La prohibition entraîne ipso facto un déplacement d'objet, une envie de goûter au fruit défendu. Depuis Ève, la chose est entendue.

Interdit d'interdire
© Inconnu
Bien fait pour eux ! Quand on sème la m..., on récolte l'ouragan ! La France d'en haut se prend un bon coup de quenelle dans la figure, ai-je songé en voyant lemonde.fr du 11 décembre faire sa une sur le geste antisystème inventé par Dieudonné. Parce que vient un moment, après que Yann Barthès ou Tony Parker se sont fait piéger en répétant le geste blasphématoire, où les médias ne peuvent plus faire l'impasse sur un phénomène de société.

Cela fait des années que Dieudonné remplit des gymnases entiers de fans enthousiastes et rigolards chantant Shoananas, et la médiacratie a feint de l'ignorer. La vidéo Dieudonné répond à Valls, du 29 août 2013, a été visionnée près de 2 millions de fois ! Dieudonné y parle de résistance, casque de FTP vissé sur la tête, et appelle à la rébellion, en particulier au sein des forces armées. Le pouvoir a voulu museler l'amuseur à coups de procès, d'amendes et de redressements fiscaux, mais en vain. Alors la presse ne peut plus faire semblant d'ignorer le raz de marée et se penche sur le cas de la quenelle pour l'expliquer au troupeau hébété de ses lecteurs, sans jamais poser la question : pourquoi ?

Je ne veux pas juger des intentions de Dieudonné et de son compère Alain Soral. Rien à faire de la morale, je veux juste comprendre. On peut le juger inconséquent et dangereux, surtout dans le mélange de business et d'activisme politique, mais on peut reconnaître qu'il dit des vérités sur la censure et l'autocensure, et qu'il s'est propulsé à la tête d'un mouvement authentiquement populaire, antisystème, voire séditieux. Dieudonné, c'est Diogène le scandaleux, comme le Coluche du « tous pourris » avant lui.

Dans un État de droit, seules les opinions appelant à violer la loi devraient relever des tribunaux. Le délit d'opinion lui-même ne devrait pas exister, comme cela figure à l'article 10 de notre Déclaration des droits de l'homme : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. » Les problèmes commencent quand la loi criminalise l'expression des opinions.

En France, aujourd'hui, on refuse aux électeurs d'un parti représentant un cinquième d'entre eux d'avoir des représentants et de ne point être traités en parias, et un arsenal de lois limitant la liberté d'expression - appelées aussi lois mémorielles - fait peser un ordre moral intolérable sur le débat public.

Parce que je suis démocrate, je pense que toutes les opinions doivent s'exprimer, sur le modèle états-unien. A fortiori, chacun doit pouvoir avoir les idées qu'il veut, sans être soumis à une police de la pensée qui lui fait la morale ou lui intente des procès. Comme l'ont montré Chomsky ou Walser, en régime de liberté les propos extrêmes se déconsidèrent et se marginalisent, en vertu du principe de Talleyrand : tout ce qui est excessif est insignifiant.

L'invective a une fonction de défouloir, de libération des pulsions comme, dans un autre genre, les prostituées avec qui se libérer d'un trop-plein de frustrations. Supprimez les soupapes de sécurité et vous risquez l'implosion. Il faut voir une relation de cause à effet entre l'interdit et le désir de transgression. La prohibition entraine ipso facto un déplacement d'objet, une envie de goûter au fruit défendu. Depuis Ève, la chose est entendue.