Image
© Photo Albert Gea. ReutersDevant un magasin Mango à Barcelone, en mai 2013. Des militants protestent contre les grands magasins dont la production venait des usines du Rana Plaza, au Bangladesh.
Un an après la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh, qui avait fait plus de 1 000 morts, le devoir de vigilance des multinationales doit être inscrit dans la loi.

Les acteurs économiques deviendraient-ils de plus en plus irresponsables juridiquement alors même qu'ils communiquent comme des acteurs de plus en plus écoresponsables ? Aujourd'hui, le droit des sociétés est organisé de telle façon qu'il permet au groupe − réalité économique de la mondialisation − de ne pas être appréhendé au niveau national de chacune des filiales qui le composent.

Le devoir de vigilance qui est proposé aujourd'hui par certains députés de la majorité devrait casser cette impunité. Il n'est en rien révolutionnaire et d'autres pays européens sont sur le point d'adopter des lois similaires. Cette initiative permet d'intégrer en droit interne les engagements internationaux de la France, mais aussi d'être une traduction d'un engagement pris par le président de la République lors de sa campagne à l'égard de différentes organisations internationales des droits de l'homme.

De nombreuses entreprises ne cessent d'affirmer leur attachement au développement durable, aux droits de l'homme, aux droits de l'enfant, etc., mais ne font rien pour éviter des catastrophes ou sanitaires ou humaines, tel le drame du Rana Plaza au Bangladesh.

L'idée est très simple, les entreprises, en multipliant les engagements éthiques unilatéraux, ont pensé faire coup double : rassurer le consommateur sur l'origine des conditions de fabrication des produits et organiser leur irresponsabilité juridique. Le devoir de vigilance doit favoriser l'accès des victimes à la justice en faisant peser sur l'entreprise la charge de la preuve. Ce ne serait que la traduction juridique de ses engagements.

Une obligation de moyens à la charge de la maison mère

Ce nouveau dispositif doit également favoriser la prévention en incitant l'entreprise à tout mettre en œuvre pour supprimer, ou à tout le moins réduire, ses externalités négatives. Il s'agit d'une obligation de moyens à la charge de la maison mère ou donneuse d'ordres, qui ne peut donc s'exonérer de sa responsabilité que si elle démontre avoir pris toutes les mesures nécessaires permettant d'identifier, prévenir et atténuer − supprimer − les effets sociaux et environnementaux négatifs engendrés par ses activités. La diligence attendue des groupes tient donc évidemment compte du pouvoir et des moyens dont ils disposent.

Le gouvernement, qui paraît craindre l'ire du Medef, semble préférer la promotion d'un mécanisme volontaire de bonne pratique des entreprises. Personne aujourd'hui ne peut croire que les donneurs d'ordres internationaux soient aveugles, sourds et muets face à la situation de leurs filiales, sous-filiales ou sous-traitants ? Qui peut les croire dès lors qu'ils imposent des prix si bas et des délais de livraison irréalisables ?

Alors que le texte n'a même pas encore été débattu, il a déjà suscité l'assaut redoutable des organisations patronales qui, immédiatement, surjouent la complainte bien huilée d'une attaque insupportable contre leur compétitivité. Cette proposition de loi doit assurer, dans l'intérêt même des entreprises, une nouvelle sécurité juridique. C'est elle qui les mettra à l'abri des actions judiciaires, et non l'inverse. C'est elle qui rendra les acteurs privés plus respectables vis-à-vis des consommateurs qui, jour après jour, sont de moins en moins dupes des nouveaux mantras que les multinationales distillent à longueur de sites internet et d'assemblées générales. Le droit serait, non pas tyrannique et mutilant pour l'esprit de l'entreprise, mais plus protecteur de leur intérêt.