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Page Facebook d'H&O Production
Ce matin du 7 août 2014, Hassan M.*, venait à peine de glisser dans les bras de Morphée, après une nuit de travail. Soudain, un bruit violent résonna dans son appartement. Le son provenait de la porte d'entrée, et les coups se faisaient insistants. Encore sonné par son réveil en sursaut, Hassan se dirigea vers la porte et regarda par l'œil de bœuf. Il demeura, un moment, stupéfait : un groupe de six personnes en civils se tenait fermement sur le pallier. Une sombre idée lui traversa alors l'esprit : « Et si c'était la LDJ ? »

Depuis quelques jours, en effet, Hassan n'arrêtait pas de recevoir des menaces de représailles sur la page Facebook de H&O Production, l'association dont il est président et qui regroupe des vidéastes amateurs. En fait, son harcèlement a commencé quand il a publié une liste nominative de cinq français engagés dans l'armée Israélienne, et participant à l'actuelle opération « Bordure protectrice ». Hassan avait constitué cette liste sur la base d'informations diffusées en mode public par les protagonistes eux-mêmes sur les réseaux sociaux.

Surmontant sa première crainte, Hassan ouvrit la porte, pour être aussitôt stupéfait. « Police criminelle ! », entendit-il. Et, avant même qu'il eu le temps de réaliser ce qui se passait, on brandit sous son nez une carte officielle tout en pénétrant « en force » dans son domicile.
- « Vous savez pourquoi on est là ? », lui lança l'officier femme (en fait une capitaine) qui semblait diriger les opérations.
- « Heu, pas vraiment...»
- « Aujourd'hui, on se déplace pour une page Facebook », expliqua l'un des policiers.
Hassan fut choqué. Lui, qui n'a jamais eu affaire à la police se retrouvais soudain face à la brigade criminelle, pour une page Facebook... Incompréhensible ! Les questions fusèrent :
- Vous êtes-bien l'administrateur de la page H&O ?
- Vous reconnaissez avoir publié une listes de français engagés dans l'armée israélienne ?
- Vous savez quelle est la fonction d'untel ?
- Comment vous-êtes vous procuré ces informations ? Par piratage ?
Gardant son calme, Hassan s'expliqua, pensant ainsi mettre fin à ce qui lui semblait être un grand malentendu :
- « Je suis un passionné d'informatique et je ne travaille qu'avec des données collectées sur des open sources, des informations en accès libre. Alors, quand M. Caseneuve, le ministre de l'Intérieur a parlé de poursuivre en justice les ressortissants français partant combattre hors du territoire, en insistant sur les djihadistes en Syrie, il m'est apparu évident que je devais faire un parallèle avec les français qui s'engagent dans l'armée israélienne pour participer à l'opération « bordure protectrice. »

Pas étonnant ! Comme beaucoup de citoyens, Hassan a été heurté par la déclaration partiale du ministre. Il a en mémoire les images des corps déchiquetés des Gazaouis qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux. Et celles des vidéos mises en ligne publiquement par des français engagés dans les rangs de Tsahal, et dans lesquelles certains d'entre-eux se vantent de leurs exploits sanglants. Hassan réagit donc en utilisant l'outil d'information qu'il a entre les mains : la page Facebook de son association qui compte des milliers d'abonnés. Juste par souci d'équité ! Après tout, les poursuites judiciaires brandies par le ministre ne doivent-elles pas s'appliquer à tous les Français, sans distinctions ?

Pour toute réponse, la capitaine lui présenta, avec insistance, un document à signer, afin de pouvoir perquisitionner le domicile. Ce qui est courant lors d'une enquête préliminaire. Mais Hassan refusa de ratifier le document en question et demanda à contacter, à plusieurs reprises un avocat. Il ne comprenait toujours pas ce qu'on lui reprochait et refusait d'être traité comme un terroriste. Rien ne justifiait en effet une descente de la brigade criminelle... encore moins une page Facebook ! Et comme pour dissiper le malaise qui s'était installé, l'un des policier lui dit clairement que « l'ordre venait de hautes sphère »...

Finalement, au bout de trois quart d'heure de « négociations » infructueuses, Hassan fut embarqué pour l'hôtel de police du 8ème arrondissement de Lyon, où on lui énuméra ses droits avant de le mettre officiellement en garde à vue. Pour se rassurer, il demanda à voir un médecin.

Durant la journée, Hassan a été auditionné, cette fois en présence de son avocat, Me Stephen Duval, l'un des associé de Me Gilles Devers dont le cabinet a déposé une plainte contre Israël, le 25 juillet dernier, devant la Cour Pénale Internationale. Puis, vers 16 heures, Hassan fut embarqué pour son domicile. Un mandat de perquisition venait d'être délivré par le parquet de Lyon. En vertu de l'article 226 alinéas 19 et 22 relatifs à la protection de la vie privée des personnes.

Tout son matériel de travail fut saisi : son poste informatique de montage vidéo, son ordinateur portable, ses disques durs externes et ses cartes mémoires, son appareil photo et même son téléphone mobile.

De retour à la « Crim' », Hassan a subit un second interrogatoire, plus inquisiteur. Son matériel avait été ouvert, son répertoire téléphonique passé au peigne fin. Les questions se firent donc plus précises, toujours orientées vers le même objectif : trouver une preuve de délit.
- Comment avez-vous obtenus ce « twit » de Tsahal ?
- C'est juste un copié-collé effectué sur une page publique !
- Et cette liste, dans votre répertoire, avec « Mokhtar » après chaque nom ?
- Mokhtar ? C'est pour me souvenir que j'ai rencontré ces personnes lors des « Mokhtar Awards », un prix décerné chaque année à la meilleure vidéo !

Inlassablement, Hassan répondit précisément à toutes les questions. Sa démarche était claire : offrir à ses abonnés une information plus proche de la réalité concernant l'agression israélienne de Gaza, y compris sur ses retombées dans le débat français, sans plus. Et en bon modérateur, il a même pris soin de veiller à la civilité des discussions, bannissant tous les commentaires virulents ainsi que leurs auteurs, qu'ils soient partisans d'Israël ou de la Palestine. Quant à cette accusation « d'importer le conflit en France »... Tout simplement absurde ! A moins d'être parano et de considérer qu'ouvrir le débat sur n'importe quel conflit dans le monde faisant la Une de l'actualité risque de l'importer chez nous. Jusqu'à preuve du contraire, la France est encore une démocratie où la liberté d'expression, même encadrée, est garantie par la loi !

Bref, après cette seconde audition, Hassan a sentit le ton changer à son égard, l'atmosphère s'est détendue -comme le lui avait d'ailleurs annoncé Me Duval. « En diffusant des informations rendues publiques par leurs auteurs, Hassan n'a assurément commis aucun délit », explique ce dernier en précisant que la précipitation qu'il a constaté dans cette affaire est probablement le signe d'un dossier mal ficelé. Au terme de 24 heures de garde à vue, Hassan a été libéré. Certes, il a été sérieusement secoué par cette soudaine intrusion dans sa vie qui s'apparente plus à un « assaut de la cavalerie » plutôt qu'à une procédure normale ! « Avant de quitter les locaux de la police », raconte-t-il, « on m'a informé qu'une deuxième personne proche de H&O Production sera auditionnée et qu'il m'est interdit de changer d'adresse ou de numéro de téléphone sans le signaler, au préalable, à la brigade criminelle. Sinon, une recherche à échelle nationale serait lancée à mon encontre. » Plutôt intimidant ! Mais Hassan est désormais décidé à déposer une plainte contre les personnes, techniquement identifiables, qui l'ont menacé de représailles sur sa page Facebook. Souhaitons juste que celle-ci soit reçue avec toute l'attention nécessaire !

Pour l'heure, il est probable que son dossier sera classé sans suite, faute de preuves clairement établies. Cependant, un certain nombre de questions demeurent en suspens ! Comment se fait-il, en effet, que la brigade criminelle de Lyon aie été mobilisée pour une simple page Facebook ? D'après ce qu'a compris Hassan, une plainte aurait été déposée par une parente de l'un des français participant, sous le drapeau israélien, à l'opération « barrière protectrice ».

Admettons ! Mais alors quel canal cette plainte a-t-elle suivie pour provoquer, aussi rapidement, une enquête préliminaire de la renommée brigade criminelle de Lyon qui a certainement autre chose à faire que d'épingler des « scribouillards » ? Et quelles sont justement ces « hautes sphères » dont Hassan a entendu parler lors de son arrestation ? A ce stade du dossier, mis en instruction après la saisine du parquet de Lyon (lui aussi de bonne réputation !), les spéculations vont bon train.

Cependant, lors de sa libération, Hassan a demandé des explications. Et la réponse reçue est claire : « la mise en garde à vue pour cette affaire a été actée par le ministère de l'Intérieur et le cabinet du Garde des Sceaux en date du 23 juillet ; l'intervention de la brigade criminelle et de la PJ attestant qu'il s'agit d'une grosse affaire ». En clair, cela signifie que le signalement de la page Facebook de Hassan (la plainte) soit d'abord passée par les « hautes sphères » de l'État. On imagine aisément les coups de fils et la teneur des conversations qui se sont tenues au sujet... de cette « grosse affaire » qui s'avère être, en fait, un pétard mouillé ! Mais il n'en demeure pas moins, comme le dit si bien Me Duval, « que l'on a essayé de prendre un bulldozer pour écraser une mouche ! ».