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Oui, le bâillement et le rire sont communicatifs entre les hommes. Pourtant, certains autres facteurs rentrent en ligne de compte, comme les affinités et la proximité sociale entre les individus. C'est le résultat d'une étude menée par des chercheurs italiens, et qui concluent que cet aspect contagieux est en réalité une des plus spectaculaires manifestation d'empathie.

Atlantico : D'après les chercheurs des universités de Pise, Parme et Rome, les bâillements communicatifs sont un signe d'empathie et un comportement de socialisation vis-à-vis de son interlocuteur. Quels sont les mécanismes cérébraux mis en avant dans cette étude qui expliquent ce phénomène ?

Thomas Hannagan : L'étude, publiée dans le journal accès libre PeerJ (voir ici), est entièrement basée sur l'observation comportementale, sans imagerie cérébrale. Si les auteurs restent donc discrets sur les mécanismes cérébraux qui sous-tendent leurs résultats, le système des "neurones miroirs" est évoqué. Ces neurones, distribués dans plusieurs régions du cerveau, s'activent lorsqu'un individu exécute une action ou qu'il voit cette même action exécutée par quelqu'un d'autre.

Des études neuroscientifiques publiées en 2012 et 2013 montrent effectivement que chez l'homme, les neurones miroirs sont liés au phénomène de bâillements contagieux.

D'autres comportements peuvent aussi prendre largement un caractère "collectif" sans raison apparente comme la peur, le stress, ou le rire. Pourquoi notre cerveau et nos émotions nous échappent-elles aussi dans ce genre de situation ?

Les phénomènes de contagion émotionnelle sont parmi les plus spectaculaires manifestation d'empathie. Mais l'empathie est une notion complexe, en laquelle les chercheurs voient un aspect automatique (empathie "affective") et un aspect plus conscient, qui demande une capacité de mise en perspective de soi vis-à-vis d'autrui (empathie "cognitive"). La partie automatique serait ainsi à l'œuvre dans la contagion émotionnelle: il s'agit d'un comportement largement irrépressible, plutôt ancien du point de vue de l'évolution, puisqu'il se retrouve non seulement chez les primates proches de nous comme le bonobo, mais aussi, dans le cas des bâillements, chez d'autres mammifères comme le chien (voir ici).

Peut-il y avoir un profil type de personne qui arrive à susciter, plus qu'une autre, un comportement incontrôlé communicatif ? Y a-t-il également des personnes qui y seraient plus sensibles ?

Je n'ai pas connaissance de travaux scientifiques sur ce sujet. Mais l'un des points importants de l'étude est que les phénomènes de contagion cognitive, qu'ils concernent les bâillements ou de manière générale, les émotions, sont plus forts chez les membres d'une même famille ou chez les sujets proches socialement. Les individus qui possèdent ou cultivent un comportement très social pourraient donc être d'avantage sujets à ce type de contagions que les autres.

L'étude italienne montre que les singes bonobos, assez proches de l'homme, sont aussi sujet aux bâillements collectifs mais sans le caractère empathique ou amical. Les hommes sont-ils les seuls à pouvoir cérébralement manifester ce type de sentiments ?

Non. En fait, l'étude montre qu'à l'intérieur des deux espèces, donc chez les bonobos comme chez les hommes, les bâillements sont toujours plus communicatifs entre individus liés par le sang ou socialement proches. Mais c'est à travers les espèces que l'étude révèle une empathie supérieure des humains. En effet, lorsque humains et bonobos sont appariés (unis ndlr) par affinités, on observe que les humains sont plus affectés par les bâillements des bonobos qui leurs sont chers, que ces derniers par ceux des humains. Même si notre espèce est souvent présentée comme étant la plus empathique, c'est donc seulement envers nos proches que nous autres humains démontrons plus d'empathie que les bonobos, nos voisins dans l'arbre de l'évolution.