L'extension de plus en plus rapide du virus Ébola, qui a fait et surtout qui fera bien plus de morts que l'État islamique, n'avait jusqu'ici inquiété que les pays touchés, mais guère les pays africains voisins et pas du tout les pays dits développés.

Beaucoup d'émotions et de peur sont générées par le développement récent du soi-disant État islamique. Celui-ci a déjà fait des centaines de victimes au Moyen-Orient. Il est probable que la menace s'étendra dans d'autres régions du monde, l'Afrique, l'Europe, l'Amérique. Il est légitime de réagir à cette menace, en s'efforçant de mettre hors d'état de nuire les djihadistes, quel qu'en soit le coût.

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Nombre de passagers par semaine en provenance des foyers d'infection par Ébola en Afrique de l'Ouest
Mais ironiquement, l'extension de plus en plus rapide du virus Ébola, qui a fait et surtout qui fera bien plus de morts que l'État islamique, n'avait jusqu'ici inquiété que les pays touchés, mais guère les pays africains voisins et pas du tout les pays dits développés. Cependant le risque est considérable et nul n'y échappera, tant du moins que des vaccins ne seront pas mis au point...ce qui n'est pas près d'être fait.

Un début de prise de conscience

Or les esprits sont en train de changer, devant l'ampleur grandissante, quasi exponentielle, que prend l'épidémie. Le Conseil de Sécurité le 18 septembre a publié une Résolution déclarant que celle-ci était devenue une menace à la paix et à la sécurité dans le monde, pouvant si elle n'est pas contenue entrainer des troubles civils, des tensions sociales et une détérioration générale du climat politique mondial. L'ONU indique que un milliard de dollars serait dès aujourd'hui nécessaire pour contenir l'épidémie, sans évidemment préciser d'où ces sommes pourraient provenir. Devant le Conseil de sécurité de l'ONU, Margaret Chan, directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), avait renforcé le message. Il « s'agit d'une menace à la sécurité des nations, au-delà des pays déjà infectés ».

C'est que les alertes s'accumulent. Les cas connu à la date de cet article dépassent 6.000 et leur nombre double tous les 15 jours. On estime par ailleurs qu'un grand nombre de malades ne sont pas identifiés, pour des raisons diverses. Les Centres américains de contrôle et prévention des maladies (US Centers for Disease Control and Prevention) prévoient qu'un million de personnes seront atteintes en Afrique de l'Ouest en janvier 2015 (avec une mortalité, rappelons-le de 50 à 70 %). À partir de là, le virus circulera non-stop dans toute l'Afrique et s'étendra progressivement au reste du monde.

Des coûts économiques

Une mission de l'ONU pour les réponses d'urgence à Ébola (Ebola Emergency Response) vient de se réunir à Accra. Elle organisera le déploiement de moyens militaires et civils, que viennent de s'engager à fournir les États-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni et Cuba. D'autres pays sont en voie de faire de même. En effet, les gouvernements commencent à se rendre compte que tous les pays seront rapidement touchés, non seulement du point de vue sanitaire, mais aussi, compte tenu des conséquences de l'épidémie, dans leur activité économique, car le commerce mondial risque d'être perturbé, et financière.

Selon la Banque mondiale, le virus engendrera en Afrique de l'Ouest des coûts de plusieurs milliards de dollars d'ici 2015. D'ores et déjà, l'activité économique est en récession au Libéria, en Guinée et au Sierra Leone. Ces pays sont gros producteurs de riz. Or, à ce jour, environ 40 % des agriculteurs sont décédés ou ont fui. Le mouvement ne s'arrêtera pas, car Ébola s'étendra nécessairement à d'autres pays.

En Afrique et hors d'Afrique, les villes les plus atteintes seront celles dont l'hygiène générale est insuffisante et celles qui sont surpeuplées. Les voyageurs infectés et non encore détectés comme contagieux disperseront très vite le virus, d'autant plus que, contrairement aux premières affirmations des épidémiologistes, certaines personnes ne manifestent de symptôme que trois semaines après avoir été atteintes. Que l'une d'entre elles atteignent Calcutta ou Mexico et très vite ces centres urbains deviendront des foyers explosifs d'épidémie.

Le danger menace les populations des pays riches eux-mêmes, États-Unis, Europe. Mais avant cela (et l'argument ne laisse pas indifférents les milieux d'affaires), le commerce international avec l'Inde ou le Brésil seront durement touchés. Puis ce sera le tour des échanges transatlantiques ou intereuropéens.

Prévention et lutte difficiles

Pour prévenir cette épidémie et lutter contre, il ne suffira pas de faire appel aux militaires (merci pour eux). Il faudra recruter et former des milliers de nouveaux professionnels de santé, en les dotant de tous les moyens de protection disponibles. Mais les volontaires, compte tenu des risques encourus, ne seront sans doute pas assez nombreux. Dans l'idéal, il faudrait former des dizaines de milliers de personnes potentiellement menacées à se protéger elles-mêmes, ce que certains pays, pour des raisons religieuses ou politiques, refusent de faire.

À terme, il faudra prévoir que, même si la prolifération de l'épidémie est ralentie, celle-ci deviendra endémique, notamment en Afrique de l'Ouest. Cela signifie que le virus sera présent dans l'ensemble des populations, ne se manifestant que par vagues. En théorie, un virus aussi contagieux continue à se répandre, jusqu'au moment où toutes les personnes exposées sont mortes ou se sont immunisées spontanément.

Certains hommes politiques, en Europe, dont l'un très connu en France, que nous ne nommerons pas, estiment que le virus est une réaction naturelle à la surpopulation dans certaines zones du monde, dont l'Afrique, et qu'il faut laisser faire. Dans les réseaux sociaux se tient un autre discours : tout cela résulte de campagnes alarmistes montées de toutes pièces par les laboratoires de santé (la « big pharma »). On ne nous refera pas le coup de la grippe H5N1, affirment ces bons esprits. Mais lorsque les uns et les autres se rendront compte qu'eux-mêmes, ou leurs intérêts immédiats, pourraient être victimes du virus, ils changeront de discours.

Pourquoi alors ne pas investir dès maintenant au profit de recherches sur les vaccins les milliards qui seront de toute façon dépensés en conséquence de la pandémie. Les spécialistes répondent que, même si certaines souches vaccinales semblent prometteuses, il faudra de nombreux mois avant de les produire et de les diffuser en quantités industrielles. Vacciner 50 % de la population pourrait suffire à stopper l'épidémie, mais, d'ores et déjà, cela voudrait dire vacciner des millions ou dizaines de millions de personnes dans les pays pauvres, ce qui est impossible, ne fut-ce que par les vaccins ne sont pas encore au point.

Quant à interdire ou fortement limiter les transports aériens, les agents propagateurs de virus les plus actifs, aucun spécialiste ne le conseille. Il en découlerait un blocage généralisé des échanges, dont en tout premier lieu ceux intéressant les personnels de santé. Selon les modèles de propagation du virus établis récemment, les pays les plus à risque sont en le Ghana et la Gambie en Afrique, et la Belgique, la France ainsi que les États-Unis hors Afrique.

Une systémique des virus

Pour en revenir à notre propos initial, concernant la propagation du virus du djihad dans les pays du Moyen-Orient, les spécialistes des épidémies, considérées comme des phénomènes systémiques affectant l'ensemble du monde connecté d'aujourd'hui, pourront faire d'intéressantes études comparatives. Il en sera de même des spécialistes de la mémétique, ayant déjà démontré que les mêmes, qu'ils soient bénéfiques pour la société ou mortels (tel que l'envie d'égorger un prétendu infidèle) se propagent dans les sociétés anthropotechniques selon des modes viraux très voisins de ceux responsables de la grippe, et aujourd'hui d'Ébola. La science a encore beaucoup de choses à apprendre.