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Suite au retour de la Crimée dans le giron de la Russie au lendemain du référendum des populations de la péninsule de la mer noire, divers analystes va-t-en guerre ont auguré de la volonté de Poutine d'envahir tous les pays ayant constitué le glacis de l'ancien pacte de Varsovie. D'aucuns, dans la foulée, pour augmenter la peur chez les prolos, présagent même le lancement d'une ogive nucléaire russe sur Manhattan. Ont-ils tort ou raison de nourrir de tels cauchemars ?

Poutine a eu à dire certes que « l'effondrement de l'URSS était la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle » de là à pronostiquer qu'il veuille la rétablir, on est à coté de la plaque. Il a eu à dire aussi que « ceux qui ne regrettent pas la disparition de l'URSS n'ont pas de cœur, mais ceux qui voudraient la refaire n'ont pas de tête ». Une phrase qui en dit long quant à l'état d'esprit d'un homme pragmatique, d'un homme qui a toute sa tête.

La Russie post deuxième guerre mondiale a adopté une doctrine militaire défensive. Ce qui s'entend, qu'elle ne réagit que seulement quand elle se sent attaquée dans son environnement immédiat, dans son espace naturel, dans sa sphère géostratégique. L'Ukraine est un élément important dans son dispositif défensif, autant que l'est le Canada ou le Mexique pour les Etats-Unis d'Amérique. Le géostratège Américain Zbigniew Brzezinski, conseiller politique de maints présidents des Etats-Unis d'Amérique, dont l'actuel locataire de la Maison Blanche, le reconnait tellement qu'il clame dans son maitre ouvrage « le grand échiquier » qu'il suffit de soustraire l'Ukraine à la sphère d'influence de la Russie pour que cette dernière devienne très vulnérable. Sans l'Ukraine a-t-il dit les rêves de rétablissement de l'empire russe ne sont que chimères.

« L'annexion » de la Crimée, Russe depuis près de trois siècles, intégrée à la République d'Ukraine à la faveur d'un découpage géographique décidé en 1954 par la seule volonté du Secrétaire Général du PCUS, Nikita Kroutchev, a fait couler beaucoup de salive. Poutine ou tout autre dirigeant russe responsable aurait tout fait pour réintégrer la Crimée au sein de la Fédération Russe, au vu de l'hostilité manifeste des nouveaux dirigeants de Kiev qui ne présageait rien de bon quant à l'avenir de sa base navale de la mer noire qui donne accès à la méditerranée et permet de garder l'œil sur la Turquie, l'ennemi séculaire. Tout homme d'Etat Russe soucieux de l'avenir de son pays verrait très mal l'Otan établir ses quartiers en Crimée, mettant ainsi à découvert le versant sud de la Russie.

La réintégration de la Crimée, sans effusion de sang, dans le giron de la Russie ne témoigne pas de sa volonté d'envahir tous les pays de l'ancien pacte de Varsovie. Cette analyse est irréaliste. Curieux paradoxe, les populations de Crimée ont fait le choix de la Russie non pas seulement pour des motivations ethnocentriques, mais aussi pour des motivations économiques. L'économie Russe se porte mieux que l'économie ouest-européenne au bord de la banqueroute. Ils ne feraient pas ce choix il y a vingt ans. Et ceux qui font accroire que Poutine veut réintégrer de force les pays de l'ex bloc soviétique, avec l'annexion de la Crimée, savent bien qu'il n'en est rien. Cette analyse constitue rien qu'un piège à cons. L'économie demeure bien le nerf de la guerre. On veut la guerre quand son économie va mal, pour ravir des parts de marché importantes, pour ravir au faible ce qu'on n'a pas.

La Russie est en train de se réorganiser, il y a tout juste quatorze ans, avec l'accession de Poutine qui a pris les commandes d'un Etat faible, au bord de la faillite, où les oligarques font la loi, mettant l'Etat sous tutelle. Elle ne peut par conséquent penser à faire la guerre. Elle n'y est pas encore prête. Si elle s'y prête, son matelas financier de fonds souverains de 165 milliards de dollars fondra comme neige au soleil. L'armée russe aux dires de maints experts a bien des faiblesses au niveau conventionnel. Cependant, elle peut jongler avec l'occident quant à la possession de têtes nucléaires et de lanceurs. On reconnait certes sa supériorité en matière de défense anti-aérienne inégalable au monde, fort de ses inclassables S-300 et futurs S-400, capables de détruire les porte-avions, les missiles de croisière américains Tomahawks. La guerre ne s'improvise pas. Cela se prépare.

La Russie est un pays dont l'économie repose sur l'exportation du pétrole, du gaz naturel dont elle détient les plus grandes réserves mondiales et la vente d'armes (hélicos, chars, avions de chasse, missiles). Elle n'a pas comme la Chine ou les Etats-Unis d'Amérique une économie diversifiée. Elle est quasiment nulle au niveau des technologies civiles de pointe. Elle s'initie à peine aux nanotechnologies. Ses exportations de gaz naturel ou de pétrole sont absorbées à 80% et 70% par l'Europe de l'Ouest. La prospérité de son économie dépend de ses ventes de gaz à l'Europe vers qui sont tournés ses gazoducs. L'Europe ne peut rentrer dans la dynamique des sanctions compte tenu de sa dépendance, de son addiction au gaz, aux capitaux russes. Les économies Russe et Européenne sont interdépendantes. La Russie a besoin de l'Europe et vice versa. L'Amérique qui en demande ne sera pas touchée. Cela fera son affaire. Les places financières Européennes n'étant plus sûres, avec le spectre de la guerre, on assistera à une émigration des fonds vers Wall street. Ce qui permettra à l'Amérique d'y puiser pour faire face à son déficit budgétaire abyssal. Elle aura bénéficié en outre, si les sanctions sont appliquées, d'un débouché sûr pour son gaz de schistes au coût prohibitif. L'Europe serait pieds et poings liés à l'Amérique pour son alimentation énergétique et perdrait du même coup le marché et les capitaux russes.

Provoquer la Russie n'est pas un geste de bonne volonté de l'Amérique vis-à-vis des Européens. Elle anéantit le rêve impérial d'une Europe roulant pour son propre compte. La boutade « Fuck the Europe » de Victoria Nuland est on ne peut plus édifiante. Le nouveau Ministre Italien des affaires étrangères, Mme Federica Mogherini l'a compris. L'Europe a-t-elle dit doit aborder avec soin la question des sanctions contre la Russie, parce que leurs effets peuvent avoir un impact négatif sur l'Union européenne. Et elle en rajoute dans son interview au journal italien Corriere Della Sera « La possibilité d'une solution politique et diplomatique à la crise en Ukraine existe ».

L'application drastique des sanctions est le chemin le plus court pour mener à la guerre. La Russie sera obligée de sortir de la prison qu'on lui construit et déployer ses armes les plus meurtrières. On ne garde au musée que des armes obsolètes. C'est dans ce cas précis qu'on court le risque d'une guerre thermonucléaire. Et le lumpen prolétariat du monde entier y court plus de risques que la confrérie des riches financiers qui entourent les protagonistes de tous bords qui se frottent les mains dans leurs bunkers et augurent déjà d'un nouveau cycle économique prospère construit sur les décombres de la guerre.

A ce stade des débats, la Russie n'est pas une menace. Elle le deviendra, si on la pousse dans ses derniers retranchements. Qu'on décide de finlandiser l'Ukraine, c'est-à-dire qu'on en fasse un Etat neutre, un pont entre la Russie et l'Europe et on redécouvre un ciel d'un bleu étincelant et sans nuages.