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Il est probable que les membres de la Commission Européenne ont oublié de lire François Crouzet (De la supériorité de l'Angleterre sur la France, Perrin, 1985)) avant de s'aligner sur les positions américaines dans l'affaire ukrainienne. Les conséquences des guerres du premier Empire sont pourtant intéressantes pour comprendre ce qui va se passer en Russie en lui appliquant des sanctions qui n'ont, dans la plupart des cas, jamais été dissuasives.

Petit rappel historique

François Crouzet a montré clairement que le blocus était une politique très fructueuse. D'abord, l'économie européenne du XVIIIème siècle était en bonne partie tournée vers l'extérieur. Lorsque, à la fin de 1807, les pays du continent furent soumis par les britanniques à un blocus maritime rigoureux, cela entraîna un déclin accéléré de quelques industries, comme les toiles, mais la dislocation introduite par la mesure aura finalement des effets positifs à long terme sur le développement de l'industrie continentale. Puis Crouzet établit les avantages de l'auto-blocus imposé par Napoléon, mesure que la Russie reprend face aux Européens.

L'auto-blocus est en pratique un système protectionniste qui a pour effet de favoriser la croissance des activités les plus menacées par la concurrence étrangère. Au début de XIX ème, l'exemple paradigmatique fut le coton. Il y a un lien incontestable, explique Crouzet, entre la prohibition des marchandises anglaises et le boom de la filature mécanique du coton qui commença en 1806. L'auto-blocus sauva aussi l'industrie du coton de la Suisse tout comme celle de la Saxe.

Vers 1800, la suprématie de l'Angleterre pastoralisait les pays situés dans son orbite. L'Europe était menacée par le sort de l'Inde. A laisser faire le dominant, personne ne pouvait entrer en concurrence. Il en est exactement de même aujourd'hui où la finance anglo-saxonne pastoralise les pays, zones et continents. Avec l'auto-blocus russe, c'est une aide imprévue qui surgit en faveur des nouvelles élites de ce pays.

Vers un effondrement de l'Europe

Le blocus anglais de 1807 avait touché les activités portuaires. Aujourd'hui, le blocus européen va réduire la voilure de certaines entreprises russes, par exemple le groupe Rosnef (pétrole) supprime un millier de postes de cadres. Mais le désastre s'abat sur le continent. Le Finlandais Valio commence à diminuer son personnel ; les Espagnols ont signalé que toutes les exportations directes de viandes et de fruits et légumes en particulier affectaient les provinces d'Almería, Murcia, Valencia et Cordoba. Non seulement les ventes directes chutent mais aussi celles destinées à d'autres pays européens qui les transforment en d'autres produits avant de les exporter en Russie. L'embargo d'un an sur les produits alimentaires occidentaux causera aussi un préjudice de centaines de millions d'euros aux fermiers français producteurs de porc et de fromage. Quand au Comité oriental de l'économie allemande (Ost-Ausschuss der Deutschen Wirtschaft - OADW) son service de presse a déclaré que « d'ici la fin de l'année, les exportations vers la Russie pourraient chuter de 20% à 25%. Cela affecterait près de 50.000 emplois en Allemagne ».

Le premier ministre anglais, a déclaré qu'il convenait d'exclure la Russie du système de paiement Swift. S'il est clair que les perturbations immédiates sont importantes pour la Russie, car elle devrait vendre sans être payée, par exemple pour le gaz qu'elle fournit à l'Europe, il n'est pas douteux que la Russie, comme le fit l'Allemagne après que divers milieux financiers lui eurent déclaré la guerre en 1933, créera d'autres circuits avec d'autres partenaires. Le lien Chine-Russie se renforce. Les deux pays ont créé une commission intergouvernementale pour la coopération d'investissement qui a déjà plus de 30 projets à l'étude. Et la liste des pays qui souhaitent coopérer avec la Russie ne cesse de s'allonger: la Turquie et l'Amérique du Sud, où Poutine est allé rencontrer les principaux dirigeants, mais aussi le Maroc puisque le Roi doit se rendre en Russie à l'automne, sans oublier l'Etat d'Israël.

Des janissaires placés à la direction de l'Europe

La géographie économique de l'Europe se trouve à un tournant: elle va se transformer durablement. Des zones industrielles vont décliner, mais par contre en Russie une activité agricole et industrielle va démarrer car l'auto-blocus russe aura un effet positif sur son industrie. Le temps des bolchéviques et de la planification totale a passé. Depuis 1990, une nouvelle élite monte. Une partie de ses membres potentiels pliait sous la tyrannie installée à l'époque de Boris Eltsine entre 1991 et 1999. Poutine a bloqué le processus de pillage. Cette mesure protectionniste permettra le remplacement de beaucoup d'importations par des produits russes, en même temps que, pour les activités difficiles à créer en Russie, de nouveaux circuits d'échange apparaîtront, notamment avec les BRICS et divers pays d'Amérique latine. L'Europe est condamnée. La technologie chinoise ne laissera aucune chance de rattrapage dans les années à venir. La chute peut être définitive.

L'effondrement européen

Il est difficile de pronostiquer les délais nécessaires au redéploiement Russe. Il est par contre facile d'observer l'effondrement européen. Tout s'écroule à un rythme croissant, sous les regards vides des membres de la Commission européenne. A la question de savoir pourquoi les membres de la Commission sont si ignobles, Paul Craig Roberts a donné la réponse, très banale : « Lors de mon doctorat, mon directeur de thèse, qui est devenu un haut fonctionnaire du Pentagone assigné à la tâche de mettre un terme à la guerre du Vietnam, en réponse à ma question sur la façon dont Washington a toujours réussi à imposer aux Européens ce que Washington voulait m'a répondu : «l'argent, nous leur donnons de l'argent». «L'aide étrangère» ai-je demandé ? «Non, nous donnons aux dirigeants politiques européens des valises pleines d'argent ("bag fulls of money")". Ils sont à vendre, nous les avons achetés. Et ils viennent rapporter».