Dans son effort pour s'expliquer le réel, notre culture privilégia - surtout à partir du XIIIe siècle - un mode d'intelligibilité qui fut théorisé dès l'antiquité par Aristote avec les principes de la non-contradiction et du tiers exclu. C'est à ce type de rationalité que l'on doit en partie le formidable essor de la connaissance scientifique, mais en partie seulement puisque l'on sait combien certaines découvertes trouvent leur origine dans des modes de pensée tout à fait différents, que l'on songe par exemple au rêve qui inspira la structure de l'atome à Niels Bohr.
Gravure alchimique extraite du traité Aurora Consurgens, environ 1500
© InconnuGravure alchimique extraite du traité Aurora Consurgens, environ 1500
Ce mode d'appréhension du réel, dont l'efficacité n'est plus à démontrer, révèle certaines limites : il n'est que prendre l'exemple des objets de l'univers microscopique, qui donnent lieu à deux modèles antinomiques - ondulatoire et corpusculaire - pour se rendre compte que même dans le cadre des sciences exactes il nous faut parfois tenir ensemble des représentations opposées d'une même réalité. Mais si l'on se borne à notre culture, il est notable que l'idée d'une indissociabilité des contraires était déjà présente chez Héraclite, cinq siècles avant notre ère.

Héraclite qui, un siècle et demi avant Aristote, rejetait d'avance le principe de non-contradiction, discernant l'harmonie qui transcende la tension des opposés, comme pour l'arc et la lyre. Au XVe siècle, Nicolas de Cues, s'efforçant de penser l'Infini, propose à son tour un dépassement du régime habituel de la raison, passant du principe de non-contradiction à celui de la coïncidence des opposés. Carl Gustav Jung trouvera chez le génial cardinal forte inspiration pour qualifier l'unité inconnaissable et incompréhensible du Soi...


Rubrique livres :

- Nicolas de Cues : Anthologie, Marie-Anne Vannier (Traduction), Klaus Reinhardt (Auteur), Harald Schwaetzer (Auteur) - Éditeur : Cerf

Émission enregistrée le 27 janvier 2013.

Ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, Michel Cazenave est l'auteur d'essais touchant entre autres aux rapports entre science et symboles, à la psychanalyse ou encore à l'histoire des religions. Il est également créateur de pièces de théâtre , romancier et poète. Spécialiste reconnu de l'œuvre de Carl Gustav Jung, il dirige la traduction de l'œuvre complète du psychiatre suisse en français. Toujours à l'affût des découvertes les plus récentes de la science, il n'a cessé de promouvoir la rencontre de cette dernière avec d'autres voies de connaissance depuis le colloque de Cordoue qu'il prépara en 1979 pour France Culture. C'est d'ailleurs sur les ondes de cette même radio que de 1997 à 2009 il se fit connaître d'un plus large public avec son émission Les Vivants et les Dieux, donnant lieu chaque semaine à un dialogue sans cesse renouvelé entre les différents champs de la connaissance et les modalités multiples de l'expérience intérieure.

Michel Cazenave est régulièrement invité à prendre la parole lors de débats, tables rondes, conférences et colloques. Un agenda détaillé de ses prochaines interventions se trouve sur son site à cette adresse : http://www.michelcazenave.fr/actualites.html