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« Les systèmes océaniques courent à leur perte. L'anarchie règne sur les flots. » C'est le constat de la Commission mondiale sur les Océans. Qui a présenté un plan d'action de la dernière chance.

En 1950, Rachel Carson devient célèbre en publiant son best-seller Cette mer qui nous entoure qui se vendit à plus d'un million d'exemplaires aux États-Unis et fut traduit dans une trentaine de langues (1). Il s'agissait pour la biologiste marine, dont on retient aujourd'hui surtout l'ouvrage Printemps silencieux (1962) dénonçant les pesticides, de présenter au grand public l'état des connaissances sur les merveilles de l'océan.

En 1950 donc, nulle trace dans son livre de l'impact de l'homme sur les océans : leur exploitation industrielle commençait à peine. Certes, les baleines franches européennes n'étaient plus qu'un souvenir et les baleines grises disparaissaient des côtes pacifiques. La pression de la chasse avait également déjà causé la disparition de l'énorme rhytine de Steller ou du grand pingouin. Mais pour l'essentiel, l'océan paraissait alors encore à la fois inconnu et inexploité.

« Aujourd'hui », nous dit le rapport de la Commission mondiale sur les Océans (2), « il n'existe pratiquement plus aucun endroit que les navires de pêche industrielle ne puissent atteindre, les forages pétroliers et gaziers offshore se font toujours plus loin et plus profond chaque année et l'extraction de ressources minérales des fonds marins est en passe de devenir réalité. » La Commission était co-présidée par José Maria Figueres (ancien président du Costa Rica), Manuel Trevor (ministre d'Afrique du Sud) et David Miliband (ancien ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni).

L'état des lieux

Où en sommes-nous ? L'océan représente 72 % de la surface planétaire et plus de 90 % du volume de l'habitat disponible pour le monde vivant (3).

L'océan touché par la crise climatique

L'océan mondial produit aussi presque la moitié de tout l'oxygène que nous respirons et absorbe plus d'un quart du dioxyde de carbone que nous émettons dans l'atmosphère. Plus de 90 % de la chaleur piégée dans le système de la Terre est emmagasinée dans l'océan nous dit la Commission, permettant ainsi d'amortir les impacts du changement climatique à terre ; mais cela présente aussi des conséquences alarmantes sur la vie de l'océan et constitue « le plus grand désastre environnemental invisible de notre temps ».

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© Domaine public, Bob Williams / Domane public, C. Ortiz RojasInterdire la pêche industrielle en haute mer augmenterait d’un tiers les prises de poisson.
L'augmentation de la température des océans a par exemple pour conséquence d'une part le déplacement des espèces et d'autre part la réduction du taux d'oxygène dissous et donc la diminution de la taille moyenne des poissons, de 14 % à 24 % entre 2000 et 2050. Ces effets combinés conduiraient à eux seuls à une diminution des prises de poissons jusqu'à 50 %. (4)

Notons quelques effets systémiques. L'augmentation de la teneur en CO2 de l'atmosphère a pour conséquence l'acidification des océans et des changements sans précédent de ses conditions chimiques et physiques : « C'est la vie même de l'océan mondial, depuis le plus petit des phytoplanctons jusqu'à la plus grosse des grandes baleines, qui est touchée. »

Pétrole et gaz off-shore

Les chiffres fournis par la Commission sont impressionnants : aujourd'hui, le quart du gaz naturel consommé dans le monde provient de zones sous-marines. Pour le pétrole, cette proportion s'élève déjà au tiers. Le forage off-shore descendait à 300 mètres de profondeur en 1970, à 1500 mètres en 1986 et plus de 3 000 mètres aujourd'hui. La Commission rappelle les ravages des marées noires mais se contente de formuler le souhait de normes plus strictes.

La haute mer

La « haute mer », c'est-à-dire la portion de mer hors des eaux nationales, représente 64 % des mers et océans. Le principe de « la liberté de la haute mer » garanti par la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer est à l'évidence inadapté aujourd'hui.

Comme le déclare Trevor Manuel, coprésident de la Commission : « En l'absence d'une gouvernance adéquate, une minorité continuera à abuser de la liberté en haute mer, à piller les richesses qui se trouvent sous sa surface, à prélever une part non équitable et à en tirer profit aux dépens du reste du monde, en particulier des plus pauvres. »

L'état des populations de poisson

Le hareng Clupea harengus était autrefois si répandu que des écrits du XVIIIe siècle comparent les bancs de harengs à des îles mouvantes, certains allant même jusqu'à s'inquiéter d'une « solidification » des océans en raison de leur prolifération. Aujourd'hui, ses populations se sont effondrées. (5)

De façon générale, 98 populations de poissons de l'Atlantique Nord ont chuté de 65% par rapport à leurs niveaux historiques, et de 80 % pour 28 populations ! (6)

Supprimer la pêche illégale

La Commission propose la suppression de la pêche illégale, tolérée aujourd'hui, alors qu'elle représente 18 % des prises mondiales.

Supprimer les subventions à la pêche hauturière

La Commission propose aussi de supprimer en cinq ans les trente milliards de dollars de subventions gouvernementales annuelles à la pêche en haute mer, pêche pratiquée par seulement dix pays. Sans ces subventions dit la Commission, la pêche en haute mer ne serait pas rentable !

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© Domaine public, Bob Williams / Domane public, C. Ortiz RojasEn 1950, seul 1% de la haute mer était exploité.
Supprimer la pêche industrielle en haute mer

La dernière proposition de la Commission est la plus spectaculaire : interdire purement et simplement la pêche industrielle en haute mer.

Pour la Commission, qui va sur ce point plus loin que beaucoup d'ONG, les prises en haute mer représentent seulement 10 millions de tonnes sur un tonnage total de 70 millions et seulement 1 % des bateaux de pêche soit 43 000 sur un total de 4,3 millions de bateaux.

La Commission précise que seul 1 % des espèces sont pêchées exclusivement en haute mer, et 57 % des espèces sont pêchées dans les Zones économiques exclusives (ZEE) sur lesquelles l'État côtier est souverain, c'est à dire la zone maritime située à moins de 200 miles (370 km) des côtes. 42 % des espèces sont pêchées à la fois en ZEE et en haute mer.

Mais la protection de la haute mer permettrait aux populations de poissons d'augmenter de 150 %, ce qui permettrait aux pêcheurs eux-mêmes d'augmenter de 30 % leurs prises et de doubler ainsi leurs bénéfices !

L'ONU saisi à l'automne 2014

Un groupe de travail ouvert de trente membres de l'Assemblée générale de l'ONU prépare une proposition pour faire de ce programme un programme de l'ONU. Cette proposition sera présentée à l'Assemblée générale à l'automne 2014... Affaire à suivre.

Notes :

(1) The Sea around us, Oxford University Press, 1950 traduit en français sous le titre Cette Mer qui nous entoure (Stock, 1952) et sous le titre La Mer autour de nous (Wildproject, 2012).

(2) www.globaloceancommission.org

(3) Philippe Goulletquer et al., Biodiversité en environnement marin, Quae, 2013, p. 16.

(4) Collectif de chercheurs du CNRS, Mondes marins, Le Cherche-Midi, 2014, p. 117-120.

(5) Stéphan Beaucher, Plus un poisson d'ici trente ans ?, Les Petits Matins, 2011.

(6) Mondes marins, op. cit., p. 18.