Image
Le premier ministre Stephen Harper et le gouvernement canadien utilisent la fusillade sur la colline du Parlement pour justifier l'imposition de mesures de surveillance et de détention qu'ils étaient déjà en train de mettre en oeuvre.


Commentaire : Quel synchronicité !


Le 22 octobre 2014, Michael Zehaf-Bibeau (né Michael Joseph Hall), un homme armé agissant seul et originaire de Laval au Québec, a ouvert le feu dans le centre-ville d'Ottawa, la capitale du Canada.

On a d'abord rapporté qu'il y avait une fusillade au Centre Rideau situé tout juste au nord du quartier général de la Défense nationale, de l'autre côté du pont Mackenzie-King. On a su par la suite que cette information était fausse ou erronée. Le tireur avait tué un réserviste devant le Monument commémoratif de guerre pour ensuite se diriger au nord vers la colline du Parlement.

Puis, on a rapporté qu'il y avait plusieurs tireurs. Tous les employés gouvernementaux se sont donc vu interdits d'entrer ou de sortir des immeubles dans toute la région interprovinciale de la capitale nationale, incluant la ville de Gatineau. Si les autorités policières ont bien fait de prendre des mesures de précaution pour s'assurer qu'il n'y ait pas d'autres tireurs et ont refusé de donner des explications, le public était porté à croire qu'il y avait plusieurs tireurs. Cela a permis aux autorités policières de justifier le confinement et d'interdire la mobilité des personnes pendant plusieurs heures.

Plusieurs questions demeurent par ailleurs sans réponse. Le réseau NBC News rapportait le 8 octobre 2014 que des porte-paroles des services de renseignement étasuniens leur avaient confié « que les autorités canadiennes avaient entendu dire que des terroristes en herbe discutaient de possibles attentats au « couteau et à l'arme de poing » » au Canada. Les représentants canadiens n'ont toutefois pas tenu compte du rapport. Le renseignement étasunien savait-il quelque chose que sa contrepartie canadienne ne savait pas ? Comment expliquer ces contradictions ?

Voici une autre question importante : comment un homme armé qui avait déjà commencé un carnage a-t-il pu se rendre jusqu'à l'intérieur de l'édifice du Centre du Parlement canadien sans entrave ? Quiconque est allé sur la colline Parlementaire sait qu'il y a une forte présence armée dans tout le secteur, surtout à l'entrée et aux portes de l'édifice. La sécurité est assurée par la police nationale du Canada (la Gendarmerie royale du Canada), la police municipale (les Services de police de la Ville d'Ottawa) et deux services de sécurité fédéraux (les Services de sécurité de la Chambre des communes et le Service de sécurité du Sénat).


En outre, s'il est vrai qu'il était en contact avec des groupes terroristes, comment communiquait-il avec eux ?

Fabrication d'un portrait : les liens entre le discours médiatique et les politiques gouvernementales

Le cas de Martin Couture-Rouleau vient compliquer l'affaire. Couture-Rouleau est un Québécois devenu musulman en 2013. Il a délibérément happé deux soldats canadiens à Saint-Jean-sur-Richelieu au Québec le 20 octobre 2014. Un des deux soldats est décédé par la suite.

À la suite de son délit de fuite, Couture-Rouleau a été poursuivi par la police puis abattu. Bien que le meurtre et le délit de fuite à Saint-Jean-sur-Richelieu soit un acte criminel, il a été présenté comme un acte terroriste lié à la participation du Canada aux combats au Moyen-Orient.

Même si les attentats de Saint-Jean-sur-Richelieu et d'Ottawa n'ont aucun rapport entre eux et ne s'inscrivent pas dans un effort coordonné, on les a quand même reliés. L'attaque suivie du délit de fuite a été ajoutée au récit d'Ottawa le 22 octobre afin de construire l'image d'une bataille en bonne et due forme. Cela relève de ce que les sociologues appellent une panique morale.

Quel était précisément le motif du tireur à Ottawa ? Michael Zehaf-Bibeau ne semble pas avoir fait partie d'un complot contre le Canada ourdi par le soi-disant État islamique en Irak et au Levant (EIIL). Il avait un dossier criminel et semblait son état psychologique semblait se détériorer en raison d'un utilisation accrue de narcotiques. Il souffrait d'hallucinations, consommait des drogues dures et sa conversion à l'Islam était relativement récente. Selon les informations de ses connaissances, il se sentait harcelé par « le gouvernement » qui ne le laissait pas tranquille. Cette colère pouvait être liée à la présence de travailleurs sociaux et d'agents de libération conditionnelle dans sa vie et au sentiment étouffant d'être pris dans une spirale descendante.

Michael Zehaf-Bibeau logeait depuis deux à quatre semaines à la Mission Ottawa, un centre pour sans-abri. Avant les événements du 22 octobre, il a dit à des gens au centre pour sans-abri de prier parce que la fin du monde s'en venait. Dans ce contexte, il est important de se poser la question : comment un homme avec des problèmes de santé mentale logeant à la Mission Ottawa, un centre pour sans-abri, fait-il pour obtenir une arme ?

Or, Michael Zehaf-Bibeau a cependant été dépeint à différents degrés comme un membre du groupe armé État Islamique, ce qui a permis à des acteurs sociaux, que les sociologues appellent « entrepreneurs de morale », de soutenir la prétention que les Canadiens sont menacés par le groupe État Islamique. L'objectif des entrepreneurs de morale est de changer les normes sociales, les valeurs, les lois et les règlements. Dans le cas présent les ces entrepreneurs veulent faire passer un programme de sécurité.

Alors que le tireur était un Québécois ayant adopté le nom de famille de son beau-père arabo-canadien et le nom de fille de sa mère et qu'il ait été catholique durant la majeure partie de sa vie, (fervent catholique au départ et puis ayant abandonné la pratique avec le temps), on l'a présenté bien différemment. Dès le début on lui a tacitement attribué une personnalité arabe ou musulmane. Même une fois son identité reconnue, on a insisté pour présenter son beau-père arabo-canadien comme étant son père biologique. L'adoption du nom de famille arabe a été tacitement présentée comme le signe d'une identité musulmane, bien qu'il ait été chrétien au moment du changement de nom, effectué pour des raisons légales.

La façon dont les médias ont d'emblée présenté Zehaf-Bibeau est très révélatrice. Ils ont utilisé l'expression « un homme né au Canada ». C'est un langage trompeur et cette façon de faire doit être examinée de près. Lorsque l'on dit d'une personne qu'elle est « née au Canada », on laisse entendre qu'elle n'est pas vraiment canadienne, elle est juste née au Canada. Quand on parle ainsi d'un citoyen canadien on le dépouille de son identité canadienne et on le définit comme « l'autre », comme un étranger qui n'appartient pas à la collectivité.

La réaction médiatique

Beaucoup de Canadiens sont fiers de la réaction de leurs médias et aiment le contraster avec le sensationnalisme des médias étasuniens. Bien que les médias au Canada soient beaucoup plus calmes que ne l'auraient été les médias étasuniens dans des circonstances semblables aux États-Unis, ils ont quand même créé une charge émotive en décrivant la situation comme si Ottawa était assiégée. On a vu des titres comme « Ottawa attaquée ». Les Ontariens craignaient littéralement que le groupe armé État islamique attaque les frontières canadiennes.

Les médias se sont livrés toute la journée à des conjectures sur des liens possibles avec ce qui se passe au Moyen-Orient. Quand le premier ministre Harper a pris la parole en soirée, il est clair qu'il voulait lier les événements de la journée à ce qui se passe au Moyen-Orient et à une menace terroriste pour justifier les mesures de sécurité qu'il compte imposer.

La couverture médiatique, le confinement massif dans le cœur du centre-ville d'Ottawa et les mesures nationales prises par le gouvernement fédéral ont créé une certaine panique à Ottawa et chez tous les Canadiens. Dans ces conditions, les gens peuvent agir de façon imprévisible ou anormale et ils sont prêts à faire des concessions qu'ils ne feraient pas normalement au gouvernement. Autrement dit, lorsque la société est prise par la peur, de nombreux citoyens sont disposés à renoncer à leurs libertés civiles et à s'en laisser retirer par les autorités.

Image
Les nouvelles normes et l'érosion des libertés civiles

Lorsque le Centre Rideau a été pris d'assaut par des voleurs armés en 2003 et que la moitié des patrouilleurs de la police locale s'était lancée à la poursuite de deux d'entre eux qui s'étaient échappés, on n'a pas constaté ce genre de panique et les médias n'y ont pas porté autant d'attention. On pourrait très bien soutenir que le danger était beaucoup plus grand même si une institution nationale importante n'était pas attaquée.

Légalement, Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf-Bibeau sont des meurtriers. Au lieu de les traiter comme des criminels, on a utilisé le terme « terroriste », contenant une charge politique et psychologique évidente. Toutes les lois nécessaires pour juger ces criminels existent déjà au Canada, mais on instaure de nouvelles lois pouvant potentiellement être utilisées contre des dissidents légitimes s'opposant aux politiques gouvernementales.

De plus, la police se militarise dans le nouveau contexte de la lutte au terrorisme. Le lendemain de l'attentat sur la colline du Parlement, le 23 octobre, la forte réaction de la police - lorsqu'un itinérant a traversé un cordon de sécurité - témoigne d'un changement dans les habitudes et des tensions chez les policiers d'Ottawa. Les mesures que le gouvernement Harper désire normaliser comprennent également le contrôle et la censure d'Internet, le retrait inconstitutionnel et illégal de la citoyenneté et le retrait des droits de mobilité accordés par la Charte canadienne des droits et libertés. Cette mesure est déjà en vigueur avec la confiscation de passeports.

Tous les Canadiens ont le droit de quitter le Canada et d'y revenir librement, à moins d'avoir commis une offense de nature criminelle. Le gouvernement veut s'arroger le pouvoir de retirer les passeports au moindre doute de méfait, sans preuve. Dans le cas de Martin Couture-Rouleau, son passeport a été confisqué lorsqu'il a voulu se rendre en Turquie en juin ou juillet 2014. La police ne pouvait pas le mettre en état d'arrestation à cause de ses idées. « Nous ne pouvons pas arrêter quelqu'un parce qu'il a des idées radicales. Ce n'est pas un crime au Canada », a dit la cheffe de la GRC Martine Fontaine en conférence de presse le 21 octobre 2014.

La position de la GRC en dit long sur le but du nouveau programme sécuritaire gouvernement Harper : il veut pouvoir arrêter des gens pour leurs idées.

Révocation de la citoyenneté ?

Flirter avec l'idée de révoquer la citoyenneté est encore plus dangereux. On établit déjà des précédents inconstitutionnels à cet effet dans les pays de la soi-disant coalition occidentale, lesquels parlent constamment au nom de la démocratie, mais se tiennent aux côtés de dictatures comme l'Arabie saoudite, le Bahreïn, la Jordanie et le Qatar. Par exemple, en 2012 le Parlement britannique a révoqué la citoyenneté d'Asma el-Assad, pourtant née en Grande-Bretagne, seulement parce qu'elle est l'épouse du président syrien Bachar Al-Assad.

Le système judiciaire canadien ne traite pas tout le monde de façon égale et tous ne sont pas égaux devant les tribunaux. Les non-citoyens sont désavantagés par rapport aux citoyens canadiens. Dans ce contexte, la menace de révocation de la citoyenneté est vue comme un moyen de contourner les lois et les droits servant à protéger les citoyens canadiens. Sans ces droits, le gouvernement peut détenir une personne pour une période indéterminée et sans accusation, lui intenter un procès devant un tribunal spécial où l'accusé ne connaît pas la preuve contre lui et n'a pas accès à un avocat. C'est ce qui est arrivé à des non-citoyens qui ont été détenus pendant plusieurs années en vertu de certificats de sécurité.

L'idée de retirer la citoyenneté est également une question politique dans la mesure où elle sert à alimenter les préjugés dans certaines sphères de la société dans différents pays xénophobes et qui n'aiment pas certaines couches de la société pour différentes raisons.

Ignorer la source du problème

Selon un vieil adage, la société a tous les criminels qu'elle mérite, c'est-à-dire que dans bien des cas les criminels sont le produit d'un problème structurel de la société.

Ça n'est pas par hasard que Michael Zehaf-Bibeau avait déjà demandé d'être interné pour pouvoir combattre sa dépendance à la cocaïne et au crack. Les deux assaillants consommaient de la drogue et souffraient de problèmes psychologiques qui nécessitaient des soins. Le tireur d'Ottawa avait cherché de l'aide et étouffait de désespoir et de non-appartenance.

Au lieu de regarder à l'étranger et de blâmer des forces extérieures, le Canada doit faire son propre examen de conscience. La source du problème comprend le déclin des services sociaux au Canada qui ont subi les coupures et les mesures d'austérité du gouvernement. En blâmant le groupe armé État islamique et Internet. le gouvernement refuse en même temps de reconnaître son propre échec et la marginalisation d'un grand nombre de citoyens canadiens qui ne reçoivent pas l'aide dont ils ont besoin.

La pente glissante et le sale rôle du gouvernement Harper

On appelle les Canadiens à être vigilants contre la menace terroriste exagérée du groupe armé État islamique. C'est dans ce but que le premier ministre Stephen Harper et son gouvernement font tout pour dépeindre les événements au Canada comme une extension de ce qui se passe au Moyen-Orient. Redéfinir des criminels comme étant des terroristes alimente cette perception. Cependant, les Canadiens et les citoyens des autres pays doivent être vigilants sur la question de leurs droits et libertés obtenus après des siècles de lutte.

Le changement de critère pour l'octroi de la citoyenneté est un sujet différent mais la révocation de la citoyenneté est une pente glissante et dangereuse. Même si l'on affirme que ce genre de mesures sert un intérêt supérieur et la sécurité publique, l'histoire a montré que ce sont souvent d'autres motifs qui président à la suspension des libertés civiles.

En terminant, ceux-là mêmes qui exagèrent aujourd'hui la menace terroriste au Canada sont ceux qui l'ont appuyée à l'étranger. On ne doit jamais oublier que le premier ministre Harper et son cabinet ont appuyé les « terroristes » qu'ils prétendent maintenant combattre. Le gouvernement Harper a tacitement encouragé les Canadiens à aller combattre dans des pays comme la Libye et la Syrie pour appuyer la politique étrangère de changement de régime de Washington. Le Canada a même armé des militants liés à Al-Qaïda en Libye avec des drones et des armes en 2011 et il a également permis à des firmes de sécurité privées (des mercenaires) de les aider. Les gens ne doivent pas négliger ces faits lorsqu'ils se demandent comment aujourd'hui nous en sommes arrivés à cette situation.