Image
© suite101
Les déchets produits par notre activité humaine et industrielle sont la partie peu glorieuse que l'on ne veut pas voir...alors on cache, ou du moins on essaye. Pour y arriver, tous les moyens sont bons, allant de la désinformation aux solutions honteuses, ou illusoires.

Le professeur Henri Augier que j'ai eu l'honneur et le plaisir de rencontrer lors du tournage d'un documentaire de Bernard Mermod sur les tensio-actifs, ces produits qui permettent aux fabricants de lessives de nous vendre le légendaire « plus blanc que blanc » , vient de publier : « Des égouts sous la mer » (édition libre et solidaire).

Ce professeur honoraire, responsable de l'enseignement de la molysmologie (science des pollution) est à juste titre scandalisé du sort que l'on a réservé à la « Grande Bleue »...constatant que les jolis pavillons bleus que l'on attribue à nos « belles plages » sont un leurre, destinés à cacher une triste réalité.

Pour éviter d'être montrés du doigt, les communes riveraines de la Méditerranée ont trouvé la solution : disperser la pollution au large, le plus loin possible des yeux des riverains, grâce à d'énormes tuyaux, (photo) espérant que la mer, par son volume, pourra absorber sans problème ces résidus, alors que certains sont indestructibles, d'autant que, comme il l'écrit, des projets de constructions d'autres émissaires en mer, sont en cours au large des cotes marseillaises, dans les eaux du Parc National des Calanques. photo.

Chaque été, ce sont encore 275 millions de vacanciers qui vont faire trempette en méditerranée, sans se douter de la nature de cette eau. Pour ma part, la dernière fois où je me suis baigné en Méditerranée remonte à très longtemps...c'était au large de Menton, et j'ai eu la désagréable surprise de voir sous mon nez flotter quelque chose qui était apparemment des excréments, probablement humains... de quoi vous dégouter pour longtemps de se baigner en Méditerranée.

Alors bien sur, pour éviter ce genre de rencontre, les élus méditerranéens ont trouvé la parade en délestant le contenu de nos égouts le plus loin possible de la côte...ce qui est interdit par les lois sur l'eau lesquelles préconisent de traiter la pollution à la source, d'autant que comme l'écrit Henri Augier, il est possible aujourd'hui, par des techniques suffisamment performantes, d'épurer à 100% les eaux usées dont la qualité peut atteindre quasi celle de nos eaux potables. Et pourtant, malgré ces lois, aujourd'hui encore, 60 stations d'épuration rejettent leurs déchets nauséabonds et dangereux en pleine mer.

Gaëlle Berthaud, directrice de l'agence de l'eau Paca-Corse, constate que « certains travaux semblent tarder à déboucher » notant « l'émissaire de Cortiou où les rejets de la station d'épuration continuent de couler au cœur des calanques » affirmant paradoxalement que « l'état de la mer est bon... »... L'émissaire de Cortiou (photo) fonctionne depuis 1896, et pour l'instant, personne ne semble décidé à l'arrêter, même si EDF, propriétaire de la calanque de Podestat, en plein cœur du Parc National des Calanques, a décidé de lancer une étude destinée à faire le bilan de la faune et de la flore.

Pour essayer de provoquer un changement une pétition a été lancée au printemps 2014. C'est l'occasion de découvrir le remarquable documentaire de 53 minutes de Valérie Simonet : « Calanque, une histoire empoisonnée », film qui dévoile l'envers d'un décor naturel et sauvage, profondément marqué par l'empreinte dévastatrice d'un million de marseillais.

De plomb à l'arsenic, en passant par les détergents, les métaux lourds, le bilan actuel est lourd. S'y ajoutent les boues rouges, issues de l'usine d'alumine de Gardanne, dont le rejet est autorisé jusqu'à fin 2015, et qui dure depuis 1966, avec la caution d'un certain commandant Cousteau qui avait affirmé qu'il n'y avait pas de dangers. Il s'était largement discrédité en versant des boues rouges dans un aquarium contenant quelques poissons afin de faire croire à l'innocuité de ces produits dangereux.

Pourtant les poissons capturés en mer ont prouvé la présence de mercure et d'arsenic, et si les pécheurs refusent de parler des campagnes de capture auxquelles ils participent : « ce n'est pas contres les journalistes, c'est juste pour éviter les ennuis », avait déclaré l'un d'eux. En attendant, « 20 millions de tonnes de sédiments dangereux se sont accumulés au cœur du parc national des Calanques, sans compter tout ce qui a débordé et s'étale en couche plus ou moins épaisse du golfe de Fos à la rade de Toulon », s'il faut en croire la journaliste Martine Valo.

Au passage il faut signaler que ces boues rouges, comme la bauxaline, concentrent une radioactivité supérieure à la radioactivité naturelle, et sans transition, oublions cette pauvre Méditerranée, et ceux qui y vivent, et allons faire un tour du coté de Bure dans la Meuse, où, avec le projet Cigeo, il est envisagé d'enfouir pour des milliers d'années des futs contenant des déchets nucléaires parmi les plus dangereux.

Là aussi, il s'agit de cacher, non pas au fond de la mer, mais dans le sol, puisque à ce jour, les solutions sont limitées... Certains rêveurs s'étaient amusés à imaginer envoyer ces tonnes de déchets nucléaires dans l'espace, mais on découvre rapidement l'illusion de cette solution. On estime à 700 000 tonnes ces déchets dangereux, et pour l'instant une fusée Ariane ne peut en embarquer plus de 10 tonnes. Chaque vol coutant 160 millions d'euros, il faudrait dépenser plus de 10 000 milliards d'euros pour mettre ces millions de tonnes en orbite, sans oublier le risque d'un lancement raté, provocant la dispersion de tonnes de déchets hautement radioactifs.

Pour l'instant ces déchets sont disséminés aux 4 coins du pays, et si 11 000 containers se trouvent à la Hague, l'ANDRA estime qu'il y en aura 1,8 millions de m3 en 2020. A l'époque, on ne se formalisait pas, et si les anglais ont envoyé 28500 containers au fond de la mer, dont certains fissurés, (alors que leur étanchéité avait été garantie pour 500 ans), larguaient 29 ans après leur dangereuse pollution avec l'impossibilité d'aller les repêcher, la France a envoyé au fond de l'Atlantique 14 000 tonnes de déchets jusqu'en 1983 et 9000 tonnes à l'ouest de la Bretagne en 1969. Les futs fissurés vont continuer de relâcher leur pollution avec la bénédiction des poissons, et les remerciements des consommateurs qui dégusteront ces poissons.

Aujourd'hui, les combustibles usagés de La Hague sont soit dans des piscines, soit stockés sous des hangars, ou en sous sol, dans des containers en attente de solution ignorant délibérément le risque de la chute d'un avion de ligne.

Mais revenons à Bure.

Il s'agit d'enterrer dans une couche d'argilite, à 500 mètres de profondeur, 82 000 m3 des déchets les plus dangereux produits par les 58 réacteurs nucléaires du pays. Au-delà des promesses que les promoteurs du projet d'enfouissement font aux riverains, et dont on peut raisonnablement douter, il y a au moins une question non résolue à ce jour. Le plutonium a une période (ou demi-vie) de 24 000 ans, et le neptunium 237 atteint les 2 millions d'années, sur quel support pourrait-on graver l'information à l'attention de ceux qui vivront sur ce site dans des milliers d'années signalant qu'ils sont dans une zone dangereuse, et qu'il ne faut surtout pas creuser ?

Pour l'instant, la CNDP (commission nationale du débat public) a donné un coup d'arrêt au projet en février dernier, trouvant le délai trop court pour garantir la sûreté de l'installation. Initialement la mise en service devait être programmée pour 2025, et la demande d'autorisation devait être déposée en 2015.

Or la CNDP, par la voix de son président, Christian Leyrit, estime que « on ne peut passer directement du laboratoire à l'exploitation industrielle, sans une phase de démonstration en vrai grandeur ». Aussi judicieuse que soit cette réaction, elle pose la question de cette « phase de démonstration en vrai grandeur », combien faudrait-il d'années pour confirmer l'étanchéité des containers, et la totale sécurité de la solution proposée ? Pour un résultat optimum, il faudrait limiter à 11 kg la matière radioactive, piégée dans une enveloppe de verre, au cœur d'un container en acier inoxydable, ce qui rend illusoire toute solution raisonnable : traiter 700 000 tonnes représenterait plus de 60 millions de containers.

Jacqueline Denis-Lempereur avait étudié diverses solutions dont on découvre la complexité dans le N° 835 de « Sciences & Vie » d'avril 1987. Quant aux opposants, ils s'inquiètent de la décision prise qui correspond pour eux à assouplir le calendrier...pour mieux continuer, alors que la demande d'autorisation a été repoussée à 2017.

Ils ont raison de s'inquiéter car Ségolène Royal, hostile préalablement au projet, a, par un tour de passe-passe, inscrit sa réalisation dans l'article 34 du projet de transition énergétique.

Comme dit mon vieil ami africain : « c'est toujours trop tard quand le poisson découvre l'hameçon »