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Est-​​ce une menace ou un chan­gement de stra­tégie ? La décision des Pales­ti­niens d'adhérer aux traités inter­na­tionaux des Nations unies a fait l'effet d'un coup de ton­nerre  -  bien que ceux-​​ci aient évité de rejoindre, pour l'instant, la Cour pénale inter­na­tionale (CPI), ce qui leur per­met­trait de traîner les diri­geants israé­liens devant la justice. Bassem Khoury, ancien ministre de l'économie, explique ici le point de vue palestinien.

Le pré­sident Mahmoud Abbas a décidé de demander l'adhésion de la Palestine à quinze traités inter­na­tionaux dédiés aux droits humains et au droit inter­na­tional. Malgré les pres­sions venues de toutes parts et a contrario des voix défai­tistes, la direction de l'Organisation de libé­ration de la Palestine (OLP) a montré qu'elle ne saurait être plus long­temps une obser­va­trice passive et qu'elle entend désormais uti­liser le climat favo­rable dont elle béné­ficie depuis quelque temps pour obtenir justice pour les Palestiniens.

L'occupation israé­lienne et les infra­struc­tures colo­niales qu'elle a construites ont mis en place un système de contrôle et d'oppression qui rend tous les aspects de la vie - - et en par­ti­culier l'économie - - otages de stra­tégies pour­suivies sans aucune consi­dé­ration pour les droits humains ni pour le droit inter­na­tional. Le destin des Pales­ti­niens est déterminé par la volonté d'Israël mais une nou­velle dyna­mique est clai­rement en train d'émerger, car les poli­tiques israé­liennes sont aussi influencées par l'économie, avec le droit inter­na­tional et les droits humains comme cata­ly­seurs. La récente des­cription, par Thomas Friedman, d'Israël affrontant une dicho­tomie entre colo­nia­lisme et pros­périté éco­no­mique est à la fois précise et pertinente.

Qu'est-ce qui a changé ? L'Israël d'aujourd'hui est-​​il dif­férent de l'Israël d'hier, le pays dont l'Europe veut éti­queter les pro­duits colo­niaux en tant que tels, celui où les banques euro­péennes ne veulent plus investir ? La réponse est : non, Israël n'a pas changé. C'est bien la même entité colo­niale qui poursuit la même poli­tique de net­toyage eth­nique depuis des dizaines d'années. Alors, en quoi ce mou­vement est-​​il lié aux efforts obs­tinés - - du moins en appa­rence  -  du secré­taire d'État amé­ricain John Kerry de négocier un accord ?

Le chan­gement, de nature « poten­tiel­lement sis­mique », qui a modifié la donne du conflit s'est produit le 29 novembre 2012, quand la Palestine est devenue un État non-​​membre des Nations unies grâce à un vote favo­rable aux deux tiers de son Assemblée générale. Ce vote a été rendu pos­sible par la décision des Euro­péens, conduits par l'Irlande, Malte et le Luxem­bourg et suivis par la France, l'Italie, l'Espagne et les pays nor­diques, malgré les pres­sions pour une « position commune euro­péenne » en faveur de l'abstention. De ce fait, la décision de l'ONU est devenue irré­vo­cable. Il a été dit que Abbas était allé chercher le vote onusien en dépit des pres­sions exercées pour qu'il se désiste. Les États-​​Unis avaient pourtant averti que cet acte dépassait la ligne rouge et mettait en danger les intérêts américains.

En quoi ce statut d'État non-​​membre est-​​il si important ? Les États non-​​membres ont le droit d'adhérer aux traités inter­na­tionaux et de siéger dans les orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales. Les pre­miers traités sur la liste des adhé­sions sont les Conven­tions de Genève, que le pré­sident pales­tinien a demandé à rejoindre aujourd'hui, ainsi que le traité de Rome. Par ces adhé­sions, le statut de la Palestine deviendra celui d'un « pays occupé ». Toutes les actions illé­gales de l'occupant israélien qui consti­tuent des crimes de guerre pourront être jugées par la Cour pénale inter­na­tionale (CPI), laquelle sera alors habi­litée à pour­suivre toute per­sonne phy­sique ou morale, tout pays qui vio­lerait la sou­ve­raineté pales­ti­nienne. Toute per­sonne tirant profit de l'occupation pourra être tenue res­pon­sable en vertu du droit inter­na­tional. La CPI a déjà prouvé sa com­pé­tence ; le pré­cédent a été établi par la plainte déposée par les agri­cul­teurs nigé­rians contre la mul­ti­na­tionale Shell Oil pour pol­lution du delta du Niger due à l'extraction du pétrole. La CPI a inculpé Shell, qui a été forcé de payer de lourds dom­mages et intérêts.

Les vio­la­tions de la sou­ve­raineté pales­ti­nienne par Israël et d'autres pays sont bien connues. Avions sur­volant la Palestine ; tou­ristes et pèlerins visitant Jérusalem-​​Est via Israël sans le consen­tement pales­tinien ; Volks­wagen négo­ciant les minéraux de la Mer Morte pour un million de dollars ; les car­rières de Hei­delberg Cement et le tramway de Veolia reliant les colonies de Jéru­salem sont tous des exemples de vio­la­tions fla­grantes. En un mot, n'importe lequel des 700 000 colons ou qui­conque construit ou rend des ser­vices à l'infrastructure colo­niale est un cri­minel de guerre potentiel.

Pour donner une chance aux négo­cia­tions, un mora­toire de neuf mois concernant l'adhésion de la Palestine aux traités inter­na­tionaux a été accepté. Il expire offi­ciel­lement le 29 avril 2014, et pour les acteurs poli­tiques pales­ti­niens, ce sera le « jour J ». Ils ont insisté à plu­sieurs reprises sur le fait qu'en l'absence d'une percée positive, la Palestine agirait. Les négo­cia­teurs pales­ti­niens montrent d'ailleurs, en « off », un CD avec les ins­tru­ments d'adhésion aux soixante-​​trois traités et conven­tions de l'ONU.

La décision est un pas dans la bonne direction. Elle concerne les Conven­tions de Genève et les agences de pro­tection des droits humains et des civils. L'adhésion à la Cour pénale inter­na­tionale n'est pas encore à l'ordre du jour, mais ce n'est qu'une question de temps. Les Israé­liens qui menacent les Pales­ti­niens devraient se sou­venir de la façon dont le Tri­bunal de la Haye a agi avec des cri­minels de guerre comme Slo­bodan Milosevic.

Le secré­taire d'État Kerry aurait fait réfé­rence à la CPI, dans ses conver­sa­tions avec Abbas, comme à une « arme nucléaire », et des juristes ont conseillé à Tzipi Livni elle-​​même de ne pas quitter Israël si les Pales­ti­niens se résol­vaient à un tel recours. Cer­tains en ont reconnu l'importance mais jugent que la marge de manœuvre des Pales­ti­niens est faible, tandis que d'autres parlent d'une absence de volonté à com­pro­mettre des posi­tions actuel­lement « confortables ».

Selon les Pales­ti­niens, 97 pays inves­tissent dans les colonies. Ils ne sou­haitent pas être mis en cause par la cam­pagne BDS ; ils veulent éviter tout procès, à présent que la position euro­péenne a changé et qu'elle sou­tient les dés­in­ves­tis­se­ments danois, suédois et nor­vé­giens, pour n'en nommer que quelques-​​uns. Ce qui oblige à plus ou moins long terme Israël à choisir entre le colo­nia­lisme et la pos­si­bilité de vivre dans des fron­tières sûres et reconnues. La boule de neige continue de rouler et de grossir ; Friedman a évoqué l'idée d'un « véri­table levier de pouvoir pour les Pales­ti­niens dans leurs négo­cia­tions avec Israël ».

Les deux scé­narios les moins vrai­sem­blables sont qu'Israël recon­naisse ses fautes et se retire en-​​deçà des fron­tières du 4 juin 1967. Ou alors que le « jour J » de la Palestine arrive sans que des mesures ne soient prises ; des mesures éven­tuel­lement plus impor­tantes que celles déjà annoncées par Abbas. Cer­tains obser­va­teurs sou­lignent que Mahmoud Abbas  -  dont la répu­tation a été sévè­rement entachée par sa mau­vaise « gestion » du rapport Gold­stone  -  ne fera pas deux fois la même erreur. D'autres scé­narios appa­raissent peu plau­sibles, tel l'avènement du chaos qui para­ly­serait toute action de Abbas et ferait le lit de leaders pales­ti­niens « alter­natifs ». Dans la mesure où la vio­lence ne pourrait être contenue, la sécurité d'Israël serait en jeu. Quant à l'option du lea­dership de Mohammed Dahlan, ce n'est pas une menace imminente.

Le scé­nario le plus pro­bable est que, selon une logique de sur­en­chère diplo­ma­tique clas­sique, les États-​​Unis imposent des com­promis. Ceux-​​ci pour­raient aller beaucoup plus loin que ce qu'Israël est prêt à accorder dans le pire des cas, et devien­draient dès lors accep­tables par les Palestiniens.

Cer­tains proches des négo­cia­tions parlent d'une posture pales­ti­nienne de défi et d'un aver­tis­sement sévère quant au fait qu'il y a une limite à ce qui peut être accepté. Avec le vote unanime de la direction de l'OLP pour lancer le pro­cessus de l'ONU, et avec la puis­sance des armes éco­no­miques et diplo­ma­tiques nou­velles, les rôles ont changé ; le captif a une chance de mettre son bourreau face à la justice. Je me demande si les cyniques  -  ceux qui ne croient pas les Pales­ti­niens soient capables d'agir en conformité avec leurs prin­cipes  -  réa­lisent vraiment ce que cela pourrait signifier.