Bear Grylls
On me demande souvent, en stage ou ailleurs ce que je pense de l'émission « Man vs Wild » ou « Seul contre la nature ». En général, mon rictus sadique et mes yeux noirs suffisent pour que les gens changent de sujet... mais certains insistent :)

Le sujet, je pense, mérite quelques éclaircissements et explications.

Toute l'année, quasiment à temps plein, je trime et je m'use la santé à enseigner la survie aux gens. Je leur enseigne, tout d'abord, un principe tout simple, et le premier principe de base en survie : « ne pas se foutre dedans exprès ». Or, l'émission « Man vs Wild » me semble laisser croire aux gens, grâce aux joies du montage et du petit écran, qu'il est possible de faire des trucs complètement auto-destructeurs et débiles, et qu'on peut y survivre. Pire ! On y indique implicitement que la survie... c'est ça !

Je me suis mis, un jour, à regarder cette émission et à juger du comportement de Bear Grylls comme s'il s'agissait d'un stagiaire qui serait placé sous ma responsabilité, en stage. Concrètement, au bout de 15 minutes, je l'aurais viré du stage déjà trois fois, en le remboursant intégralement, et en le faisant promettre de ne plus JAMAIS mettre les pieds dans un des stages du CEETS. Jamais. Par pitié. Le gars saute partout, grimpe sur tout ce qu'il voit, cavale dans tous les sens, et globalement me semble avoir pour principe de tenter absolument tous les trucs les plus risqués qu'il puisse faire, et ce pour une raison qui reste mystérieuse pour moi. Franchement, le voyant faire tout ça, une question s'est mise à tourner en boucle dans mon esprit.

Pourquoi... ?

Peut-on parler de survie, à savoir de gestion intelligente et consciente du risque en milieu naturel, quand :

- on s'hydrate en pressant une bouse d'éléphant pour en extraire le jus ? (les parasites, bactéries et même éventuellement virus qu'on peut trouver dans une bouse d'éléphant peuvent nous déshydrater de plusieurs dizaines de litres dans les jours qui suivraient l'absorbtion de tout ça)...

- on désescalade une chute d'eau en utilisant des lianes, alors qu'il y a un sentier juste à côté ? Et les 3 secondes avec la connerie, dans tout ça ? Hein ? ? ?

- on pisse dans une peau de serpent, et qu'on stocke son urine en plein cagnard, dans le désert, là-dedans, pendant plusieurs heures (consommer son urine peut, dans certains cas, être une technique utilisable, mais l'urine est un milieu de culture idéal pour les bactéries, les peaux de serpents fraîchement dépecés aussi, et en plein soleil, la température monte vite... si Monsieur Grylls a réellement bu son urine, stockée dans ces conditions, il serait extrêmement étonnant qu'il n'ait pas été très malade...) ?

- on mange des asticots crus dans une carcasse de chamois ? Cuits, déjà, ils sont relativement exempts de bactéries et de toxines (cadavérine, etc.)... Pourquoi les manger crus ? Surtout quand, derrière, on annonce fièrement qu'on va les utiliser comme appâts, donc qu'il y a un cours d'eau poissonneux pas loin ? Quel est l'intérêt ?

- etc.

Outre une certaine fascination pour ce côté auto-destructeur et « jackass », qui me rappelle étrangement toutes les conneries que j'ai faites quand j'étais enfant et ado, et qui m'ont permis de cerner tout ce qu'il ne faut pas faire, et surtout ne pas montrer ni enseigner, Bear Grylls démolit méthodiquement, et avec l'artillerie lourde que constitue la télévision, le travail de sensibilisation et de prévention que je fais, dans mon métier d'instructeur de survie au quotidien. Il fout mon travail en l'air. Et vu ses moyens médiatiques, le combat est inégal.

Je ne suis bien entendu pas favorable à la censure. Je suis, en revanche, favorable à un minimum de réflexion, d'esprit critique, et d'anticipation sur les effets des programmes de télés qu'on diffuse.

La vraie survie, qu'on enseigne aux vraies forces spéciales, aux vrais commandos, et plus généralement aux vrais gens vraiment intelligents qui font vraiment des trucs engagés, et qui ont pour but pragmatique de revenir chez eux entiers, n'a RIEN à voir avec les gesticulations scatophiles et auto-destructrices qu'on voit à la télé... fort heureusement...

Un jour un stagiaire m'a demandé si je survivrais plus longtemps que Bear Grylls si on était placés dans une situation de survie tous les deux. La question était volontairement provoc, alors j'ai répondu sur le même ton, et en rigolant. J'ai dit « moi : c'est facile, j'ai qu'à attendre 15 minutes qu'il se tue, ensuite je le dépouille de son matos et je le fais cuire ».

Un ange est passé... mais le message aussi ;)