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Le projet de loi d'Avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt arrive au Sénat aujourd'hui. Un projet qui privilégie une gestion productiviste et industrielle de la forêt, et contre lequel de plus en plus de voix s'élèvent.
La forêt française est en danger. C'est l'alerte lancée par le collectif SOS Forêt depuis quelques mois. « On va tout cramer et dans vingt ans on n'aura plus de bois, s'inquiète Régis Lindeperg de l'Association Adret Morvan. Nous sommes à une période charnière. »
L'affaire est sérieuse, elle concerne 16,4 millions d'hectares en France métropolitaine, soit 29% de la surface de l'hexagone. Cela fait déjà quelques années qu'à travers toute la France, associations locales et syndicats des professionnels de la forêt s'inquiètent d'une industrialisation de la forêt française.


Le projet de loi d'Avenir pour l'Agriculture, l'Alimentation et la Forêt, qui arrive au Sénat ce mercredi, les a poussés à s'unir au sein du collectif SOS Forêt.

Le texte affirme la nécessité d'allier performances économique et écologique. Les objectifs sont de préserver la « diversité biologique » des forêts tout en assurant « la compétitivité et la durabilité des filières d'utilisation du bois. » De belles paroles qui ne se retrouvent pas du tout dans les mesures mises en place par la loi, selon SOS Forêt. « Le texte a été dicté par les gros industriels de la filière, uniquement dans le but de mobiliser plus de bois », dénonce Régis Lindeperg, qui a analysé le texte pour le collectif.

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La forêt française, sous-exploitée ?

Premier reproche, la loi se base sur une évaluation de la situation erronée. « Ils sont restés sur le rapport de 2009 », déplore ce spécialiste des forêts. Ce rapport, signé par le ministre de l'Agriculture d'alors Jean Puech, concluait que la forêt française est sous-exploitée.
« Mais les chiffres étaient erronés ! » proteste Régis Lindeperg. Depuis, l'Inventaire forestier national l'a reconnu.

De plus, il est difficile de généraliser le constat à toute la France. Certaines forêts de montagne inaccessibles ne peuvent pas être exploitées, tandis que les forêts de feuillus du Nord sont « très rentables et de plus en plus surexploitées », note SOS Forêt dans son document d'analyse de la loi.

Autre idée fausse : la surface des forêts augmente, on peut donc les exploiter de plus en plus. « C'est vrai, il y a de plus en plus de forêts, reconnaît Régis Lindeperg. Mais avec des arbres de plus en plus petits et jeunes. La France a le plus faible volume de bois à l'hectare d'Europe. »

Ainsi, mesure symbolique, le projet de loi rend possible une réduction de la surface forestière en France. Une première, alors que depuis la première ordonnance sur la forêt en 1349, les pouvoirs publics avaient toujours cherché - avec plus ou moins de succès - à protéger la forêt. Pour l'instant, la loi oblige celui qui coupe une forêt à en replanter une « équivalente ».

« C'est compliqué, donc cela limite les gros projets industriels, explique Anne Berthet, du Réseau pour les Alternatives forestières. Mais l'astuce du projet de loi est d'autoriser une compensation financière : on pourra couper des forêts sans s'embêter à en replanter. »

Une filière concentrée, destructrice d'emplois

Résultat, le projet de loi pousse à une exploitation « industrielle » de la forêt, dénonce SOS Forêt. « On va reproduire les mêmes erreurs que celles que l'on a faites dans les années 70 en l'agriculture : on va encourager la monoculture intensive, la concentration et donc on va détruire des emplois », s'inquiète Murielle André, coordinatrice du collectif.

A travers les GIEFF (Groupement d'intérêt économique et écologique forestier), le projet de loi incite les industriels à se regrouper, pour créer de grosses unités de sciage du bois. Ils pourront ainsi signer de plus gros contrats d'achat du bois. Mais « ils auront obligation de planifier une date de coupe précise pour le bois. Cela montre bien que l'obsession est de couper le bois, et pas trop tard », note Régis Lindeperg.

Et puis ces gros groupements risquent de monopoliser les ressources en bois, et d'empêcher les petites scieries de s'approvisionner. « Pourtant les petites structures sont beaucoup plus créatrices d'emploi, rappelle Muriel André. En scierie industrielle il faut 3.000 m3 de bois pour créer un emploi, contre 1.000 m3 en petite scierie. Et si le bois est transformé par une petite structure, par exemple pour fabriquer des meubles, il suffit de 40 m3 pour créer un emploi. »

SOS Forêt plaide donc pour une filière décentralisée en petites scieries, capables de s'adapter à une diversité d'essences et d'âges du bois. Elles peuvent donc traiter des arbres plus vieux pour fournir du bois de qualité destiné à des usages plus nobles comme la construction de meubles ou de charpentes.

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Monocultures intensives

Le projet loi pousserait lui vers une filière concentrée sur quelques grosses unités standardisées. « Aujourd'hui les scieries s'équipent avec des machines des pays du Nord de l'Europe, calibrées pour couper des troncs de petit diamètre, parce qu'ils n'ont que des résineux chez eux. On formate la forêt pour alimenter ces usines », explique Régis Lindeperg.

Les conséquences s'observent déjà dans le paysage français, comme sur le plateau des Millevaches dans le Limousin. Les forêts de feuillus ont été rasées au profit des sapins Douglas : « Au début, les arbres poussaient très bien car ils étaient sur un humus fertile de feuillus. Mais ensuite, ces arbres acidifient le sol et au bout d'un certain temps, les exploitants sont obligés de mettre des engrais. »

Muriel André poursuit : « La loi va encourager ces monocultures intensives, avec des coupes à blanc tous les 25 à 40 ans. » Les arbres sont alors trop jeunes pour être travaillés. « Ils servent donc à être brulés. » D'ailleurs, de grosses centrales « biomasse », pour produire électricité et chaleur à partir du bois sont en projet à Gardanne (Bouches-du-Rhône) et Pierrelatte (Drôme). Dans le Morvan, c'est un projet de scierie géante qui projette de fournir des granulés de bois chauffage, qui a été suspendu par le Conseil d'Etat en octobre.

Mais le plus gros problème de ce projet de loi, selon le collectif, « c'est ce qu'il ne contient pas ». Il affiche des ambitions en matière de gestion durable, mais ne les traduit pas en mesures concrètes. Dans les plans de gestion des forêts ou les règles de création et d'évaluation des GIEFF, ces regroupements industriels créés par la loi : « il n'y a aucun critère de gestion écologique. On ne dit ni comment on cultive, ni comment on coupe le bois ! » s'étonne Régis Lindeperg.

Pourtant, différents modèles de gestion de la forêt existent. A un extrême, la futaie régulière plante des arbres de même âge, même taille et même essence coupés à blanc tous les 30 ou 40 ans.

A l'inverse, la futaie irrégulière, privilégie des mélanges de variétés, d'âges et de taille, les arbres sont coupés un à un de façon continue. Elle assure un renouvellement à un rythme régulier, ce qui offre plus de visibilité économique. Elle préserve aussi la biodiversité : des arbres d'âges et d'essences différentes permettent d'abriter des espèces plus variées. Entre les deux modes de gestion, « il y a autant de différences qu'entre un potager bio et un champ de maïs », illustre Régis Lindeperg.

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© WikipediaFutaie régulière
Rappeler toutes les fonctions de la forêt

SOS Forêt propose donc d'introduire ces critères de gestion durable dans la loi. Associations et professionnels de la forêt plaident pour que la gestion en futaie irrégulière soit favorisée, comme en Wallonie dans les forêts publiques. Les coupes à blanc pourraient aussi être réglementées, comme en Autriche ou dans certains Landers allemands, voire même interdites, comme en Suisse ou en Slovénie.

Pour préserver les sols forestiers, tassés par les gros engins, le collectif préconise également de limiter leur taille. Et pour permettre leur renouvellement, ils demandent à limiter « l'enlèvement des rémanents », c'est à dire les petites branches et les souches qui restent après qu'un arbre soit coupé. « Aujourd'hui on les prélève pour les brûler, mais ils sont essentiels à la forêt : si on les laisse sur place, ils alimentent l'humus du sol », explique Régis Lindeperg.

Enfin pour vérifier que cette gestion durable est bien mise en place, le collectif demande à ce que les plans de gestions des forêts puissent être consultés par les habitants et les communes alentours. Une façon de laisser plus de place à la société civile, et de rappeler que les forêts ne sont pas uniquement destinées à une exploitation économique, mais assurent aussi des fonctions environnementales et sociales.