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Combien de temps ? Sous-entendu, combien de temps me reste-t-il à vivre ? C'est la question des condamnés à mort, qu'ils l'aient été par le verdict d'un tribunal ou celui du corps médical, par exemple dans le cas d'un cancer incurable. Cette question fatidique, on a en revanche tendance à l'occulter - car elle nous rappelle à notre condition de mortels - lorsqu'on se sent en bonne santé, qu'aucun indice de maladie grave ne se trouve à l'horizon. Simplement, il arrive parfois que ces signes soient situés sous l'horizon, hors de notre champ de vision. Les déceler, c'est le rôle (un peu glaçant il faut le reconnaître) des biomarqueurs, traces sous-jacentes d'un dérèglement physiologique. Ils constituent les signaux avant-coureurs d'une pathologie ou le risque qu'elle apparaisse. Mais, à ce jour, aucun ne prédit le risque de mort à court ou moyen terme. Personne ne revient d'une prise de sang avec sa probabilité de rencontrer la Camarde dans les cinq ans à venir...

Pourtant, si l'on en croit une étude parue le 25 février dans la revue PLoS Medicine, la chose est bel et bien possible. Tout est parti du désir d'une équipe estonienne d'exploiter la technique de la spectroscopie par résonance magnétique nucléaire (RMN) afin de mesurer d'un seul coup la concentration d'une centaine de biomarqueurs dans le sang au lieu d'utiliser une batterie de tests différents. Ces chercheurs ont exploité pour ce faire les échantillons prélevés sur une vaste cohorte de 9 842 individus âgés de 18 à 103 ans. Ces personnes avaient été recrutées entre 2002 et 2011 et leur suivi durait donc depuis plusieurs années. Et l'on savait qui était décédé dans l'intervalle et qui était toujours en vie.

Après analyse des résultats, ces biologistes se sont aperçus d'un résultat étonnant : un cocktail de seulement 4 biomarqueurs (sur les 106 testés) prédisait fort bien le risque de finir ou pas dans un cercueil au cours des cinq années suivantes. On pouvait grâce à eux composer une sorte de test de la mort, un indicateur des chances de survie à court-moyen terme. Les individus situés dans la zone rouge de cet indicateur risquaient 19 fois plus de trépasser dans les années qui venaient que les personnes classées dans la zone la moins dangereuse. Les biomarqueurs en question étaient les suivants : l'albumine, l'orosomucoïde, les lipoprotéines de basse densité (qui transportent le cholestérol) et l'acide citrique, qui joue un rôle central dans la synthèse de l'ATP, le carburant des cellules.

Trouvant que le résultat était trop simple et trop beau pour être vrai, les chercheurs estoniens ont demandé une confirmation indépendante auprès de collègues finlandais, lesquels disposaient d'une cohorte analogue à la leur. Comme il l'a expliqué au Telegraph, le Finlandais Markus Perola (université d'Helsinki) ne croyait pas pouvoir reproduire les résultats de ses collègues et fut stupéfait lorsque ce fut le cas. Sur une base de 7 503 personnes testées, on retrouvait le même cocktail prédictifs de quatre biomarqueurs (que l'on finira peut-être par renommer « nécromarqueurs »)... « C'était un résultat plutôt extraordinaire, reconnaît Markus Perola. Au départ, nous n'y croyions pas vraiment. Il était étonnant que ces biomarqueurs puissent vraiment prédire la mortalité indépendamment de toute maladie. Il s'agissait d'individus apparemment en bonne santé mais, à notre surprise, ces biomarqueurs montrent une fragilité non décelée que ces personnes ignoraient avoir. »

Le résultat le plus déstabilisant de cette étude est bien là : percevoir une « fragilité » sous-jacente, avoir prédit un risque grave pour la santé chez des personnes « apparemment en bonne santé », ne présentant pas le moindre symptôme d'une quelconque maladie. Sentir en quelque sorte que leur organisme, leur métabolisme, est sur le point de se détraquer complètement, de lâcher. Ne pas avoir isolé un risque particulier de développer une pathologie précise (maladie cardiovasculaire, cancer, ou autre) mais un risque global pesant sur la santé.

Il ne faut évidemment pas s'attendre à se voir proposer demain ce « test de la mort ». D'autres confirmations sont nécessaires, notamment parce que les cohortes étudiées sont très semblables : deux populations d'Europe du Nord ayant peu ou prou le même environnement et le même mode de vie. Il est donc nécessaire de voir si le résultat est valable pour d'autres ethnies, d'autres habitudes alimentaires, d'autres environnements. Il faut aussi comprendre ce que recouvre cet indicateur et par quels mécanismes il connecte des maladies très différentes L'étude pose néanmoins une question intéressante : l'utilisation d'un pareil test à des fins de dépistage permettrait de détecter des personnes dont l'organisme risque de se déglinguer. Mais que faire une fois ceci posé, si l'on ne sait pas identifier ce qui, précisément, va lâcher ? Comme le dit très simplement Markus Perola, « il y a une quetion éthique. Est-ce que quelqu'un voudrait savoir le risque qu'il a de mourir s'il n'est rien que l'on puisse faire ? »