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© Flash90/FileSheldon Adelson
Il n'y a rien de mieux qu'un scandale chaque semaine. Un scandale un peu épicé pas­sionne les gens, mobilise les médias, dis­trait nos esprits de ques­tions comme la guerre et la paix, l'occupation et l'apartheid. C'est comme "panem et cir­censes" (du pain et des jeux) dans la Rome antique.

Cette semaine plu­sieurs scan­dales nous ont occupés. Ehoud Olmert, ancien Premier ministre, a été reconnu cou­pable d'avoir reçu d'énormes pots-​​de-​​vin lorsqu'il était maire de Jéru­salem. Il a été payé pour donner son accord à un mons­trueux com­plexe immo­bilier sur la plus haute colline de Jérusalem-​​ouest, visible de très loin.

Comme si cela ne suf­fisait pas, Sylvan Shalom, ministre du gou­ver­nement cou­vrant une demi-​​douzaine de fonc­tions, fut sus­pecté d'agressions sexuelles. Une ancienne secré­taire s'est rappelé qu'il y a quinze ans il l'avait agressée dans sa chambre d'hôtel.

Avec des nou­velles aussi exci­tantes à se mettre sous la dent, qui peut trouver le temps et l'énergie de penser à la crise dans les négo­cia­tions israélo-​​palestiniennes, qui en réalité n'ont jamais com­mencé ? L'opinion publique sait par­fai­tement que ces négo­cia­tions sont une farce initiée par une admi­nis­tration amé­ri­caine qui n'a le courage ni de s'opposer aux laquais du gou­ver­nement israélien au Congrès des États-​​Unis ni d'imposer quoique ce soit à Ben­jamin Nétanyahou.

ET MÊME, SI quelqu'un nour­rissait encore des illu­sions sur la poli­tique amé­ri­caine, elles ont été dis­sipées cette semaine.

Le magnat des casinos, Sheldon Adelson, a procédé à une démons­tration publique de son pouvoir.

Il a convoqué à son paradis des parieurs de Las Végas les quatre can­didats répu­bli­cains les plus pro­bables aux pro­chaines élec­tions pré­si­den­tielles, pour en choisir un. Tous les invités ont répondu à la convo­cation, naturellement.

Ce fut un spec­tacle honteux. Les hommes poli­tiques ram­paient devant le sei­gneur des casinos. De puis­sants gou­ver­neurs d'États impor­tants fai­saient de leur mieux pour se vendre comme des can­didats à un entretien d'embauche. Chacun d'eux s'efforçait de l'emporter sur les autres en pro­mettant de satis­faire les demandes du magnat.

Flanqué de gardes du corps israé­liens, Adelson soumit ces pré­ten­dants amé­ri­cains à un inter­ro­ga­toire serré. Et qu'exigeait-il du futur pré­sident des États-​​Unis ? D'abord et par-​​dessus tout, une obéis­sance aveugle et incon­di­tion­nelle au gou­ver­nement d'un autre État :

Israël.

Adelson est l'un des Juifs les plus riches du monde. C'est aussi un fana­tique homme de droite - pas seulement un Amé­ricain de droite, mais aussi un Israélien de droite.

Tandis qu'il est main­tenant en quête du meilleur pré­sident amé­ricain qu'on puisse se payer avec de l'argent, il a déjà choisi son com­parse israélien. Il s'est livré à une chose sans pré­cédent dans l'histoire israé­lienne : créer un outil pour imposer ses vues d'extrême-droite au peuple israélien.

Il a dans ce but investi des sommes consi­dé­rables dans un quo­tidien de son cru. Il a pour titre "Israël Hayom" (Israël aujourd'hui), et il est tota­lement gratuit : il est dis­tribué gra­tui­tement dans tout le pays. Son lec­torat est main­tenant le plus nom­breux du pays, menaçant l'existence de l'ancien N° 1, "Yedioth Aha­ronoth" et tuant le suivant, "Maariv".

L'unique objectif du journal d'Adelson est de servir Ben­jamin Néta­nyahou, au plan per­sonnel et au plan poli­tique, de façon incon­di­tion­nelle et sans réserve. C'est une inter­vention tel­lement fla­grante d'un mil­liar­daire étranger dans la poli­tique israé­lienne qu'elle a suscité une réaction : tous les partis de la Knesset, droite et gauche confondues (à l'exception du Likoud évi­demment) ont signé une pétition pour mettre un terme à cette cor­ruption de la démocratie.

ASSEZ BIZAR­REMENT, il se trouve que le mou­vement sio­niste a été fondé dans un casino. C'était le nom du lieu à Bâle, en Suisse, où s'est réuni le premier congrès sio­niste en 1897. Mais il n'avait rien à voir avec les paris. Le Stadt­kasino était tout sim­plement une salle située en centre-​​ville.

Depuis lors, les casinos sont devenus des lieux de paris, liés dans l'esprit du public à la Mafia. De nos jours il semble qu'ils soient kashers aux États-​​Unis, alors qu'ils soient stric­tement interdits en Israël.

Las Vegas est devenue aujourd'hui la capitale de la poli­tique amé­ri­caine. Tout ce que fait Adelson est fait ouver­tement, fiè­rement, sans honte. Je me demande comment réagissent des Amé­ri­cains ordi­naires à ce spec­tacle d'un mil­liar­daire - en par­ti­culier un mil­liar­daire juif - qui choisit leur futur pré­sident à leur place.

On nous dit que l'antisémitisme est en hausse en Europe et dans le monde. Dans le monde mental fou des anti­sé­mites, les Juifs dominent le cosmos. Et nous avons ici un Juif, sorti tout droit des pages du Pro­tocole des Sages de Sion, qui essaie de nommer le diri­geant du pays le plus puissant de la Planète.

Adelson a échoué dans le passé. La der­nière fois, il a misé des sommes consi­dé­rables sur un can­didat sans espoir, puis sur le can­didat répu­blicain désigné, qui a été battu à plates cou­tures par Barack Obama, un libéral, un noir, une abo­mi­nation. Mais per­sonne ne peut être sûr que cela se repro­duira. Pour Adelson, le slogan pourrait bien être : "Si ça ne marche pas avec de l'argent, essayons avec plus d'argent !"

LE PRO­BLÈME FON­DA­MENTAL c'est que le pro­cessus poli­tique amé­ricain est tota­lement cor­rompu. On ne peut pas le dire autrement.

Pour devenir le can­didat désigné d'un des prin­cipaux partis, puis être élu pré­sident, il faut des sommes d'argent consi­dé­rables. Comme le prin­cipal champ de bataille est la télé­vision, et que les can­didats doivent payer pour s'y montrer, les mon­tants deviennent de plus en plus élevés.

Il est agréable de penser que des citoyens ordi­naires peuvent réunir ces mon­tants par leurs dons modestes, mais c'est une illusion. Des dons de ce niveau ne peuvent venir que des riches, et en par­ti­culier des très très riches. (Les Amé­ri­cains n'aiment plus ce mot révé­lateur et parlent plutôt des "nantis". Mais c'est du pur blanchiment.)

Les très riches ont été qua­lifiés de mil­lion­naires, puis de multi-​​millionnaires, et main­tenant de mil­liar­daires. Adelson est un multi-​​milliardaire.

Un mil­liar­daire ne mise pas une fortune sur un can­didat à la pré­si­dence pour rien. D'abord, ce n'est pas de cette façon qu'il est devenu mil­liar­daire. Une fois obtenue l'élection de son homme, il exige impi­toya­blement son dû, un dû très lourd.

On m'a dit qu'Adelson sou­haite faire interdire les paris par internet, afin de per­mettre aux bons vieux casinos ordi­naires de pros­pérer. Mais je ne doute pas que ce sont ses pas­sions sio­nistes de droite qui priment. S'il réussit à ins­taller son favori à la Maison Blanche, les États-​​Unis seront tota­lement asservis à l'extrême-droite d'Israël. Il ferait aussi bien de placer Néta­nyahou dans le Bureau ovale. (Alors, voici une idée ! Cela ne demande qu'un petit amen­dement à la Consti­tution. Combien cela peut-​​il bien coûter ?)

Je n'aurais rien trouvé à redire à cela si Adelson com­prenait réel­lement quelque chose au conflit israélo-​​arabe. Avec l'arrogance des très riches, il le pense. Pourtant il semble qu'il n'ait pas la moindre idée des racines du conflit, ni de son his­toire ni des graves dangers qui nous attendent dans l'avenir.

Si Adelson pouvait dicter notre avenir, cela se tra­duirait par un désastre pour notre pays.

NOTRE PROPRE système poli­tique n'est pas aussi cor­rompu que le système amé­ricain, mais il est assez mauvais.

Les partis israé­liens qui prennent part aux élec­tions obtiennent des temps de télé­vision pro­por­tionnels à leur impor­tance dans la Knesset sor­tante, avec un temps minimum attribué aux nou­veaux partis. Mais cela est loin de suffire pour une cam­pagne électorale.

Les sommes que les partis peuvent recevoir de dona­teurs sont limitées ainsi que les sommes qu'ils sont auto­risés à dépenser. Le contrôleur de l'État exerce un contrôle rigoureux.

Et voilà que nous revenons à Olmert.

Aucun homme poli­tique ambi­tieux ne se satisfait des sommes auto­risées. Beaucoup cherchent des com­bines pour contourner le contrôleur, allant quel­quefois jusqu'aux limites de la légalité, les dépassant souvent. Olmert lui-​​même a été sus­pecté à plu­sieurs reprises dans le passé d'utiliser de l'argent illégal, mais il a tou­jours réussi à s'en sortir.

Contre­venir à la loi de cette façon est un crime, mais dans le passé l'opinion publique israé­lienne ne l'a pas vraiment condamné très fran­chement. La réaction générale était "les poli­ti­ciens seront tou­jours des politiciens."

La réaction a changé lorsque, pour la pre­mière fois, il est apparu que des poli­ti­ciens accep­taient des pots-​​de-​​vin non au profit de leur parti mais à leur profit per­sonnel. Le premier scandale important de ce genre, révélé par mon magazine en 1976, concernait Asher Yadlin, un diri­geant du parti tra­vailliste qui venait d'être nommé gou­verneur de la Banque d'Israël. On a constaté qu'il recevait les pots-​​de-​​vin pour lui-​​même au lieu du parti et il est allé en prison. Depuis lors, de nom­breux cas de ce genre ont été révélés. Plu­sieurs ministres ont été envoyés en prison. L'un d'eux a déjà effectué sa peine de prison et joue de nouveau un rôle central à la Knesset. Ariel Sharon et Avigdor Lie­berman ont échappé d'un cheveu à l'inculpation.

(J'ai déjà raconté l'histoire de cet ancien ministre de l'éducation à qui un col­lègue disait : "Félicite-​​moi ! J'ai été acquitté !" et qui lui répli­quait sèchement : "Bizarre. Je n'ai jamais été acquitté !")

Olmert est le dernier impliqué et il fait oublier tous les autres parce qu'il était Premier ministre. Le pays est choqué. Mais sa longue car­rière a été ponctuée de mises en accu­sation dont il s'est tou­jours tiré grâce à ses avocats. Au début il prenait de l'argent pour ses cam­pagnes élec­to­rales. Plus tard il prenait de l'argent pour lui-​​même.

IL N'EST pas pos­sible de sup­primer la cor­ruption du pro­cessus poli­tique aux États-​​Unis - ou ici - sans changer com­plè­tement de système élec­toral. Tant qu'il faudra dis­poser de sommes consi­dé­rables pour se faire élire, la cor­ruption règnera en maître.

Jusqu'à la mise en place d'une telle réforme, les Adelson et les Olmert conti­nueront à cor­rompre la démocratie.

Et le monstre de la Colline de Jérusalem servira d'avertissement.