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Alors que les enfants ont accès de plus en plus tôt au smartphone et qu'ils ont un usage de plus en plus intensif de réseaux sociaux, les services de psychopathologie s'intéressent au phénomène grandissant du harcèlement en ligne. Le cyberharcèlement, ou cyberbullying, peut donner l'impression que ses victimes sont poursuivies par des internautes anonymes, la réalité est tout autre.

« Dans la plupart des cas, il y a une relation entre la victime et le ou les harceleurs », explique le Dr Yann Leroux, psychologue au Centre médico psychopédagogique de Périgueux et membre de l'Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH). En milieu scolaire, le cyberharcèlement se situe dans la continuité du harcèlement tel qu'il se pratique dans les cours de récréation et implique des jeunes qui se connaissent.

Le Dr Marie-France Le Heuzey, psychiatre au service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital Robert Debré se souvient ainsi d'une jeune fille (appelons-la Annah pour l'occasion) en décrochage scolaire : « des camarades de classe avaient intitulé une page Facebook "les ennemis d'Annah" et y affichaient le but de lui "faire la peau", » raconte la clinicienne.

Inversion des rôles

En dépit de ce continuum, les agresseurs de la « vraie vie » ne sont pas forcément ceux qui sévissent sur Internet. Il s'agit souvent de jeunes qui ne harcèleraient pas leur camarade d'école sans l'aspect facilitateur d'Internet, « et les cartes se brouillent encore plus quand un enfant harcelé dans son école devient, en réponse, harceleur sur la toile » complète Yann Leroux.

Comme il s'agit de patients qui consultent peu, le phénomène est très difficile à évaluer. Selon l'étude Encéphale menée en 2013 sur 738 enfants de collèges de Tours, 14 % des élèves de collèges et 16,4 % des élèves de lycées professionnels ont été victimes d'agressions en ligne. Marie-France Le Heuzey estime pour sa part que deux à quatre adolescents par classe font l'objet de sexting, c'est-à-dire ont reçu des images pornographiques sur leur téléphone portable, et que 40 % des jeunes ont été exposés, à un moment ou à un autre, à des violences par le biais de moyens électroniques.

Victimisation et idéation suicidaire

Même difficile à évaluer, le cyberharcèlement peut avoir une portée considérable. « Les cyberharcelés ont l'impression d'être face à un ennemi beaucoup plus fort qu'eux et de n'avoir nulle part où se cacher » explique Yann Leroux. « Le danger des moyens modernes de communication, c'est le manque de recul vis-à-vis des contacts que l'on a les uns avec les autres. Or, l'enfance et l'adolescence sont des âges de grande impulsivité », analyse pour sa part Marie-France le Heuzey.

En mai dernier, une méta-analyse publiée dans le « JAMA Pediatrics » montrait que la victimisation était associée à un risque d'idéation suicidaire multiplié par 2,23 et un risque de passage à l'acte multiplié par 2,5. Les auteurs notaient de plus que cette relation n'était pas pondérée par le sexe ou l'âge, et que le cyberbullying était plus fortement lié à l'idéation suicidaire que le harcèlement « classique ».

Du point de vue des symptômes, si le cyberharcèlement n'est pas capable de générer de la dépression, il provoque en revanche beaucoup d'anxiété : maux de ventres, trouble du sommeil, difficultés scolaires, etc. Si le patient était dépressif avant que ne commence le harcèlement, le tableau clinique peut s'en trouver considérablement aggravé.

Que peut faire un médecin face à un patient victime de cyberharcèlement ?

« S'il a le temps, il faut qu'il enquête, » suggère Yann Leroux, « car dans la grande majorité des cas, il se passe des choses en dehors. Il faut que la victime se donne le droit de se déconnecter : couper les liens avec les harceleurs, les ignorer sur Twitter, les bloquer sur Facebook... Tous les réseaux sociaux permettent de signaler les contenus appropriés, il ne faut pas hésiter à le faire et, dans les cas les plus graves, conseiller d'aller au commissariat s'il y a des menaces de viol ou des meurtres. »

Dans le cas de patients mineurs, les parents doivent être associés à la discussion. « Si l'enfant est scolarisé, il faut poser les bonnes questions : est-il pris à partie à l'école ? Est-il est mis de coté ? » énumère Marie France Le Heuzey. « Le médecin doit s'inquiéter de savoir si le jeune ne s'est pas lui-même mis en danger : a-t-il des fréquentations particulières ? S'est-il exhibé sur Internet. » Des propos confirmés par Yann Leroux : « les personnes qui sont harcelées sont celles qui postent le plus de contenu. La règle d'or est de ne jamais publier de contenu dont on pourrait avoir honte. »