Fukushima Daiichi NPS Unit 4
© TepcoFukushima Daiichi NPS Unit 4
Ruinée et œuvrant au démantèlement d'une centrale nucléaire dans un piètre état, Tepco doit en plus faire face à un autre défi de taille : maintenir sur place un personnel compétent et s'assurer de la possibilité d'en trouver pour les 40 années à venir. Une tâche qui est loin d'être aisée.

« Pour les deux ans à venir, on n'a pas de problème », assure Zengo Aizawa, un vice-président de la compagnie Tokyo Electric Power (Tepco), interrogé en conférence de presse sur le recrutement de personnel pour la centrale accidentée de Fukushima. Cette certitude en fait douter plus d'un, à commencer par des travailleurs eux-mêmes.

Des témoignages de salariés inquiétants

Dans Journal d'un travailleur à la centrale Fukushima Daiichi, écrit au jour le jour depuis plus de deux ans, Happy (un surnom), vétéran de la centrale, explique combien le manque d'expérience d'une partie des individus intervenant sur le site commence à se faire sentir.

« Les gars du BTP ne sont pas habitués à travailler dans un environnement radioactif », souligne-t-il. Quant à ceux qui le sont, ils ne peuvent pas indéfiniment être là, puisque les normes de sécurité sont a priori très contraignantes: pas plus de 50 millisierverts en un an, et pas au-delà de 100 millisieverts cumulés en cinq années consécutives. Les plus chevronnés qui ont déjà passé deux ans sur le site (ils sont environ 200, selon Happy), vont devoir un jour partir. Qui va les remplacer ? C'est tout le problème. Car les candidats ne se bousculent pas pour aller à Fukushima même si, selon Happy ou d'après le manga "1F" dessiné par un autre travailleur, la situation ne se résume pas à un enfer permanent.

Une sous-traitance en cascade

Ce dont a besoin Tepco sur le terrain, ce sont à la fois des techniciens très bien formés (que ce soit les siens ou ceux de groupes autres comme Toshiba ou Hitachi) et des tâcherons à qui vont être confiés des travaux plus ingrats de nettoyage. Ceux-là sont davantage recrutés par des sous-traitrants de sous-traitants de sous-traitants. Le cas échéant, Tepco ne sait rien d'eux, ne leur offre aucune formation. La compagnie ignore même le nombre exact de firmes qui œuvrent à Fukushima. Elles sont plus d'un millier, c'est tout ce que peut répondre Mayumi Yoshida, une porte-parole.

Avec 3 000 travailleurs sur le site chaque jour, il faut une logistique phénoménale et Tepco ne peut évidemment pas avoir l'œil sur tous les compteurs de radioactivité: si bien que, aux dires de Happy, certains sont tentés de masquer les chiffres pour ne pas dépasser la dose qui signerait la fin de leur travail à Fukushima et donc le chômage. Pourtant, le temps où des sociétés offraient des salaires mirifiques pour aller faire la sale besogne est déjà révolu. Aujourd'hui, un salarié ne peut guère espérer gagner que 90 euros par jour.

Un défi de formation...

Plusieurs incidents récents (erreurs de manipulation d'équipements notamment) tendent en tout cas à prouver cette dégradation de la qualité de travail sur une partie des tâches, que ce soit par manque de connaissances, par manque de vigilance ou lassitude. Les dirigeants de Tepco ne l'ignorent pas d'ailleurs, sans doute parce qu'ils se sont fait remonter les bretelles par les responsables de l'Autorité de régulation nucléaire. « Nous allons améliorer de façon radicale l'environnement des travailleurs, par la construction de nouveaux lieux de repos, restauration et soins. Cela ne résoudra pas tous les problèmes, mais globalement cela devrait renforcer la motivation », a promis début novembre le PDG de Tepco, Naomi Hirose.

Et le même de préciser : « il est important de rendre les lieux plus vivables ». En effet, car ce n'est pas pour deux ans mais pour 40 qu'il va falloir recruter du personnel. Et à cette échelle, Tepco n'a absolument aucune visibilité. Et pour cause, la compagnie, comme tout le monde d'ailleurs, ignore totalement quelles techniques devront être employées pour retirer le combustible fondu qui a coulé on ne sait où au fond des réacteurs numéros un à trois. Toutes les techniques sont à inventer. C'est d'ailleurs d'autant plus compliqué que le niveau de radioactivité y est absolument infernal et que des découvertes récentes de fuites d'eau utra-contaminée depuis une enceinte de confinement ne vont pas faciliter les choses.

...pour un immense défi technique

Aux difficultés de trouver des travailleurs s'oppose en revanche la volonté des entreprises du secteur nucléaire, et pas seulement des japonaises, de participer au démantèlement de Fukushima Daiichi, une expérience jugée exceptionnelle du point de vue technique. En clair: qui aura su démanteler les réacteurs ravagés de Fukushima saura démanteler n'importe quelle centrale atomique du monde, et dieu sait que l'affaire peut être juteuse. Ni les Américains, ni les Britanniques, ni les Français ne veulent laisser aux seuls Japonais le monopole du chantier qui peut s'avérer si riche d'enseignements pour conquérir des marchés internationaux.

C'est cette perspective qui, espèrent les dirigeants du Japon, peut aussi permettre d'entretenir une filière de formation nucléaire. Sans horizon autre que d'en finir avec Fukushima, on imaginerait en effet mal les étudiants postuler pour œuvrer dans ce domaine dont l'avenir dans l'archipel est incertain.