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Dans le concert des réactions qui ont suivi la mort de Rémi Fraisse, une question a brillé par son absence : celle de la légitimité de l'emploi de grenades offensives, capables d'infliger des blessures mortelles, par des gendarmes contre des manifestants désarmés et pacifiques. Que personne ne s'offusque de l'usage d'une arme de guerre en temps de paix contre des opposants politiques en dit long sur la banalisation de la répression policière, y compris dans ses aspects les plus violents. Le traité de Lisbonne qui légalise le meurtre de manifestants n'avait, il est vrai, suscité pas davantage de réactions. Aujourd'hui, le pouvoir politique peut tuer légalement, le ministre de l'Intérieur a lui-même concédé qu'il ne s'agissait pas d'une bavure. Mais le meurtre pour l'exemple est un choix politique risqué : loin de faire reculer la contestation, il peut au contraire l'amplifier. Ce drame en rappelle inévitablement un autre, celui du manifestant Malik Oussekine battu à mort par la police le 6 décembre 1986. Son décès avait alors contribué à précipiter la défaite du gouvernement de l'époque : politique (le projet de loi Devaquet avait été ajourné) puis électoral (Mitterrand avait été largement (ré)élu en 1988, mettant un terme au gouvernement de cohabitation). Si les deux « drames » ne sont pas totalement comparables - dans le cas de Malik Oussekine il s'agissait véritablement d'une bavure - la sanction politique pourrait bien être à nouveau au rendez-vous...
Les commentaires politiques du « drame » de Sivens ne ménagent aucune surprise : le FN, la FNSEA et la droite mettent en cause les écologistes et les casseurs, la gauche temporise, la gauche de la gauche réclame la démission du ministre de l'Intérieur. Cette dernière option serait en effet le minimum mais c'est oublier que Cazeneuve, à qui Manuel Valls a d'ailleurs apporté tout son soutien, assume totalement cet acte - le gendarme ayant lancé la grenade n'a même pas été suspendu - et a au passage interdit toute manifestation de soutien au jeune manifestant tué. Il n'a, de fait, aucune intention de partir. Et pour cause...

La mort de Rémi Fraisse, âgé de 21 ans, marque sans doute un tournant dans les politiques de répression de la contestation sociale. L'oligarchie au pouvoir en France et ailleurs en Europe est de plus en plus fragilisée par une opposition grandissante aux politiques qu'elle tente d'imposer par la force. Comment faire pour contraindre la majorité à des conditions de vie de plus en plus dégradées pour le seul bénéfice d'une minorité ? Le (feu) Traité constitutionnel européen puis le traité de Lisbonne lui donnent des nouvelles armes pour briser la résistance des peuples : le droit d'infliger purement et simplement la mort aux émeutiers : « La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire : pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ; pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ; pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection » (article 2 - 2 de la Convention européenne des droits de l'homme) et « Un Etat peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ; une telle peine ne sera appliquée que dans les cas prévus par cette législation et conformément à ses dispositions » (article 2 du protocole n°6 annexé à la CEDH).

De ce point de vue, le meurtre de Rémi Fraisse pourrait constituer une expérience destinée à tester la réaction de la population vis-à-vis de ces nouvelles méthodes de répression qui relèvent davantage de la politique des dictatures que celle des « démocraties » occidentales. Il s'agirait véritablement d'un tournant. La complaisance des médias dominants et de l'ensemble des responsables politiques (extrême-gauche exclue), leur soutien de principe au gouvernement et à son ministre de l'Interieur, montre qu'elles ont toutes les chances de devenir la norme dans un avenir proche.