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© AFP/ADEK BERRYLa Chine a annulé l'importation depuis 2013 de centaines de milliers de tonnes d'une variété de maïs transgénique américain au prétexte qu'il n'avait pas été inspecté.
Pékin prendrait-il ses distances avec les organismes génétiquement modifiés (OGM) ? Le ministère chinois de l'agriculture vient de refuser le renouvellement des certificats de biosécurité accordés en 2009 - à des fins expérimentales - à deux variétés de riz transgénique ainsi qu'à du maïs, et qui arrivaient à expiration le 17 août. Mettant a priori un coup d'arrêt à toute perspective future de commercialisation.

Aucune explication officielle n'a pour l'instant été fournie sur les raisons de cette décision. On connaît le dilemme chinois, et il est de taille : avec 7 % des terres arables de la planète, le pays doit nourrir 22 % de la population mondiale.

La Chine se retrouve ainsi contrainte d'examiner tous les moyens permettant de garantir sa sécurité alimentaire. Pékin investit donc des milliards dans la recherche sur les OGM afin d'améliorer les rendements des céréales. Mais le pays cherche aussi depuis 2012 à mieux encadrer leur utilisation.

Cette fermeté nouvelle a conduit à un conflit larvé avec les États-Unis, la Chine ayant bloqué ou annulé l'importation depuis 2013 de centaines de milliers de tonnes d'une variété de maïs transgénique américain au prétexte qu'il n'avait pas été inspecté.

Viser l'auto-suffisance

« Depuis l'annonce du non-renouvellement, personne ne sait à ce stade si le laboratoire va redemander leur prorogation », souligne Crystal Zhang, l'une des animatrices de la campagne « Agriculture et nourriture » de Greenpeace Chine. Deux raisons principales ont pu peser selon elle dans la balance : « D'une part, le riz transgénique affiche une productivité faible. D'autre part, il est désormais associé à de trop nombreux scandales dans l'esprit du public pour être politiquement viable. »

Un autre argument a pu jouer pour inciter Pékin à ne plus vouloir jouer la carte du riz OGM : l'auto-suffisance. Selon les projections de l'Académie chinoise des sciences agricoles, la production de riz devrait en effet dépasser la demande jusqu'en 2023.

Ne plus faire appel à du riz OGM serait un moyen de rassurer une population qui a un rapport particulier avec la céréale, dont la culture millénaire a produit une très grande variété à travers le pays.

Or Greenpeace Chine n'a cessé de répertorier depuis des années de nombreux cas de culture et de circulation sauvage de riz Bt en Chine. Et ce, dès 2005, à l'époque où l'université agricole Huazhong effectuait déjà des recherches sur le riz transgénique (lancées en 1999).

Appliquer la législation

En 2012, l'ONG a également révélé une expérience, menée en toute illégalité par des chercheurs chinois affiliés à une université américaine, auprès de 24 enfants de la province du Hunan, nourris en 2008 au « riz doré », un riz transgénique calibré pour pallier une déficience en vitamine A. Le scandale a conduit à la suspension d'un chercheur.

Dans un climat, en Chine, de défiance aiguë vis-à-vis des dangers alimentaires, la télévision centrale chinoise, CCTV, dont les enquêtes ne se font pas sans l'approbation du parti, a également annoncé, dans un reportage diffusé le 26 juillet, avoir découvert du riz transgénique disponible à la vente dans des supermarchés des provinces voisines du Hubei et du Hunan.

D'autres médias ont récemment identifié des graines et des lieux de culture dans le Hubei. « Même s'il y a une législation , le défi en Chine, c'est son application. En général, quelques sociétés sont sanctionnées, mais ça recommence », note Crystal Zhang.

L'université agricole de Huazhong, et son expert, l'académicien Zhang Qifa, qui menaient les expériences sur le riz Bt, ont plusieurs fois été l'objet de polémiques. Greenpeace soutient que des sociétés de graines dépendant de l'université, ainsi qu'une société privée de vente de graines dirigée par le professeur Zhang Qifa, ont par le passé commercialisé en douce du riz Bt.

Silence de la presse

Interrogé par le quotidien Xinjing Bao (Nouveau quotidien de Pékin), le professeur Zhang a reconnu que des « fuites » ont pu avoir lieu à deux dates : en 1999, à une époque où la réglementation était très laxiste ; et en 2003, quand l'université a mené des expériences de culture. Or, de telles fuites risquent d'entraîner une contamination génétique des variétés de riz se trouvant en Chine.

Un lanceur d'alerte chinois, Chen Yiwen, passionné de la question des OGM, travaille à la China Association for Disaster Prevention, une organisation dépendant du ministère de la technologie. Il a dénoncé sur son blog le 14 août le fait que des étudiants de Huazhong auraient été alimentés par du riz Bt à la cantine de l'université, et avance l'hypothèse d'un lien avec une recrudescence de cas de leucémie.

Joint par Le Monde, M. Chen explique qu'il n'a pas les moyens de faire une enquête, mais qu'il est urgent de le faire, expliquant qu'il a signé avec d'autres militants, le 20 août, une pétition adressée aux autorités. Il dénonce le silence de la presse, et déplore un climat « de plus en plus sensible » autour de la question des OGM.

Une émission télévisée à laquelle il avait été invité en octobre 2013 pour débattre, en tant qu'opposant aux OGM, avec des experts qui, eux, y étaient favorables, n'a jamais été autorisée à la diffusion. Au total, l'agriculture chinoise produit du coton, des papayes, des tomates et des poivrons transgéniques. Près de 8 millions de petits fermiers chinois cultiveraient 4,2 millions d'hectares de coton Bt.