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Mardi soir, lors du dîner annuel de l'organisation juive, le président du CRIF a sommé François Hollande de "parler d'une voix plus ferme" pour lutter contre l'antisémitisme sur Internet. Une demande entendue par le président de la République.

Il est toujours étonnant de voir comment un président de la République et de très nombreux responsables politiques de premier plan se précipitent chaque année au dîner du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF), au risque de donner raison à ceux qui dénoncent la puissance d'un « lobby juif » en France, et par l'effet redoutable des amalgames, de renforcer l'antisémitisme.

Pourtant cette année encore, alors que la montée ressentie de l'antisémitisme devrait inciter à redoubler de prudence, le président François Hollande s'est déplacé au dîner annuel du CRIF pour écouter les demandes de son président Roger Cukierman, parfois formulées comme des ordres.

« Votre gouvernement doit parler d'une voix plus ferme sur ces sujets », a ainsi intimé mardi soir M. Cukierman, en exigeant un renforcement de la régulation sur Internet. « L'urgence d'une régulation internationale de ce fantastique outil s'impose d'autant plus qu'internet véhicule aujourd'hui, en toute impunité ou presque, la promotion de la haine, du fanatisme et de l'endoctrinement ».

Le président du CRIF suggère à demi-mots les pistes pour y parvenir. Tout d'abord s'attaquer au porte-monnaie des plateformes qui n'appliqueraient pas assez doctement la censurec'est en France que se trouvent les internautes qui génèrent les recettes commerciales et publicitaires »). Puis s'en remettre au filtrage, même s'il est hypocrite et contreproductif. « Cela est possible puisque les opérateurs d'internet sont capables de s'opposer à un autre cancer, celui de la pédophilie ».

François Hollande a pris bonne note de la requête, et lui a répondu quelques minutes plus tard dans son discours mardi soir :


Nous avons retranscrit le passage clé en intégralité :
Vous avez évoqué, Monsieur le président, les nouvelles menaces d'Internet, outil merveilleux de diffusion et d'échange, mais comme le livre avant lui, le numérique peut aussi servir de déversoir à l'intolérance, à l'injure, à l'endoctrinement. Il y a eu des livres, hélas, qui ont eu aussi ce rôle dans l'histoire.

Donc ce n'est pas l'instrument qui est en cause, c'est la thèse qui est diffusée. En France et à l'étranger des manipulateurs et des criminels enseignent ce que Poliakov appelait le « Bréviaire de la haine ». Et nous voyons ceux qui les écoutent, ceux qui adhèrent à ces thèses, à ces mensonges, et qui s'en font les prosélytes. C'est ça, le risque d'Internet. C'est la multiplication, c'est le déversement, c'est la diffusion à un niveau jusque là jamais atteint de mensonges et d'insultes.

Le numérique doit donc avoir ses règles. Les fournisseurs d'accès comme les opérateurs doivent les respecter, sans que l'extra-territorialité ne puisse constituer une excuse.

Je retiens, Monsieur le président, ce que vous nous avez proposé. Si nous arrivons à lutter contre les images pédophiles, nous devons aussi réussir à lutter contre les messages délibérément racistes et antisémites. J'ai donc demandé au Gouvernement de me faire rapidement des propositions pour améliorer notre réactivité et éventuellement notre appareil répressif par rapport au développement de la cybercriminalité.

Je rappelle, là aussi, par rapport à ce qui s'était produit avec Twitter l'année dernière, que le Gouvernement a négocié avec cette grande entreprise des engagements concrets - suppression des contenus illicites, gel des données d'enquête, déréférencement... Et bien nous agirons de la même manière, en France, en Europe, et dans le monde, face aux géants mondiaux du numérique pour aboutir à ce résultat.
François Hollande reprend ainsi à son compte les promesses de Manuel Valls de « discuter avec les opérateurs » (en réalité les éditeurs et hébergeurs de services) des mesures de censure qui pourraient être mises en place sans attendre d'ordonnance judiciaire. Il souligne également la nécessité de lutter non plus seulement contre ceux qui diffusent des messages, mais aussi contre ceux qui « adhèrent à ces thèses et qui s'en font les prosélytes ». C'est tout l'objet de la lutte contre les quenelles reprises par les soutiens de Dieudonné, mais aussi toute la difficulté de qualifier pénalement un geste ou une parole qui n'est pas objectivement illicite, et le risque parfois de confondre antisémitisme et antisionisme.

Pour mettre en oeuvre ces nouvelles mesures de régulation sur Internet, François Hollande dit avoir demandé au Gouvernement de formuler des propositions. C'est l'objet du groupe de travail interministériel relatif à la cybercriminalité, animé par le magistrat Marc Robert, dont les conclusions sont régulièrement reportées.

Initialement, selon un courrier (.pdf) signé le 10 juillet 2013 par Christiane Taubira, il devait rendre un rapport en novembre 2013, en associant les ministères de la Justice, de l'Intérieur, de l'Economie Numérique et du Budget. « La mission dévolue à ce groupe de travail est plus large, mais il lui appartient bien de faire des propositions dans le cadre de la lutte contre le racisme et l'antisémitisme sur Internet », écrivait la garde des sceaux.