Traduction : Luc pour Vineyardsaker

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© Inconnu
Une fin prochaine du conflit sanglant en Ukraine n'est pas en vue, et il n'y a pas de signes de reconstruction politique ou économique du pays. Les leaders d'opinion dans les medias allemands accusent hle président russe d'être le seul coupable de ce qui arrive. Chaque fois que l'on s'interroge sur les origines historiques des horreurs actuelles, on met en avant l'impérialisme russe, depuis l'Empire tsariste jusqu'à la politique criminelle de Staline envers les Koulaks [classe paysanne aisée éliminée sous Staline, NdT]. Cette représentation de l'histoire est-européenne est cependant sélective et semble oublier que bien avant la Première Guerre mondiale, l'Ukraine était déjà convoitée par des puissances étatiques qui n'étaient pas la Russie.

« Il faut accaparer les riches terres Ukrainiennes », a écrit Joseph Goebbels dans son journal le 16 Juin 1941. Il pensait bien sûr aux terres agricoles, mais aussi aux ressources industrielles. L'Allemagne hitlérienne voulait utiliser l'Ukraine comme un pont géostratégique lui donnant accès aux régions du Caucase et à l'Asie centrale. La Crimée devait devenir une colonie allemande et une base militaire assurant la domination sur toute la Mer Noire. L'occupation de l'Ukraine devait également être un coup décisif en vue de la démolition de l'Empire russe. Celui-ci devait perdre définitivement son rang de puissance mondiale (au-delà de la fin du communisme), à la suite d'un démembrement sur base ethnique et de l'élimination massive de la race inférieure des Untermensch [sous-hommes, NdT] [1].

La politique Ukrainienne impérialiste de l'Allemagne du Kaiser

Les grands principes de la géopolitique allemande vis à vis de l'Ukraine n'ont pas été inventes par les Nazis. Ils remontent à l'époque de Guillaume II, bien sûr à cette époque sans les plans extrémistes de reconstruction de la face du monde, ni la politique d'extermination imagines par le Troisième Reich.

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© Domaine publicKiev détruit par les bombes à la fin de la Seconde Guerre mondiale
« Qui contrôle Kiev peut contrôler la Russie » était un slogan utilisé par Paul Rohrbach (1869-1956), un des journalistes géopolitiques les plus estimés en Allemagne avant et pendant la Première Guerre mondiale. Rohrbach, national-libéral de formation théologique protestante, était avocat du principe d'« espace vital » pour l'Allemagne, dans le cadre d'un impérialisme à base ethnique (selon Walter Mogk qui a publié en 1972 une des rares études sur lui). Quand le Troisième Reich déclara la guerre à l'URSS, en Août 1941, la propagande officielle positionna cette décision comme une réaction de défense face à l'agressivité des Russes. On passait ainsi sous silence les ambitions d'expansion vers l'Est depuis longtemps déclarées par les élites Allemandes. Et l'Ukraine avait une importance décisive dans ces plans.

Rohrbach, bien informé et avec une expérience riche en voyages, avait aussi participé d'une manière plus pratique a l'administration coloniale, et travaillé de 1914 à 1918 au ministère des Affaires étrangères. Il avait un intérêt très marqué pour l'Ukraine. Sa vision était que, sans elle, la Russie devenait impuissante, privée d'importantes ressources en fer, charbon et blé, ainsi que des ports sur la Mer Noire, et donc prête à être détruite. Pour toutes ces raisons, l'Allemagne devait mettre en marche un « mouvement Ukrainien ».

Le Chancelier du Reich von Bethmann était tout à fait de cet avis. Dès mi-août 1914, il songeait à « insurger » l'Ukraine et à la transformer en une arme contre la Russie. Le centriste Matthias Erzberger demandait lui aussi, en Septembre 1914, que la Russie soit coupée de la Mer Noire, une étape vers la libération des peuples non russes du joug moscovite. Berlin était décidé à lancer sous son contrôle une cinquième colonne nationaliste ukrainienne, par la suite une des méthodes les plus prisées dans la politique est-européenne de l'Allemagne.

Du reste, Erzberger a dû abandonner durant la Grande Guerre son espoir d'une paix victorieuse allemande et a dû se résoudre à une fin des combats sans annexions. Les leaders militaires lui confièrent même le rôle peu enviable de signer le traiter d'armistice. Il fut plus tard vilipendé pour cet « accomplissement » et fut assassiné par des terroristes nationalistes en 1921. Entre temps, mais pour une courte durée, il sembla que les rêves ukrainiens de l'Allemagne allaient pouvoir se réaliser.

La révolution Russe de 1917 mit fin à la puissance militaire du pays. Le Reich allemand œuvra à un État ukrainien indépendant, en tentant de mettre sa direction politique sous le contrôle allemand. Il fallait bien sûr également prendre en compte les intérêts de l'Autriche-Hongrie, mais Berlin menait la danse. La puissance pangermanique avait pris possession des territoires du sud-ouest de l'ex-Empire russe jusqu'à la Crimée. Cette conquête ne survit pas à l'effondrement de l'Alliance à l'automne 1918, et les forces allemandes et autrichiennes durent se retirer. L'homme de paille de l'Allemagne en Ukraine, l'ex-officier du Tsar et magnat de l'agro-alimentaire Pavel Skoropadski fut contraint à l'exile à Berlin.

Le nouvel État polonais occupa une partie de la Galicie, et les autres parties du territoire furent le cadre pendant plusieurs années d'une guerre civile avec des lignes de front changeant constamment, entre les Blancs et les Rouges, les pro-russes et les nationalistes ukrainiens, les anarchistes de Makhno (Nestor Makhno, anarchiste Ukrainien, NdT) et les néofascistes. À la fin de cette période, tous ces territoires, sauf ceux intégrés à la Pologne, rejoignirent le système soviétique, officiellement en 1922 comme République d'Ukraine de l'URSS. Jusqu'en 1954, la Crimée ne faisait pas partie de cette République d'Ukraine.

La politique ukrainienne de l'Allemagne après 1918 et sous le Troisième Reich

À l'époque de la République de Weimar, l'intérêt géopolitique allemand pour l'Ukraine survécut, discuté dans l'arène politique et dans les revues spécialisées, sans parler des services secrets. Paul Rohrbach et ses idées eurent un impact croissant. Les acteurs politiques berlinois apportèrent leur aide à la formation d'un groupe autour des autonomistes ukrainiens en exil, et l'OUN (Organisation ukrainienne nationaliste) fut créée en 1929 (anti-bolcheviks de droite, de tendance antisémite), et qui plus tard eut recours au terrorisme. Avec l'aide de l'armée du Reich, les émigrants ukrainiens furent formés à l'emploi des armes. Cela dit, un des buts de ce soutien allemand aux nationalistes ukrainiens était aussi l'éclatement de l'État polonais.

Le Troisième Reich donna une nouvelle force à ces plans visant à amener les territoires ukrainiens (y compris la Crimée) sous contrôle allemand, afin de les exploiter économiquement et en même temps de franchir un pas décisif vers la destruction de l'État russe, devenu soviétique. Le pacte de non-agression soviéto-allemand de 1939 n'était qu'un intermède tactique et limité dans le temps. Avec l'attaque de 1941, le nationalisme ukrainien devait reprendre toute son importance au service de l'Allemagne.

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© InconnuL’OUN de Bandera et les représentants du régime Nazi fêtent ensemble la création de l’état Ukrainien indépendant le 7 Juillet 1941 dans l’ouest du pays.
Beaucoup d'Ukrainiens antirusses et antisoviétiques continuèrent à être enrôlés dans la Wehrmacht [2] ou les Waffen-SS [3], mais d'autres passèrent dans la clandestinité et menèrent un combat de résistants contre à la fois les Bolcheviks et les oppresseurs allemands. Après le retrait des troupes allemandes du territoire soviétique et la chute du Troisième Reich, ces militants clandestins demeurèrent pendant plusieurs années un problème pour les Soviétiques. Ce mouvement put conserver le soutien d'une partie de la population à la suite des déportations organisées par les autorités soviétiques, massives et brutales.Stépan Bandera, chef de l'OUN déclara une « Ukraine indépendante, travaillant en pleine coopération avec l'Allemagne nationale-socialiste, sous la direction de Adolf Hitler ». Les unités nationalistes ukrainiennes participèrent aux exactions perpétrées par les troupes allemandes lors de leur entrée dans le pays, et plus tard pendant l'occupation, les Juifs étant les premiers visés. Mais cette coopération posait un problème de fond. Le régime nazi n'avait pas l'intention de donner aux nationalistes ukrainiens autant de pouvoir et d'indépendance qu'ils le souhaitaient. D'autre part, la politique d'occupation allemande était terrible et mettait en danger l'acceptation de l'OUN parmi la population. La direction nazie se débarrassa de Bandera, l'arrêta en 1944 et le mis en « lieu-sur ».

Après 1945 : l'Ukraine comme champ d'action de la politique US

En 1949, après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le célèbre journaliste américain James Burnham, un avocat d'une politique visant à la libération du communisme soviétique, mis l'accent avec plein d'espoir sur l'existence d'une « armée secrète de libération de l'Ukraine », qui, selon lui, était un signe de la fin prochaine de l'URSS. La CIA se mis à soutenir ce mouvement souterrain antisoviétique, ainsi que des groupes d'exilés qui lui étaient liés. En agissant ainsi, les USA faisaient appel à des individus venant de la mouvance nazie.

La coalition entre l'Ouest et l'URSS contre le Troisième Reich fut une association limitée dans le temps. Depuis les années 20 jusqu'aux années 40, les militaires et politiques français et anglais avaient réfléchi à comment vaincre l'Empire des « nouveaux Tsars », si nécessairement par la force, et éventuellement par des guerres indirectes. Après 1945, ces plans furent repris par les stratèges de la politique US, et leur conception de cette lutte incluait des opérations des services secrets, le développement de soulèvements et l'exportation de « révolutions ». Une composante clé de ces plans était à nouveau la « dislocation » de l'URSS par la montée des nationalismes sur les pourtours du pays.

Il était dans la logique de cette politique de contrôler les processus internes, spécialement en Ukraine. Pour les groupes d'opposition et les mouvements dans la sphère de pouvoir de l'URSS, qui donnaient la plus haute priorité à leur identité nationale, il était logique de chercher une alliance à l'Ouest avec les acteurs de la guerre froide. Cette relation n'était cependant pas d'égal à égal, et en général les aspirations à une indépendance nationale se transformaient en une nouvelle dépendance, vis à vis de forces extérieures. Ces « rebelles nationaux » avaient du reste souvent une tendance destructive à envisager l'usage de la force tous azimuts.

Un exemple est Jaroslaw Stetzko, qui était depuis l'assassinat de Bandera a la tête de l'OUN et président de l'association d'émigrants « Bloc antisoviétique des nations » (ayant son siège à Munich), et qui déclarait « le combat armé de l'autre côté du Rideau de fer », que l'Ouest devait supporter politiquement et techniquement, sans mener aucune négociation avec les tyrans bolcheviks. Les chefs communistes des pays de l'Ouest devaient être, selon lui, jugés et condamnés a mort. Cet état d'esprit était un terrain propice à la montée d'idées fascistes.

Et maintenant ?

Les constellations politiques sont aujourd'hui très différentes de celles de l'époque de la Grande Guerre ou de celles de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Par contre, les grandes puissances ont toujours la même tendance à avoir recours à la force pour faire avancer leurs intérêts, et à utiliser les opposants des autres pays dans cette voie. Elles exportent des « révolutions » et conduisent de cette manières des guerres par pays interposés. Pour la majorité des habitants des pays concernés, les conséquences sont dramatiques et l'indépendance nationale tant convoitée n'est jamais au rendez-vous.

Notes :

[1] Untermensch (en français sous-homme) est un terme introduit par l'idéologie raciste nazie par opposition au concept introduit par Friedrich Nietzsche d'Übermensch (en français surhomme) (wikipedia, français).

[2] La Wehrmacht (prononcé en allemand : [ˈveːɐ̯maxt ] (littéralement « force de défense »)) est le nom porté par l'armée allemande dans le IIIe Reich d'Adolf Hitler à partir de la réforme de 1935 et jusqu'en août 1946 (wikipedia, français).

[3] La Waffen-SS (littéralement « armée de l'escadron de protection ») fut la branche militaire de la Schutzstaffel (SS), dont elle constitua l'une des composantes les plus importantes avec l'Allgemeine SS, le Sicherheitsdienst (SD) et les SS-Totenkopfverbände (wikipedia, français).