Ce n'est pas une nouvelle anecdotique, mais bien une petite révolution conceptuelle sur le rôle biologique et génétique de la mitochondrie dans le cours de nos vies (et de celle de tous les êtres vivants sauf bactéries et archées).

Petit rappel au préalable afin que vous compreniez toute la portée de cette nouvelle annonce. Les mitochondries sont souvent décrites dans vos manuels de « science nat » de lycée comme des sortes de petites gélules d'aspect anodin qui « baignent » dans le gros fatras de nos cellules. Voici une illustration typique.
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Pas de quoi fouetter un chat, vous me direz... J'avais à peine remarqué la mitochondrie à l'époque et j'imagine que vous aussi.

On vous explique dans ces manuels qu'elles ont pour rôle de représenter la centrale énergétique de la cellule : le reste de la cellule fournit à la mitochondrie tout ce qu'il lui faut comme ressources (nutriments, oxygène) et cette dernière va produire des molécules d'énergie qui permettront la survie et la reproduction. Voilà, ça s'arrête là souvent.

Plus rarement, on vous dira que cette mitochondrie résulte en réalité d'une improbable symbiose qui s'est déroulée il y a 1,5 à 2 milliards d'années de cela. Deux organismes bien distincts ont profité d'une sorte d'acte de parasitisme a priori pour finir par coopérer tant et si bien qu'il leur est maintenant impossible de se passer de l'un ou l'autre. C'est un mariage sans divorce possible. Cela devient déjà beaucoup plus intrigant...

Là où votre attention devrait surtout faire « tilt », c'est au moment où l'on précise que cette mitochondrie comporte en son sein son propre génome, distinct de celui du noyau de la cellule (l'ADN classique de la cellule que vous connaissez tous). Cela change tout ! Munie de son « code », cette « petite gélule » a sa propre « personnalité » et donc ses propres intérêts, qui ne sont pas forcément les mêmes que l'ADN du noyau de la cellule ! Coopérer au sein d'un autre ne veut pas dire être esclave...

On nous parle très rarement de ce que fait ou devient ce génome. Alors, on tente de nous rassurer en disant que ce génome est très petit et qu'il n'a gardé que l'essentiel pour réaliser sa tâche de « centrale ». Ce génome ne serait donc pas très important, à part pour nous aider à suivre les générations de femelles, puisqu'on sait que ce génome ne se transmet que par la mère (celui du mâle part direct à la trappe ; ce qui n'est pas anecdotique du tout...).

Encore de nos jours, de nombreux biologistes s'arrêtent souvent là au niveau connaissances de ces « petites centrales ». Le souci, c'est que l'on vient de comprendre que les gènes de la mitochondrie ne sont pas sans effet sur la sélection naturelle/sexuelle. Ces gènes ont en réalité un impact sur la survie et la reproduction des individus (comme vous, ne croyez pas que les humains sont des exceptions) !

Ce « pot aux roses » vient d'être mis à jour par des chercheurs suédois qui ont regardé les gènes d'insectes sur une dizaine de générations et durant deux années. On a ensuite séquencé laborieusement les génomes de plus de 2000 individus (insectes).

Au préalable, des scientifiques s'étaient étonnés qu'il existe de telles variations génétiques des gènes de la mitochondrie au sein d'une population ; on s'attendait à quelque chose d'uniforme a priori et c'est tout le contraire.

Avec l'étude, ce que l'on a remarqué d'incroyable est que les individus qui avaient les gènes mitochondriaux les plus rares au départ étaient ceux qui avaient la meilleure « performance » (survie et reproduction pour ces gènes). Cela explique la surprenante grande variabilité des gènes de la mitochondrie trouvée avant l'étude : étonnamment, dans le cas de la mitochondrie, les individus qui ont des gènes peu communs dans une population vont voir leurs gènes se répandre au lieu de disparaître, comme on aurait pu le penser. Cet effet réalise au final une grande variation des gènes mitochondriaux dans une population donnée.

Du coup, le responsable de l'étude conclut : « Comme le pendule d'une horloge, il y aura toujours des extrêmes de position ».

On pensait jusque-là les gènes de la mitochondrie comme quelque chose de neutre, de « fonctionnel » (en raison du fait que ces gènes ont été, avec le temps, réduits à leur strict minimum).

On s'en était alors servi pour déterminer l'évolution de la taille de populations ou pour les migrations (d'où la théorie d'Ève mitochondriale). Avec cette étude, on voit que cet usage est problématique : les différentes versions d'un gène ne vont pas avoir les mêmes fonctions. Cela complique tout, dont les mauvaises interprétations, et on va certainement encore regarder ces « étranges êtres qui agissent dans l'ombre (de la cellule) » de plus près à l'avenir.

Référence: Erem Kazancıoglu, Göran Arnqvist, The maintenance of mitochondrial genetic variation by negative frequency-dependent selection, Ecology Letters (2014) 17: 22, doi: 10.1111/ele.12195