Des hommes casqués, lourdement armés, circulent dans des véhicules blindés et bloquent des rues. La scène ne se passe pas dans un pays en guerre, mais à Ferguson, en banlieue de Saint Louis (Missouri), où des incidents ont eu lieu depuis la mort, samedi 9 août, d'un adolescent noir. Michael Brown, 18 ans, a été tué par un policier dans des circonstances qui restent à éclaircir.

Dans cette ville de 21 000 habitants où deux tiers de la population est afro-américaine mais où seuls trois policiers sur les 53 en fonction sont noirs, les forces de l'ordre ont refusé de révéler l'identité de l'officier qui a fait feu. Le FBI a pris en main l'enquête pour ôter tout soupçon. Mais le silence de la police locale contribue aux suspicions de bavure policière et attise la colère.

Les heurts entre policiers et manifestants se sont poursuivis mercredi soir, dans un climat qui ne s'apaise pas. La police lourdement armée a tiré des gaz lacrymogènes et plusieurs personnes, dont des journalistes, ont été arrêtées. Le tout se déroule quasiment en direct sur les réseaux sociaux, qui offrent une caisse de résonance et soulignent notamment la disproportion des moyens policiers mis en place.

« LA POLICE ENVOIE DES AGENTS SURARMÉS »

Depuis la mort de Michael Brown, les habitants de Ferguson se plaignent d'une présence policière trop importante et trop « musclée », qui rappelle à certains des scènes datant des années 1960 et la lutte pour les droits civiques des Noirs.

Cette disproportion s'explique d'abord, selon Fabien Jobard, le directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip), par la structure même des forces de l'ordre aux Etats-Unis :
« Il n'y a pas là bas, comme en France, "la" police, il y a 18 000 forces, en particulier municipales. Les Américains n'ont pas de police de maintien de l'ordre, pas de présence policière dissuasive, pas de ministre de l'intérieur, personne qui depuis Washington va décider d'envoyer des renforts à Ferguson.
Alors, en cas de trouble, la police, qui dispose de réserves de matériel, envoie des agents surarmés. Il faut aussi prendre en compte le nombre non négligeable d'armes à feu dans la population. In fine, la réaction de la police est forcément disproportionnée. »
Au-delà des incidents à Ferguson, une inquiétude sur la militarisation de la police américaine émerge de l'autre côté de l'Atlantique. Mashable a publié une série de montages qui mettent, côte à côte, des clichés des heurts dans le Missouri et de la guerre en Irak. Le résultat est d'autant plus troublant que le matériel militaire utilisé dans les conflits internationaux est ensuite recyclé dans les services de police.

Dans une enquête publiée au mois de juin, le New York Times faisait état des tonnes de matériel que les départements de police plus ou moins importants ont reçu depuis que Barack Obama a déclaré vouloir mettre fin à la « longue période de guerre » des Etats-Unis.

Au moins 432 véhicules blindés antimines, 533 avions et hélicoptères et plus de 90 000 mitrailleuses sont passés des mains de militaires à celles de policiers depuis 2006.

LA POLICE DÉFEND SON « INCROYABLE RETENUE »

La réponse policière musclée est aussi pointée du doigt. Un conseiller municipal de la ville de Saint Louis qui avait rendu compte d'une manifestation sur son compte Twitter et deux journalistes du Washington Post et du Huffington Post ont été interpellés, avant d'être relâchés rapidement. Rien d'étonnant pour Fabien Jobard :
« Les policiers de Ferguson ne sont probablement pas habitués à voir des reporters autres que les journalistes locaux, alors ils ne font pas de différence. »
Le gouverneur du Missouri, Jay Nixon, a dû se fendre d'une mise au point et demander aux policiers de « maintenir la paix, et respecter les droits des habitants et de la presse ». La police, elle, se défend de toute exaction, et vante au contraire l'« incroyable retenue » de ses agents qui ont été la cible de « tirs, de jets de pierre et de bouteilles et dont une vingtaine de voitures ont été détruites ».