Image
© Inconnu
Matthieu Béguelin est un metteur en scène et comédien suisse. Il est également membre du parti socialiste et défend avec ardeur la cause palestinienne. Il ne cache pas non plus qu'il apprécie les spectacles de l'humoriste Dieudonné. On n'ose pas imaginer ce qu'il adviendrait d'un politicien socialiste en France s'il se risquait à afficher de telles positions.

Matthieu Béguelin, quel regard portez-vous sur l'opération « Bordure Protectrice » menée par l'armée israélienne depuis le 8 juillet ?

Un regard sombre ; nous assistons à un massacre de civils, dont des centaines d'enfants, c'est inacceptable. Je suis d'autant plus choqué de voir que des centaines de manifestations de par le monde doivent avoir lieu pour dénoncer ces exactions, alors que cela devrait être une évidence de condamner le fait de bombarder des populations civiles. Cette énième agression d'Israël contre le peuple palestinien témoigne de la détermination de Netanyahou à en finir avec la question palestinienne en choisissant le chemin du sang.

Lors de débats sur les réseaux sociaux, certains tentent de renvoyer Israéliens et Palestiniens dos à dos, et de mettre en avant la radicalité du Hamas. Que leur répondez-vous ?

Qu'ils ont tort ! Personnellement, je ne suis pas du tout partisan du Hamas ; comme libre penseur, je ne peux souscrire à un projet politico-religieux, ni à des actions relevant du terrorisme de masse. Seulement, il faut placer le Hamas dans le contexte d'un conflit qui dure depuis des décennies. Le Hamas n'est d'ailleurs parvenu au pouvoir que grâce aux politiques désastreuses et criminelles d'Israël. Ce dernier est ainsi bien content de pouvoir brandir le Hamas comme épouvantail pour justifier ses crimes.
Mais la réalité n'est pas aussi simpliste. Lorsqu'un pays est occupé militairement par un autre, la résistance à cette occupation est légitime. On assiste à une tentative de justifier l'occupation, qui date de 1967, par l'existence d'un groupuscule né en 1987 et n'ayant remporté des élections qu'en 2006. Un simple suivi de la chronologie du conflit suffit à démontrer la fausseté de ce parallèle qui pourrit le débat sur les réseaux sociaux. Cela détourne l'attention du véritable enjeu : le droit du peuple palestinien à vivre dans un pays où il pourrait prospérer, panser ses plaies et savourer la paix, tel que le réclament un nombre astronomique de résolutions onusiennes balayées d'un revers de main par Israël au fil des décennies.

L'humoriste Dieudonné exprime régulièrement son soutien pour la Palestine. Que pensez-vous de sa sensibilité envers la cause palestinienne ?

J'avais dit à l'époque de la censure de son spectacle que si j'appréciais son humour et son travail de scène, et m'opposais donc à l'interdiction de son spectacle, je n'étais pas pour autant d'accord avec la plupart de ses positions politiques. Son soutien à la cause palestinienne est l'un des trois points (avec la question de l'esclavage et celle de la Françafrique) où je partage ses opinions politiques. Sachant qu'il a un humour noir, sans jeu de mot, je pense que l'offensive de Tsahal et les réactions hallucinantes que l'on peut voir en France ont de quoi lui inspirer quelques sketchs piquants.
J'aimerais profiter de cette question pour développer un autre élément. On a beaucoup accusé Dieudonné de propager l'antisémitisme. Même si je ne partage pas cet avis concernant ses spectacles, j'ai envie de dire pour la forme qu'il fait figure d'amateur à côté de la CICAD, du CRIF, l'UEJF ou de la LICRA française, qui, par leur soutien aveugle à Nétanyahou et leur chantage à l'antisémitisme dès qu'une voix critique s'élève contre Israël, ne font qu'attiser ce sentiment détestable. Dire que tout juif soutient de facto Israël est faux (Gideon Levy, Nurit Peled-Elhanan, Norman Finkelstein ou encore Michaël Smadja le prouvent) et ce sont ces organisations qui entretiennent sciemment cet amalgame.

Depuis quelques années,le Premier ministre, Manuel Valls, multiplie les signes d'allégeance envers l'extrême droite israélienne au pouvoir. L'écrivain Emmanuel Ratier a récemment révélé dans son ouvrage que Manuel Valls a tenu un discours pro-palestinien jusqu'en 2008, lorsqu'il était encore maire d'Evry. Que vous inspire ce personnage, membre du parti socialiste, à la tête du gouvernement français ?

Manuel Valls ne m'inspire rien de bon, tant comme socialiste que comme Premier ministre. Valls est un socio-libéral, jouant la carte du délire sécuritaire et communautaire pour détourner l'attention de ses politiques d'austérité qui, elles, vont plonger le pays dans une situation dramatique. Il est totalement inféodé aux diktats de la finance, le larbin des banques, comme sa politique économique le prouve.
Qui plus est, il fait l'inverse de ce qu'on est en droit d'attendre d'un chef de gouvernement français, en attisant les communautarisme, faisant de fait le lit des extrémistes de tous bords. La différenciation qu'il fait, par exemple, entre kippa et hijab, disant que l'on pourra « continuer de porter fièrement » la première et, dans le même, temps, déclarant vouloir faire la chasse au port du voile est inacceptable. Pourtant, il a été nommé Premier ministre d'un pays ayant « Égalité » au centre de sa devise...
Enfin, la vassalité de Valls face au gouvernement israélien, alors qu'il avait des positions pro-Palestine auparavant, témoigne à mon sens de son opportunisme. Tout est calcul pour plaire aux puissants. Une sorte de clone de Sarkozy.
Plus prosaïquement, puisqu'il affirme que c'est par sa femme qu'il se sent lié à Israël, on dira que l'amour rend aveugle, même aux crimes de guerre...

En lumière des massacres commis par le gouvernement israélien à l'encontre de la population de Gaza, pensez-vous que François Hollande risque de regretter son « chant d'amour pour Israël et à ses dirigeants » ?

Je pense que dans la très longue liste des choses que François Hollande pourra regretter au soir de sa prochaine non-réélection, ses positions sur le conflit actuel figureront en bonne place. Hollande a sottement joué le jeu de ceux qui veulent, comme je le disais plus haut, entretenir l'amalgame « pro-palestinien=antisémite ». Il s'est d'ailleurs fait admirablement remettre en place par Plénel sur ce point.

Quelles solutions préconisez-vous pour en finir avec ce conflit qui dure depuis si longtemps ?

Bien malin celui qui pourra dire comment les choses se termineront. Dans ce qui est pour moi souhaitable, il y a deux possibilités : soit une solution à un seul État, soit deux États distincts et viables.
La première solution induit l'arrêt de la logique coloniale et l'abrogation de toutes les lois d'apartheid en vigueur établissant une hiérarchie entre citoyens selon leurs origines ethniques. Et je ne parle pas seulement des Arabes, mais également des Africains, dont le sang est toujours refusé dans les centres de don israéliens.
La seconde solution induit également l'arrêt de la logique coloniale, mais implique la destruction des colonies existantes. Elle est liée à un retour aux frontières déterminées par la communauté internationale en 1948 ou à une équivalence, mais qui doit être viable (à ce propos, il est incroyable de voir des gens s'étonner que l'on réclame pour Gaza la levée du blocus, l'existence d'un port et la réouverture de l'aéroport, alors que ces demandes tombent sous le sens pour n'importe quel pays).
Dans les deux cas, tout dépend d'Israël. En tant que puissance occupante, c'est à elle qu'il incombe de faire le premier pas. Ce n'est pas impossible dans l'absolu ; Rabin l'avait fait, avec le prix que l'on sait (et ce n'est pas le Hamas qui l'a assassiné, en passant). Sans un retrait des troupes israélienne, un arrêt de la colonisation pourtant mainte fois dénoncée à l'ONU et une levée du blocus de Gaza, il n'y a pas de retour possible au processus démocratique pouvant mener à une paix durable.

Pour conclure, j'ai envie de paraphraser Boris Vian, qui avait dit cela en pleine guerre d'Algérie : « Le bon vieux temps - vous savez, l'Occupation, quand on était les Palestiniens des Allemands ».