.

Il va sans dire que le type qui aurait -officiellement- organisé cet attentat est un extrémiste qui n'avaient aucun mobile autre que de semer la terreur, et qu'on l'a déclaré fou, parce que c'est plus pratique.

Kramer a déclaré que son père, que l'armée a reconnu comme étant bien une de ses recrues, tout en niant qu'il appartenait au BND, coordonnait le réseau stay-behind au Bénélux, en Allemagne et en Suisse. Mais surtout, il serait impliqué dans 18 des 20 attentats commis au Luxembourg à l'époque. Or, il se trouve que des analyses ADN ordonnées par le tribunal montrent que le père Kramer a probablement été impliqué dans ces attentats: "une trace retrouvée sur l'une des pièces à conviction pourrait accréditer l'hypothèse de la participation de Johannes Kramer"

Il travaillait alors pour l'Allied Clandestine Commission (ACC) de l'OTAN [2] et à ce titre, était en contact avec des militants d'extrême droite. On se souvient que parmi les protocoles secrets d'adhésion à l'OTAN, certains stipulent que les Etats ne doivent pas poursuivre les fascistes. Accessoirement, les liens entre ces groupuscules d'extrême droite et l'armée sont parfois très ténus. D'après Kramer, son père était également mêlé aux tueries du brabant où il n'y a pourtant pas de bombe.

Image
Le père Kramer aurait aussi dit à son fils que c'est le BND qui est allé tuer dans sa cellule un extrémiste de droite, Heinz Lembke, la veille de son témoignage devant le tribunal (on l'a retrouvé pendu le 1er novembre 1981). C'est Lembke qui avait refilé du matériel au groupe Hoffmann (des militaires néo nazis [3]), et tout le monde sait aujourd'hui qu'il était un agent du réseau stay-behind. Lembke est tombé suite à la découverte d'une importante cache d'armes dans la forêt, mais on l'a poursuivi pour avoir refusé de témoigner au procès d'un autre facho.

On a rapidement pu identifier 33 caches d'armes au total, réparties dans le pays. C'est encore lui qui aurait fourni le matériel pour les attentats de Munich. Mais bien sûr, les autorités allemandes ont tout fait pour garder le silence à ce sujet.

Il faut préciser que l'Allemagne dément que Johannes Kramer ait appartenu au BND, et que toute la famille de Kramer s'est retournée contre lui suite à ces déclarations. On comprend pourquoi, quand on connaît les avantages octroyés à ceux qui ont permis au système vérolé qu'on connait aujourd'hui d'être aussi solide.

Kramer, selon des documents présentés par son fils au tribunal, était même un agent double et donnait des infos sur les réseaux stay-behind au KGB. Ceci n'est pas étonnant, vu le nombre impressionnant d'agents doubles, parfois très connus, dans divers pays européens. "Il aurait confessé à son fils dans les années 1990 que les cambriolages dans les carrières et les attentats auraient été opérés par des agents de Stay Behind dont le but était de terroriser la population en espérant un virage politique à droite", résume le quotidien Luxemburger Wort.

Apparemment, dès la fin 1985, on savait que pour trouver les auteurs des attentats, il fallait chercher du côté de la police et de la gendarmerie. Du coup, on a pris des précautions, par exemple en ne donnant à ces fonctionnaires le lieu de leur affectation au dernier moment.

Jacques Santer, ex premier ministre du Luxembourg (et ex président de la commission européenne qui a du démissionner pour corruption) a menti en 1990 quand il a déclaré devant le parlement tout ignorer du réseau Gladio. Ainsi, explique Ganser, "Au cours du procès sont sortis des documents qui démontrent qu'en effet il savait et que durant les années quatre-vingt il a participé à des réunions qui traitaient sur ce sujet". Pourquoi nier l'évidence? Peut-être parce que, comme le dit Kramer, le réseau Gladio est toujours actif (même si officiellement il a cessé dès que l'affaire a été révélée un peu partout en Europe, au début des années 90). Et personnellement, je pense que l'opération Merah, par exemple, est assez révélatrice, ou l'operation Anders Breivik, aussi...

Bizarrement, la presse allemande évite de rentrer dans les détails, de même que les médias français d'ailleurs.

Apparemment, le MI6 serait aussi cité dans ce dossier, comme impliqué dans les attentats commis au Luxembourg.

Tout cela est très flou, car les réseaux stay-behind ont été mis en place et ont poursuivi leurs activités en dehors de tout débat parlementaire, et cela au Luxembourg comme partout. Les accords étaient passés directement avec les gouvernements et les services de renseignement. Ou la mafia, mais c'est la même chose en fait.

-------

[1] Pour cet attentat qui a fait 13 morts, on a fait porter le chapeau à un certain Gundolf Kohler, membre de groupuscules d'extrême droite et mort dans l'explosion, et deux de ses collègues. D'après le fils Kramer, son père aurait participé à la fabrication de la bombe, et qu'il aurait envoyé les lettres de menaces à la compagnie nationale d'éléctricité.

[2] L'Allied Clandestine Commission est une des armées secrètes de l'OTAN, qui n'étaient évoquées qu'en très petits comités, et étaient composées de cellules quasi autonomes.

[3] Hoffmann a dirigé le SREL, les services de renseignements du Luxembourg.