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Lamartine : « On n'a pas deux cœurs, un pour les animaux et un pour les humains. On a un cœur ou on n'en a pas . »

Gandhi : « On reconnaît le degré de civilisation d'un peuple à la manière dont il traite ses animaux. »

Ceux qui ont déjà eu à remplir le long questionnaire pour le recensement auront pu s'étonner : l'État leur pose beaucoup de questions parfois très précises sur eux, voire indiscrètes, les personnes qu'ils hébergent, leur profession, leur patrimoine, leurs habitudes de vie, leur lieu de travail, d'habitation, leur mode de transports, etc. et pourtant, malgré toutes ces cases, il manque une rubrique, leurs animaux de compagnie. On n'en parle pas !

Pourtant, en terme à la fois économique et sanitaire, la vision que peut avoir l'État sur les animaux de compagnie n'est pas sans conséquence. En France, il y a désormais un net avantage du chat sur le chien. En 2012, il y avait 7,4 millions de chiens domestiques, en légère diminution ; et en 2008, il y avait 10,7 millions de chats domestiques, en constante progression. Et bien sûr, il y a d'autres animaux de compagnie que le chat et le chien.

Un amendement adopté la nuit

Dans la troisième séance du mardi 15 avril 2014 à l'Assemblée Nationale, celle qui fut ouverte à vingt et une heures, les députés discutaient du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures déposé le 27 novembre 2013 par la Ministre de la Justice Christiane Taubira et qui a déjà été adopté en première lecture le 23 janvier 2014 par le Sénat.

Dans ce texte dont la procédure accélérée a été demandée par le gouvernement, et qui fera l'objet d'ordonnances, on y a mis un peu tout et n'importe quoi.

C'est donc presque sans vraiment grande surprise qu'un amendement (l'amendement n°59) déposé le 11 avril 2014 à la commission des lois par l'ancien Ministre de l'Agriculture Jean Glavany (PS), par Cécile Untermaier (PS), et par la rapporteure du projet Colette Capdevielle (PS), avocate de Bayonne, et adopté le matin du 15 avril 2014 par cette même commission, a provoqué une petite révolution sémantique dans le droit français.

En effet, durant cette séance nocturne qui a suivi, les députés ont adopté cette modification du code civil à insérer avant le titre Ier du livre II en tant qu'article 515-14 : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels. ».

Évidemment, on ne définira pas juridiquement ce que signifie "sensibilité" ni ce que signifie "êtres vivants" ou "animaux", est-ce qu'un virus est vivant ? est-ce que le texte s'appliquera aussi aux insectes, aux poissons ?

Le texte est symbolique puisque les animaux resteront des "biens corporels" en cas de succession ou de séparation.

Ne pas en faire un cavalier

En fait, ce texte est seulement une simplification et une harmonisation avec le code rural et le code pénal qui considèrent déjà les animaux comme des êtres sensibles, alors que le code civil, jusqu'à maintenant, ne les considèrent que comme des "biens meubles" ou des "immeubles par destination".

Jean Glavany a été très clair sur ses intentions : « Le statut de l'animal existe dans notre droit grâce aux mesures adoptées en 1976 [loi Nungesser] et en 1999 [loi du 6 janvier 1999] ; malheureusement, il y a une lacune. Nous pourrions opter pour de nouvelles avancées (...), mais nous tenons à rester dans le cadre du texte qui nous est présenté aujourd'hui (...). Aller plus loin (...), ce serait risquer de créer un cavalier législatif. ».

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Certains députés de l'opposition, comme Philippe Gosselin (UMP), juriste de la Manche, et Daniel Gibbes (UMP), notaire à Saint-Martin, se sont inquiétés de ce changement sans concertation avec les professionnels de l'élevage qui y voient une remise en cause de leur savoir-faire en matière de bien-être animal. Ils craignent aussi qu'on ouvre une boîte de Pandore qui ferait de cet amendement un "cavalier", terme qui désigne un petit texte à la remorque d'un projet de loi qui est un peu hors sujet, c'est parfois l'occasion pour les parlementaires d'adopter des réformes très importantes de façon très discrète, mais le Conseil Constitutionnel tend de plus en plus à les rejeter en cas de saisine.

Aller plus moins ?

Boîte de Pandore démontrée au cours même de la discussion puisque le groupe écologiste a déposé au dernier moment trois sous-amendements, qui n'ont finalement pas été adoptés, dont un qui en profite pour interdire la corrida et il serait disposé à interdire tout ce qui nuit inutilement aux animaux, en particulier la chasse à courre, et même, la chasse tout court.

Car les écologistes, eux, sont plutôt furieux de cet amendement qui, pourtant, va dans leur sens, celui d'une plus grande attention portée aux animaux. Laurence Abeille (EELV), adjointe de Fontenay-sous-Bois, mais aussi sa collègue socialiste Geneviève Gaillard (PS), vétérinaire et maire sortante de Niort battue, reprochent justement au gouvernement de passer rapidement cet amendement pour enterrer définitivement toute discussion ultérieure sur le statut juridique de l'animal, alors que Geneviève Gaillard dirige justement un groupe de travail sur la question et va très bientôt déposer une proposition de loi.

Jean Glavany a donc eu beau jeu de dire que cette micro-modification ne servait qu'à prendre date : « Ce que je propose avec l'amendement n°59, c'est de mettre le pied dans la porte de sorte qu'elle reste ouverte. », ce qui n'a pas rassuré évidemment les députés défendant les professionnels qui s'occupent des animaux.

Inquiétude des éleveurs

Philippe Gosselin l'a expliqué sans détour : « Le risque est très grand de stigmatiser les professionnels et de les mettre en difficulté, de voir se multiplier les procédures judiciaires à leur encontre. Quid de l'expérimentation médicale ? Qui de l'évolution du bien-être animal et des possibilités de recours à l'abattoir ? La question est de savoir si l'on ne va pas bloquer nos agriculteurs et l'agriculture française. ».

Et de poursuivre : « Cet amendement ouvre la boîte de Pandore et vous le savez. Son auteur (...) avoue lui-même que le but est de mettre le pied dans la porte. Ensuite, il n'y aura plus qu'à pousser pour qu'elle cède, et que nous ayons une vraie révolution, et pas seulement la reconnaissance d'une évolution qui, à certains égards, pouvait s'envisager. Mais elle ne saurait s'envisager ainsi, pas sous cette forme et pas ce soir. ».

Mécontentement des écologistes

Dans une logique diamétralement opposée, Laurence Abeille, au contraire, s'est inquiétée du risque inverse, avec cet amendement : « Certains élevages font encore appel à des pratiques interdites, ce que l'on peut regretter : les reportages que nous avons pu voir à la télévision ont d'ailleurs choqué beaucoup de Français. (...) Ma crainte (...), c'est que cette porte reste simplement entrouverte et que l'on n'aille pas jusqu'au bout. La mesure est symbolique, mais en termes de portée réelle (...), le compte n'y est malheureusement pas. Il est permis de le regretter, parce que notre ambition, en ce qui concerne le statut de l'animal, va bien au-delà de ce qui a été indiqué ici. ».

Et elle-même de rappeler ses motivations : « Reste que la question est d'importance, qu'elle est suivie par des millions de Français soucieux de la condition animale. Nous voulons en finir avec la cruauté envers les animaux, nous voulons le bien-être des animaux, de tous les animaux, et nous voulons que ce soit inscrit dans la loi. ».

Sa collègue Geneviève Gaillard a également conforté cette position : « Nous ne sommes pas très nombreux ce soir dans l'hémicycle, et pourtant ce sujet n'est pas loin de déchaîné les passions... C'est dire à quel point il est nécessaire (...) que nous puissions aller au fond de ces problématiques. Il est possible de faire évoluer le statut juridique de l'animal sans porter atteinte ni à la commercialisation, ni à la production animale, ni à la chasse, ni aux pratiques sportives. Et, au regard de celle de notre société, cette évolution du statut juridique de l'animal nous paraît pouvoir être admise. ».

Comme on le voit, la discussion nocturne a été assez animée malgré le faible nombre de protagonistes. En seconde lecture, les sénateurs pourraient cependant revenir sur cette innovation assez anodine du code civil.

Y aura-t-il un grand débat sur le statut juridique de l'animal ?

Ce n'est qu'un embryon de débat, mais tout laisse penser qu'un vrai débat parlementaire sera accepté par le gouvernement avec la future proposition de loi que présentera Geneviève Gaillard. En tout cas, c'est ce que souhaite Christiane Taubira.

Mais les écologistes ont peut-être raison de douter de la détermination du gouvernement, car cet amendement a été adopté malgré la réticence du Président de la République François Hollande qui avait affirmé le 21 février 2014, à la veille du Salon de l'Agriculture : « Dans le code rural notamment, l'animal est déjà considéré comme un être sensible. Pourquoi ajouter d'autres considérations ? Beaucoup d'efforts ont été réalisés pour le bien-être animal sans qu'il soit nécessaire de les traduire dans une loi. ».

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Les amis des animaux peuvent donc se réjouir discrètement de l'adoption de cet amendement, qui ne sera qu'un petit symbole dans le droit français, mais ils attendront fermement le véritable débat de société que nécessite cette question.

Tant qu'il n'y aucune utilité, il ne faut pas faire souffrir les animaux. Ni dans les salles de classe où il n'est pas nécessaire d'écorcher vif une pauvre grenouille ou une pauvre tortue pour savoir qu'il y a des influx nerveux, ni dans les arènes pour le bon plaisir d'une foule insensible, ni dans les élevages intensifs, ni dans les abattoirs, ni enfin dans la recherche cosmétique.

L'animal n'est pas une chose

Avez-vous déjà offert un chien ou un chat à un proche ? Si oui, c'est une grave erreur. Un animal n'est pas un jouet, n'est pas un téléphone portable, n'est pas un objet. S'occuper d'un animal est une responsabilité personnelle importante. C'est aussi un coût parfois important. L'idée d'avoir un animal doit provenir de la personne qui s'en occupera elle-même.

Le considérer comme objet de consommation, c'est forcément en retrouver plus tard abandonnés. Les refuges sont nombreux qui essaient de gérer cette détresse animale fondée uniquement sur l'irresponsabilité des humains.

On pourra toujours dire qu'il y a des combats plus importants que la vie des animaux, en commençant par les humains, qu'il est insupportable d'imaginer que des êtres humains puissent mourir de faim, de froid. Pourtant, cela forme un tout.

Comme le confortent les deux citations du début, de Lamartine et de Gandhi, rappelées à l'occasion du débat parlementaire par Jean Glavany, ceux qui sont capables de cruauté vis-à-vis des animaux n'auront aucun mal à être cruels avec des êtres humains lorsqu'ils leur auront nié leur propre humanité.