Traduction : Résistance 71

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Excellente analyse de John Pilger. Mettre en parallèle Pol Pot et les Khmers Rouges et l'EIIL/EI tous financés et soutenus par Washington et l'empire est très pertinent. Il est impératif de voir le documentaire de Pilger sur l'affaire Khmers Rouges qu'il traite la première fis dans son documentaire toujours interdit au pays du goulag levant: « Cambodia Year Zero ». S'il a couvert un grand nombre de sujet, il est un grand spécialiste des génocides du Cambodge et d'Indonésie, qui vit deux génocides, celui contre les communistes de Suharto dans les années 1965-66 et celui plus récent du Timor Oriental.
Résistance 71.


En transmettant les ordres de Richard Nixon pour un bombardement massif du Cambodge en 1969, Henry Kissinger déclara : "Tout ce qui vole sur tout ce qui bouge". Alors que Barack Obama initie sa 7ème guerre contre un pays musulman depuis qu'il a reçu le Prix Nobel de la Paix, l'hystérie orchestrée et les mensonges nous rendent presque nostalgiques de l'honnêteté meurtrière d'un Kissinger.

En tant que témoin des conséquences humaines de la sauvagerie aérienne, incluant la décapitation de victimes, les parties de leurs corps tapissant les arbres et les champs, je ne suis pas du tout surpris du manque d'attention à la mémoire et à l'histoire, une fois de plus. Un exemple flagrant demeurant la montée au pouvoir de Pol Pot et de ses Khmers Rouges, qui avaient beaucoup en commun avec ce qu'est aujourd'hui l'État Islamique (EI) ou EIIL. Eux aussi étaient des médiévaux sans pitié qui ont commencé comme une petite secte. Eux aussi, furent le produit d'une apocalypse made in USA, cette fois-ci en Asie.

D'après Pol Pot, son mouvement consistait en "moins de 5000 guerilleros pauvrement armés, incertains au sujet de leur stratégie, de leurs tactiques, de leur loyauté et de leurs chefs." Une fois que les B52 de Nixon et de Kissinger furent à l'œuvre dans leur "Operation Menu", le démon ultime de l'Occident ne pouvait pas croire en sa chance.

Les Américains ont largué l'équivalent de 5 fois Hiroshima sur le Cambodge rural entre 1969 et 1973. Ils ont nivelé village après village, retournant pour rebombarder les ruines et les cadavres. Les cratères laissèrent d'énormes colliers de carnage, toujours visibles depuis les airs. La terreur fut inimaginable. Un ancien officiel Khmer Rouge décrivit comment les survivants "se figeaient et déambulaient alentours sans voix pendant 3 ou 4 jours. Terrifiés, à moitié fous, les gens étaient prêts à croire ce qu'on leur disait... Ceci rendit les choses bien plus facile pour les Khmers Rouges de gagner les gens à leur cause."

Une commission d'enquête gouvernementale finlandaise estima que 600 000 Cambodgiens périrent dans la guerre civile qui s'ensuivit et décrivit les bombardements américains comme étant "la première étape d'une décennie de génocide". Ce que Nixon et Kissinger avait commencé, Pol Pot, leur bénéficiaire, l'acheva. Sous leurs bombes, les Khmers Rouges devinrent une formidable armée de plus de 200 000 hommes.

L'EIIL a un passé et un présent similaires. Par des études scientifiques, il a été établi que l'invasion de l'Irak par Bush et Blair de 2003 a coûté la vie à quelques 700 000 personnes et ce dans un pays qui n'a absolument aucune histoire de djihadisme. Les Kurdes ont passé des accords territoriaux et politiques, les Sunnites et les Chii'ites avaient des différences sectaires et de classe, mais ils étaient en paix, le mariage inter-communautaire était chose assez courante. Trois ans avant l'invasion, j'ai conduit à travers l'Irak sans aucune crainte de quoi que ce soit. En route, j'ai rencontré des gens fiers plus que tout d'être irakiens, les héritiers d'une civilisation qui semblait être, pour eux, une présence (NDT: La Mésopotamie).

Bush et Blair ont fait éclater tout cela. L'Irak est maintenant un nid du djihadisme. Al Qaïda, comme les "djihadistes" de Pol Pot, a saisi une opportunité donné par le massacre de l'opération "choc et stupeur" et de la guerre civile qui s'en est suivie. La Syrie "rebelle" a même offert de plus grandes récompenses, avec sa litanie d'armes fournies par la CIA et les états du Golfe, la logistique et l'argent passant par la Turquie. L'arrivée de recrues étrangères était inévitable. Un ancien ambassadeur britannique, Oliver Miles, a écrit récemment: "Le gouvernement de Cameron semble suivre l'exemple de Tony Blair, qui a constamment ignoré les conseils de son ministère des affaires étrangères, du MI5 (NdT: l'équivalent britannique de la DCRI) et du MI6 (NdT: équivalent britannique de la DGSE) disant que notre politique moyen-orientale et en particulier dans les guerres du Moyen-Orient, a été le directeur principal du recrutement des musulmans en Grande-Bretagne pour le terrorisme ici."

L'EIIL est la progéniture de ceux à Washington et à Londres qui, en détruisant l'Irak à la fois comme état et comme société, ont conspiré à commettre un crime épique contre l'humanité. Tout comme Pol Pot et les Khmers Rouges, l'EIIL est la mutation d'un état de terreur occidental dispensé par un empire élitiste vénal qui ne se soucie pas des conséquences d'actions prises à de grandes distances culturelles. Leur culpabilité est inénarrable dans "nos" sociétés.

Il y a 23 ans que cet holocauste a engouffré l'Irak, immédiatement après la première guerre du Golfe de 1991, lorsque les États-Unis et la Grande-Bretagne ont pris le conseil de sécurité des Nations-Unies en otage et ont imposé des "sanctions" punitives sur l'Irak et sa population, ironiquement renforçant ainsi l'autorité domestique de Saddam Hussein. Ce fut comme un siège médiéval. Pratiquement tout ce qui soutenait un état moderne fut, dans le jargon, "bloqué", du chlore pour assainir l'eau aux crayons pour les écoles en passant par les pièces détachées pour réparer les machines à rayon-X des hôpitaux, les anti-douleurs de base et les médicaments pour combattre des cancers jusqu'alors inconnus et provenant des poussières des champs de bataille du sud contaminées à l'uranium appauvri des munitions tirées.

Juste avant Noël 1999, le ministère du Commerce et de l'Industrie à Londres avait restreint l'exportation de vaccins qui devaient protéger les enfants irakiens contre la diphtérie et la fièvre jaune. Kim Howells, parlementaire et sous-secrétaire d'état du gouvernement de Blair expliqua pourquoi: "Les vaccins pour les enfants", avait-il dit, "pouvaient être utilisés comme arme de destruction massive". Le gouvernement britannique pouvait s'en sortir avec un tel mensonge parce que les médias rapportaient sur l'Irak, la très vaste majorité des informations étaient manipulées par le ministère des affaires étrangères, blâmant Saddam Hussein pour tout et n'importe quoi.

Sous un programme humanitaire totalement bidon de pétrole contre nourriture, 100 US$ furent alloués pour chaque Irakien pour vivre pendant un an. Ceci devait payer pour l'infrastructure entière du pays et ses services essentiels comme l'électricité et l'eau. L'assistant secrétaire général de l'ONU Hans Von Sponeck me dit alors: "Imaginez de comparer cette pitance avec le manque d'eau potable et le fait que la majorité des personnes malades ne peuvent pas payer pour se faire soigner et vous avez là un aperçu du cauchemar et ne vous y trompez pas, ceci est tout à fait délibéré. Je n'ai pas voulu employer le mot génocide dans le passé mais là... c'est inévitable."

Dégoûté, Von Sponeck démissionna de son poste de coordinateur humanitaire pour l'ONU en Irak. Son prédécesseur, Denis Halliday, un tout aussi distingué sénior official de l'ONU, avait lui aussi démissionné. "Je fus instruit", avait dit Halliday, "de mettre en application une politique qui satisfaisait la définition de génocide : une politique délibérée qui a tuée effectivement bien plus d'un million d'individus, adultes et enfants."

Une étude de l'UNICEF avait trouvé qu'entre 1991 et 1998, au faîte du blocus, il y avait plus de 500 000 enfants qui perdirent la vie, enfants sous l'âge des 5 ans. Une journaliste de télévision américaine avait demandé à Madeleine Albright, ambassadrice des États-Unis à l'ONU si "le prix en valait la peine", Albright avait répliqué: "Nous pensons que le jeu en valait la chandelle".

En 2007, le haut fonctionnaire britannique responsable de ces sanctions, Carne Ross, aussi connu sous le sobriquet de "Mr Irak", a dit à un comité parlementaire: "Les gouvernements britannique et américain ont effectivement refusé à la population irakienne ses moyens de subsistance." Quand j'ai interviewé Carne Ross trois ans plus tard, il était dévoré de regrets, de remords et de contrition. "J'ai grande honte", a t'il dit. Il est aujourd'hui un des très rares diseurs de vérité sur le comment les gouvernements mentent et comment des médias complices et asservis jouent un rôle critique dans la dissémination et le maintien de la tromperie. "Nous fournissions aux journalistes des factoïdes de renseignement complètement aseptisés, ou nous les gelions," a t'il dit.

Ce 25 Septembre, un titre du quotidien The Guardian lisait: "Devant l'horreur de l'EIIL nous devons agir". Ce "nous devons agir" est un fantôme qui se lève, un avertissement de la suppression de la mémoire informée, des faits, des leçons apprises et des regrets ou de la honte. L'auteur de cet article est Peter Hain, l'ancien ministre des affaires étrangères responsable de l'Irak sous Blair. En 1998, quand Denis Halliday avait révélé l'extension de la souffrance en Irak pour laquelle le gouvernement de Blair partageait la responsabilité primaire, Hain l'agressa sur un programme de la BBC Newsnight comme étant un apologiste de Saddam Hussein. En 2003, Hain soutint l'invasion de l'Irak par Blair sur la base de mensonges absolument transparents et éhontés. Dans une réunion du parti travailliste, il minimisa l'invasion comme n'étant qu'un "fait sans grande importance".

Maintenant le même Hain demande des "frappes aériennes, de drones, de l'équipement militaire et autres soutiens logistiques" pour ceux devant faire face "au génocide en Irak et en Syrie". Ceci poussera plus avant "l'impératif d'une solution politique", Obama a la même chose en tête lorsqu'il lève ce qu'il appelle des "restrictions" sur les bombardements et les attaques de drones. Ceci veut dire que des missiles et des bombes de 250kg peuvent pulvériser les maisons de paisibles paysans, comme ils le font sans restriction au Yémen, au Pakistan, en Afghanistan, en Somalie, comme ils le firent au Cambodge, au Vietnam, et au Laos. Le 23 septembre, un missile de croisière Tomahawk a touché un village de la province de Idlib en Syrie faisant 12 morts chez les civils, incluant des femmes et des enfants. Aucun d'eux n'agitaient un drapeau islamiste.

Le jour de la publication de l'article de Hain, Denis Halliday et Hans Von Sponeck se trouvaient à Londres et vinrent me visiter. Ils n'étaient pas choqués par l'hypocrisie létale d'un politicien, mais se lamentaient de la persistance presque inexplicable de l'absence de diplomatie intelligente pour la négociation d'un semblant de trêve. A travers le monde, de l'Irlande du Nord au Népal, ceux se regardant l'un l'autre comme terroristes et hérétiques se sont rencontrés face à une table, pourquoi pas en Irak et en Syrie.

Comme ébola venant d'Afrique de l'Ouest, un virus appelé "guerre perpétuelle" a traversé l'Atlantique. Lord Richards, jusqu'à récemment le chef de l'armée britannique, veut des "bottes sur le terrain" maintenant. Il y a un verbiage presque sociopathe provenant de Cameron, d'Obama et de leur "coalition des volontaires", notablement le bizarrement agressif australien Tony Abbott, alors qu'ils prescrivent tous toujours plus de violence venant de 10km de haut sur des endroits où le sang d'aventures ultérieures ne sèche jamais. Ils n'ont jamais vu de bombardement et apparemment ils en raffolent, tant et si bien qu'ils veulent renverser leur seul allié de choix potentiel, la Syrie. Rien de nouveau, comme l'illustre cette note de renseignement anglo-américaine fuitée:

"Afin de faciliter l'action des forces libératrices (sic)... un effort spécial doit être fait pour éliminer certains individus clé et de procéder à des perturbations internes en Syrie. La CIA est préparée, et le SIS (MI6) tentera de monter des sabotages mineurs et des incidents (sic) en coup de main en Syrie, en travaillant avec des contacts sur place... Un nécessaire degré de peur... des escarmouches de frontières donneront le prétexte à une intervention... La CIA et le SIS devront utiliser... leurs capacités à la fois dans les domaines psychologiques et d'action pour faire augmenter la tension."

Ceci fut écrit en 1957, bien que cela aurait pu l'avoir été hier. Dans le monde impérialiste, rien d'essentiel ne change. L'an dernier, l'ancien ministre des affaires étrangères français Roland Dumas a révélé que "deux ans avant le printemps arabe", on lui dit à Londres qu'une guerre contre la Syrie était planifiée. "Je vais vous dire quelque chose", a t'il dit dans un entretien avec la chaîne française LPC, "J'étais en Angleterre deux ans avant que les violences en Syrie n'éclatent. J'y ai rencontré des hauts fonctionnaires britanniques qui ont confessé alors, qu'ils préparaient quelque chose en Syrie... La Grande-Bretagne préparait l'invasion de rebelles en Syrie. Ils m'ont même demandé si je voulais faire partie de cela, alors même que je n'étais plus ministre des AE... Cette opération est planifiée de longue durée, elle a été soigneusement préconçue, préparée, plannifiée."

Les seuls opposants efficaces à l'EIIL sont les démons accrédités de l'occident: la Syrie, l'Iran et le Hezbollah. L'obstacle est la Turquie, un allié, membre de l'OTAN, qui a conspiré avec la CIA, le MI6 et les médiévaux du Golfe pour fournir et diriger tout soutien nécessaire aux "rebelles" syriens, incluant ceux qui s'appellent maintenant EIIL ou EI. Soutenir la Turquie dans sa longue ambition régionale de domination en renversant le gouvernement Al - Assad pointe vers une grosse guerre conventionnelle et le démembrement horrible des divers états ethniquement disparates au Moyen-Orient.

Une trêve, même difficile à obtenir, est la seule sortie de ce casse-tête impérialiste, sinon les décapitations vont continuer. Que de véritables négociations avec la Syrie devraient être vues comme "moralement questionables" comme le dit le Guardian, suggère que les assomptions de supériorité morale parmi ceux qui ont soutenu la guerre criminelle de Blair, demeurent non seulement absurdes, mais dangereuses.

Avec une trêve, il devrait aussi y avoir une cessation immédiate des envois de matériels de guerre à Israël et la reconnaissance de l'état palestinien. L'affaire de la Palestine est la blessure ouverte la plus importante de toute cette région et la justification de la montée de l'extrémisme islamiste. Ben Laden l'avait dit clairement. La Palestine offre l'espoir. Donnez justice aux palestiniens et vous verrez le monde commencer à changer autour d'eux.
Il y a plus de 40 ans, le bombardement du Cambodge par Nixon-Kissinger a ouvert la vanne d'un torrent de souffrance duquel ce pays n'a jamais récupéré, La même chose est vraie du crime de Blair-Bush en Irak. Avec un timing impeccable, le dernier tome d'auto-satisfaction de Kissinger vient juste de paraître avec son titre satirique "World Order". Dans une critique cirage de pompes, Kissinger est décrit comme "le façonneur d'un ordre mondial qui est resté stable pendant un quart de siècle". Allez dire cela aux peuples du Camboge, du Vietnam, du Laos, du Chili, du Timor Oriental et à toutes les autres victimes de son "art d'état". Ce n'est que lorsque "nous" reconnaissons les criminels de guerre en notre sein que le sang commence à sécher.