Traduction : Jacques Bélanger pour vineyardsaker

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Les États‑Unis ont averti Moscou d'être « très prudente » dans ses choix après que Vladimir Poutine a placé les forces armées de l'ouest de la Russie en état d'alerte, en réponse à l'escalade des tensions observée en Ukraine. Il s'agit manifestement là d'une menace, mais de laquelle au juste ?
Les États‑Unis soutiennent ce qu'ils appellent hypocritement une opération « antiterroriste » dans l'est de l'Ukraine, et ce, même après avoir introduit des tireurs d'élite chargés de tirer sans discernement sur la foule de la place Maidan pour parvenir à leurs fins. Pour que leur stratégie puisse se poursuivre, les actifs de l'Otan et le financement étasunien sont déjà utilisés au‑delà de leurs limites en Syrie, les États‑Unis et les « soldats en chocolat » du gouvernement ukrainien nouvellement porté au pouvoir en étant pratiquement rendus à recruter des enfants dans les rues de l'ouest du pays pour les envoyer au front comme chair à canon après un mois d'entraînement.
Quelle est donc cette menace accrue qui plane maintenant ?


La génération du Vietnam

Chaque fois que les États‑Unis s'engagent dans une guerre, quelqu'un agite le spectre du Vietnam. La plupart des politiciens étasuniens actuels appartiennent à la génération ayant combattu au Vietnam ou manifesté contre cette guerre. Les jeunes hommes, conscrits pour la plupart, étaient envoyés au loin pour servir leur pays et devaient se battre pour une cause que peu d'entre eux comprenaient, ou à laquelle peu d'entre eux croyaient, et dont les coûts ont été extrêmement élevés sur les plans humain, moral et financier. Ces troupes ne sont revenues au pays que pour subir l'opprobre public, parfois dans un état désespéré.

Pareille blessure historique explique un certain nombre d'actions récentes des États‑Unis. Sortis gagnants de la guerre du Golfe, les Américains ne sont pas parvenus pour autant à renverser Saddam, même s'ils sont heureux de déloger d'autres dirigeants, car ils gardent un souvenir amer des millions incalculables dépensés pour soutenir des dirigeants installés au pouvoir par leurs soins afin de servir leurs propres intérêts, comme Thieu au Sud Vietnam et Marcos aux Philippines. De même, les États‑Unis agissent maintenant rarement seuls, veillant à ce que toutes leurs interventions soient assimilées à des opérations de l'Otan impliquant de multiples partenaires. Même si ces actions contribuent à l'avancement de leur politique, ils ne veulent pas porter le chapeau au cas où l'opinion publique se retournerait contre cette même politique, et cherchent par conséquent à en partager la responsabilité, et ce, à un point tel qu'elle s'en trouve totalement diluée.

Tout cela a des répercussions sur l'Ukraine. Malgré leurs tentatives de présenter le conflit qui s'y déroule comme opposant « combattants de la liberté » et « oppresseurs », le fait est que la plupart des Américains ne connaissent pas grand-chose à ce pays, et ils s'en fichent. Leur décision d'appuyer ou non l'envoi de troupes se résume à leur attitude à l'égard de leur propre gouvernement plutôt qu'à une quelconque appréciation des enjeux propres à l'Ukraine.

Les États‑Unis ne brandissent donc pas nécessairement la menace d'une intervention militaire directe, car l'analyse coût‑avantage ne semble pas positive. La menace qu'ils brandissent est l'équivalent politique de la « terre brûlée ». Ils essaient de faire en sorte que si la Russie divise l'Ukraine, cela se traduise pour elle par une victoire à la Pyrrhus, car l'État croupion qui en résultera sera tellement prompt à la révolte et tellement belliqueux que les choses seront bien pires pour la Russie que si le gouvernement Ianoukovytch avait décidé d'adhérer à l'Union européenne.

Nos amis des beaux jours

Les liens entre le nouveau gouvernement ukrainien et les groupes néonazis sont bien établis. Ce n'est pas par accident que personne n'a eu à s'expliquer à propos des swastikas qui barbouillaient les murs des Juifs au lendemain de départ forcé de Ianoukovitch. Au départ, ces néonazis n'ont pas pris part aux « manifestations populaires » qui ont mené au renversement du régime, en grande partie parce que la plupart des Ukrainiens ne les prenaient pas au sérieux, mais on les a fait entrer en scène plus tard pour apporter la force brute et l'engagement idéologique nécessaires à l'éviction, pour une seconde fois, du président élu.

Mais cette intervention musclée fonctionne‑t-elle ? D'une certaine manière, oui, et d'une autre, non, et ce non est important.

Sergei Glazyev, conseiller du président russe, a attiré l'attention sur les activités des néonazis dans la région du Donbas (de l'est de l'Ukraine), où ils sont aux ordres de Kiev. « Des écoles et des infrastructures ont été détruites, et les gens de la région peuvent s'attendre à une existence de servitude, comme on peut le déduire non seulement des propos des porte‑parole et des idéologues officiels, comme Liaskho, mais aussi des propos de Poroshenko lui‑même, dont la position n'est pas très différente », dit‑il.

Il poursuit en décrivant l'exploitation sans merci de la population locale, qui est forcée de partir à moins d'être forcée de travailler dans les usines ou les mines. Les lourds bombardements peuvent difficilement encourager qui que ce soit à rester, bien sûr. Mais il ajoute un détail éloquent : bon nombre de réfugiés ukrainiens émigrent vers la Russie.

Maria Zakharova, sous‑chef du service de presse du ministère des Affaires étrangères russe, dit qu'au moins 400 soldats, tant conscrits que professionnels, sont jusqu'à maintenant passés en Russie pour y cherche asile. Ces déserteurs affirment ne pas vouloir participer à des crimes de guerre dans leur propre pays en ciblant les Russes ethniques de l'est de l'Ukraine, leurs propres compatriotes, qui ne sont pas des terroristes comme Kiev et les médias occidentaux aimeraient leur faire croire.

Il arrive que les gens qui combattent pour la « liberté » et contre l'« oppression » ne soient ni compétents ni motivés pour le faire, mais ils n'envisagent pas de déserter pour passer à l'ennemi. Ces désertions, et le chiffre de 400 n'a rien d'anodin, constituent une menace sérieuse pour la réussite de l'opération étasunienne, car plus les gens verront leurs camarades changer de camp, plus ils commenceront à envisager de faire de même. Il est beaucoup plus difficile de justifier la guerre en disant qu'il s'agit de combattre pour la « liberté » lorsque vos propres soldats, recrutés sous ce prétexte, partent de leur plein gré et en grand nombre rejoindre les « oppresseurs ».

Donc, le gouvernement étasunien pose un ultimatum à la Russie. Si elle laisse les États‑Unis poursuivre son plan, tous les crimes des nazis cesseront et une Ukraine démocratique, respectueuse des droits de la personne sera créée avec laquelle la Russie pourra faire des affaires. Sinon, les États‑Unis laisseront simplement les néonazis poursuivre indéfiniment leurs tactiques dans le Donbas comme ailleurs dans le pays. Paradoxalement, les États‑Unis demandent à la Russie de décider du type de gouvernement qu'elle souhaite voir en Ukraine, et ce, après avoir commencé la guerre pour l'empêcher d'intervenir dans les affaires de l'Ukraine.

S'adapter ou mourir

L'une des raisons expliquant les désertions est que la nouvelle politique gouvernementale de mobilisation générale contre la Russie ne suscite pas l'enthousiasme de la population ukrainienne, fatiguée à juste titre de la guerre et manipulée par des puissances qui ne sont pas à l'écoute de ses préoccupations. Examinons toutefois la dynamique de la situation : en décembre 2013, il y avait 2.000 membres de groupes néonazis actifs à Kiev. En février, ils étaient 20.000. En mai, le nombre de néonazis et de nouveaux conscrits de l'armée appelés pour soutenir leurs actions avait atteint les 50.000. Le mois prochain, les troupes régulières et irrégulières placées sous commandement néonazi compteront 200.000 hommes prêts à mener des opérations de combat, car il est prévu d'appeler toutes les personnes en âge de prendre les armes.

Si l'Armée ukrainienne menait ces opérations militaires pour défendre le pays, cela serait justifié. Mais ce n'est pas le cas. Compte tenu des craintes entourant apparemment la loyauté de l'Armée, les groupes néonazis ont été placés à sa tête, d'abord par les États‑Unis puis par le nouveau gouvernement ukrainien, pour agir en tant qu'avant‑garde. Ce sont eux qui mènent les opérations, et les nouvelles troupes leur apportent leur soutien sans les traiter comme des groupes irréguliers illégaux, car ils y sont tenus par leur serment militaire.

L'Ukraine possède une vaste armée en grande partie inactive. La majeure partie n'a pas été mobilisée pour intervenir dans le conflit actuel : seuls ces groupes nazis armés et les nouvelles recrues inexpérimentées sont utilisés pour défendre le pays contre une puissance étrangère. Les usines de Kharkov fonctionnent à plein régime pour restaurer les tanks et les armes blindées, et sortir les tanks des entrepôts, les remettre en marche et les moderniser n'a rien de difficile. Il en va de même pour la flotte aérienne, que l'on sort des hangars d'Odessa. Toutefois, cette flotte n'est pas mise à la disposition de l'Armée ukrainienne, mais plutôt des groupes nazis irréguliers qui, normalement, n'aurait aucunement le droit d'utiliser de l'équipement d'État.

Comme les néonazis sont à la tête des opérations, ils n'accepteront les ordres ni du gouvernement ukrainien ni même des États‑Unis, qui les ont eux‑mêmes placés dans cette position. Ils vont poursuivre leur combat idéologique de leur propre chef. L'Ukraine les aide parce que cela sert ses propres desseins, pour l'instant. Mais peut‑on réellement s'imaginer qu'ils tiendraient compte d'un ordre de Poroshenko leur intimant de se retirer ou de cesser de commettre des atrocités ?

Les États‑Unis tentent de rejeter tout le blâme sur la Russie. Les néonazis ont été amenés sur le terrain pour contrer les ambitions de la Russie en Ukraine, du moins telles que les décrivent les États‑Unis. Ils bénéficient encore d'un soutien, malgré les désertions, afin de montrer à la Russie qu'à moins qu'elle ne recule, ils les laisseront agir indéfiniment en Ukraine, quoi qu'il arrive. C'est là aussi une menace réelle pour la Russie, aux prises avec ses propres menaces terroristes en Tchétchénie, au Daghestan et ailleurs sur son vaste territoire, et qui ne veut pas voir un autre joueur intégrer un réseau de groupes terroristes anti-russes ayant à sa disposition les ressources d'une armée nationale.

Un printemps pour Poroshenko

Une certaine forme de guerre est maintenant inévitable en Crimée, car l'Ukraine ne va pas abandonner. L'envoyée du département d'État étasunien, Victoria Nuland, l'a dit dans les mêmes mots. À Odessa, elle a affirmé que les États‑Unis s'attendent à ce que leurs agents ukrainiens, les groupes néonazis qu'ils ont armés et à qui ils ont conféré leur crédibilité, partent en guerre contre la Russie pour la Crimée. Mais comme les États‑Unis ont aussi mis au pouvoir le gouvernement ukrainien et qu'ils peuvent par conséquent contrôler l'Armée ukrainienne, on pourrait croire qu'il ne leur sera pas nécessaire d'utiliser ces groupes pour atteindre leur objectif militaire.

Si la guerre pour la Crimée est menée par des néonazis et des conscrits amenés pour les soutenir plutôt que par l'Armée ukrainienne, cela laisse à tout le monde une porte de sortie. Si l'Ukraine perd, elle peut se laver les mains de ces gens et entrer en négociation, sans pour autant abandonner ses revendications sur la Crimée. Si elle gagne, le pays célébrera sa réunification et l'affirmation de son indépendance, et les moyens mis en œuvre pour obtenir sa victoire seront oubliés.

Il ne fait aucun doute que Poroshenko sait que Margaret Thatcher, la figure politique emblématique des années 1980 en Grande‑Bretagne, était une première ministre en déroute dont les politiques étaient jugées inefficaces, et ce, jusqu'à ce que le conflit des Malouines de 1982 avec l'Argentine donne l'impression que son approche de « femme de caractère » était la bonne et que, par conséquent, toute politique « rigoureuse » adoptée par la suite devait aussi être bonne. Il sait aussi qu'il n'a pas vraiment remporté les élections qui l'ont porté au pouvoir : des experts ont établi que le pourcentage de la population ayant voté pour lui ne dépasse pas en fait les 40 %. Donc, si les alliés de Poroshenko peuvent lui permettre de consolider sa propre position, tout va bien. Sinon, il n'aura pas à en porter le blâme et pourra refaire surface en se présentant comme l'incarnation de la démocratie et de la raison.

Il est largement diffusé dans les organes de presse occidentaux contrôlés par l'État que la Russie est la principale responsable du conflit ukrainien. Les États‑Unis ont remporté cette bataille de relations publiques, du moins pour l'instant. Ils brandissent maintenant la menace d'une Ukraine laissée à perpétuité aux mains de néonazis, insistant sur le fait que ce sera la faute de la Russie, si elle refuse de rentrer dans le rang. C'est là une menace que la Russie se doit de prendre au sérieux si elle veut éviter que d'autres bombes n'éclatent dans le métro de Moscou. Reste à voir si les Ukrainiens et les Européens eux‑mêmes laisseront une telle situation se produire.