La revue Prescrire devait présenter, mercredi 19 février, une étude estimant vraisemblable que la dompéridone, utilisée contre les nausées et les vomissements, soit à l'origine de morts subites en Franceau cours de l'année 2012 (entre 25 et 120). Ce médicament est commercialisé notamment sous le nom Motilium par le laboratoire Janssen Cilag, sans compter plus d'une quinzaine de génériques. En mars 2014, l'Agence européenne du médicament (AEM) doit rendre une recommandation sur ce médicament qui présente des risques connus sur le plan cardiaque.

En France, les autorités sanitaires ont considéré que le service rendu par ce médicament dans les nausées et vomissements était « modéré ». L'équipe de Prescrireen réclame le retrait du marché européen et non une simple mesure de réduction de posologie ou de durée de traitement. Selon les données de l'assurance-maladie, environ 3 millions d'adultes en France auraient reçu une ordonnance comportant de la dompéridone en 2012.

Un médicament contre les nausées et vomissements

La dompéridone est utilisée depuis le début des années 1980 pour soulager les nausées et vomissements, ainsi que divers troubles digestifs. Sur le plan chimique, Prescrire rappelle son apparentement à un neuroleptique, la rispéridone, et utilise de ce fait le terme de neuroleptique « caché ». La découverte d'effets secondaires sous forme de troubles du rythme cardiaque, comme avec d'autres neuroleptiques, a entraîné le retrait du marché de la forme injectable du produit, les formes orales (comprimés, granulés effervescents...) demeurant autorisées.

A partirde 2005, des études conduites par des équipes canadienne et néerlandaise ont démontré une augmentation de la fréquence des morts subites chez les personnes exposées à la dompéridone. Cette fréquence est multipliée par un facteur allant de 1,6 à 3,7, selon les études. Les morts subites paraissent avoirété plus fréquentes avec la première dispensation du médicament qu'avec les suivantes, selon une étude canadienne. La première exposition au produit présenterait plus de risques que les suivantes.

Selon le résumé des caractéristiques du produit disponible sur le site de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) :
« Des études épidémiologiques ont mis en évidence que l'utilisation de la dompéridone peut être associée à une augmentation du risque d'arythmies ventriculaires graves ou de mort subite. Le risque peut êtreplus élevé chez les patients âgés de plus de 60 ans ou chez ceux traités par des doses quotidiennes supérieures à 30 mg. La dompéridone doit être utilisée à la dose efficace la plus faible chez l'adulte et l'enfant. »
Trois millions d'adultes exposés à la Dompéridone

L'équipe de Prescrire a cherché à évaluer le nombre de personnes en France ayant consommé de la dompéridone, puis a estimé le nombre de morts subites qu'aurait pu entraîner cette exposition en s'appuyant sur les constatations des études canadienne et néerlandaise.

Pour la première étape, Prescrire a étudié l'« échantillon généraliste des bénéficiaires » (EGB) constitué et régulièrement actualisé par la Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs salariés (Cnamts). Ces données anonymisées incluent les prescriptions de médicaments dispensées en pharmacie et présentées au remboursement. Il en ressort qu'en 2012, 49 354 personnes de l'EGB avaient reçu une ordonnance comportant de la dompéridone, soit 7,7 % de la population générale et jusqu'à 18 % chez les enfants entre 0 et 4 ans.

En ne considérant, comme l'avaient fait les études néerlandaises, que la population âgée d'au moins 18 ans et n'étant pas traitée pour un cancer, ce seraient environ 3 millions d'adultes qui auraient été exposés à la dompéridone. Une exposition qui a peu varié sur la période 2003-2013, note Prescrire. Le plus souvent, les assurés avaient reçu dans l'année une boîte de 40 comprimés dosés à 10 mg. De plus, près de 23 % de ces 3 millions d'adultes se seraient vu prescrire sur la même ordonnance au moins un autre médicament connu pour favoriser également le risque d'arythmie cardiaque.

Entre 25 et 120 morts subites par an

L'incidence des morts subites d'origine cardiaque est estimée entre 50 et 100 pour 100 000 personnes par an. Une étude de 2013 en Ile-de-France avance le chiffre de 29 pour 100 000 personnes par an. Prescrire a construit plusieurs hypothèses à partirde ces données et d'un schéma de prise du médicament pendant deux semaines. La plus basse prend en considération une augmentation d'un facteur 1,6 (soit une hausse de 60 %) comme dans l'étude canadienne et permet d'estimer qu'en France, en 2012, 25 morts subites seraient imputables à la dompéridone. L'autre, plus haute, multiplie par près 3,7 le risque de base et aboutit au chiffre de 120 morts subites qui seraient imputables à ce médicament.

La revue Prescrire évoque deux tendancespossibles, l'une à la surestimation, notamment parce que tous les patients ne suivent pas leur traitement jusqu'au bout, et l'autre à la sous-estimation, entre autres en cas de dépassement de la dose prescrite ou chez les patients hospitalisés. Elle considère cependant la fourchette 25 à 120 morts subites comme vraisemblable.

Cette étude paraît alors que le Comité pour l'évaluation des risques en matière de pharmacovigilance de l'AEM s'apprête à présenter une nouvelle recommandation sur la dompéridone. Lors de la réuniondu début décembre 2013, le comité avait envisagé des « mesures de minimisation » pour les médicaments contenant de la dompéridone. Ces mesures peuvent consister en une préconisation de réduction de la posologie ou de la durée du traitement. Des dispositions que Prescrireestime insuffisantes. La mise en garde aux prescripteurs adressée fin 2011 par l'agence française chargée du médicament et le laboratoire Janssen Cilag « n'a été suivie que d'une diminution marginale de l'exposition », souligne Prescrire. La revue estime qu'en 2014, « il n'y a aucune raison d'utiliser la dompéridone, ni de la prendre en charge par une assurance-maladie, ni de la laisser sur le marché ».